La cabane ~
~~ Monster - We’ll Be Waiting For The Night
Baadal était entré seul dans sa hutte. Il y avait deux lits rudimentaires. On aurait dit deux vieilles caisses en bois. Chacun possédait un tiroir sur le côté. Baadal en ouvrit un et prit ce qu’il y avait à l’intérieur. Il resta un long moment à regarder ce qu’il tenait entre ses mains…
— En temps normal, je me fous de ce qu’il se passe à Nephelia, entendit-il soudain. Mais là, tu m’amènes quelque chose d’assez surprenant.
C’était Pari. Personne ne pouvait la voir ni ressentir sa présence mais elle était bien là, invisible, debout à côté de la hutte.
— Tu n’étais pas obligé de cacher ta présence, tu sais ? lui signala le vieux nuage. Je savais que tu serais encore là. Je te remercie de m’avoir aidé. Tu m’as sauvé.
— Sauvé ? ricana la Dame Blanche. Il n’y avait pas grand-chose ici, tu aurais pu t’en occuper tout seul. Si tu es venu me voir, c’est que pour me montrer ce nuage gris. Qu’est-ce que tu comptes faire avec lui, Baadal ?
— J’ai l’impression que je dois me justifier à tout le monde. Tu sais, je comprends que l’arrivée de ce nuage apporte la crainte de revoir ces jours-là mais je sais ce que je fais. Disons que c’est de l’intuition ou bien, si tu préfères, de la foi !
— Oh, tu sais… Moi, j’appellerais ça la volonté de se racheter.
Baadal ferma les yeux puis il se remit debout. Il s’étira et fit craquer son cou. La chouette invisible avait le regard braqué sur Grei assis sur le tronc d’un vieil arbre un peu plus loin.
— Tu n’as pas changé, reprit-elle. Tu sais pourtant que tu n’es pas responsable de ce qu…
— Regarde-moi, Pari, l’interrompit Baadal. Je me fais vieux. Tout ce que j’ai fait, c’est marcher un peu et regarde, je suis déjà fatigué. Je prie souvent les Dieux pour qu’ils me rendent ma force d’antan mais… ils n’ont jamais entendu mes prières. Parfois, j’ai quelques doutes sur eux…
Leur conversation était parsemée de blancs. Le sujet semblait vraiment difficile à aborder… Baadal ne cessait de l’éviter. Pari hésita un instant mais elle finit par dire :
— C’est vrai qu’il lui ressemble énormément…
— Je te revaudrai ton aide, Pari, répondit simplement Baadal.
Sur ces mots, il sortit de la hutte. Pari n’ajouta rien de plus. Elle savait que c’était inutile.
Baadal retourna vers Grei qui observait les fourmis sur le sol. Elles transportaient divers petits morceaux. « Voilà d’autres créatures énigmatiques. » pensait-il. Baadal le sortir de ses pensées en dépliant sa fameuse surprise devant lui : des vêtements.
On aurait dit qu’ils sortaient tout droit d’Europe médiévale. Ils paraissaient de bien meilleure qualité que l’âpre tenue que Baadal et les autres nuages portaient. Il y avait une chemise, un pantalon, et Baadal lui lança aussi de grosses sandales en cuir végétal ainsi qu’une petite cape rouge. Les yeux de Grei brillaient comme jamais !
— Voici une tenue de combat nuage faite en soie d’araignée ! dit Baadal, l’air fier.
— En soie d’araignée ?! s’étonna Grei. Mais c’est mille fois mieux que vos vêtements !
— Peut-être mais cette tenue a été conçue pour la guerre. Nous n’apprécions pas la porter. Et notre tenue nous vient d’un peuple allié bien lointain. C’est un symbole de notre amitié.
— Ce ne sont que de vieilles robes délabrées. Vous n’avez pas de goût !
— Tu peux parler le nudiste, répliqua Baadal avec le sourire. Je te le répète, ces « robes délabrées » sont un souvenir que nous ont laissé des amis. Elles sont faites à partir d’une plante immortelle qui ne pousse que chez eux, dans les zones désertiques !
— Ce n’est pas sur le Continent des Cieux ? demanda Grei dont la curiosité avait été piquée.
— Non, c’est sur le Continent Calciné. Malheureusement, ils ne viennent plus ici depuis longtemps. C’est pour cela que nos vêtements sont si usés…
— Allez les trouver par vous-même alors.
— Impossible. Personne ne sait où ils se trouvent… S’ils veulent te voir, ce sont eux qui viennent et… ils ne viennent plus… Bon, allez ! Assez bavardé. Habille-toi !
Et Grei enfila sa tenue. Elle lui allait comme un gant. Totalement à l’aise à l’intérieur, il gesticulait comme un enfant. Baadal le regardait silencieusement. L’Ancien avait une expression étrange. Il était heureux de voir Grei porter cette tenue mais il avait le cœur serré en même temps. Le nuage gris ne remarqua pas ce détail…
— Quel est cet insigne au niveau du torse ? demanda Grei.
— C’est le symbole des nuages. Il représente l’eau et l’air, le namia et le vaha !
— J’adore… Oui, j’adore ce vêtement ! Merci beaucoup, Ancien Baadal !
— Nul besoin d’en faire tout un plat. Certes, il est d’une rare qualité mais, pour moi, ce n’est qu’un vieux vêtement qui prenait la poussière depuis des lustres.
Soudain, Baadal fut perturbé par quelque chose… Des gens approchaient. Grei comprit rapidement de qui il s’agissait. Baadal aussi avait reconnu ces présences mais il ne comprenait pas pourquoi ces gens-là venaient par ici.
Après quelques instants, on finit par voir arriver une bande de cinq petits elems nuages. Au milieu de cette bande se trouvait la petite Urnaa que Grei avait rencontré devant le Réservoir. Elle leva son bras pour les saluer de loin et Grei répondit en levant timidement le bras à son tour. Baadal comprit aussitôt.
— Je comprends pourquoi tu me posais des questions sur les enfants nuages tout à l’heure, gronda Baadal. Ce n’est pas parce que tu es un idiot… mais parce que tu en es le roi !
— C’est elle qui a insisté ! se défendit Grei. Ce n’est pas moi qui l’ai invité à venir ici !
À côté des enfants, il y avait une grande elemme nuage qui semblait avoir l’âge de Grei. Ce dernier avait peut-être commis une grossière erreur en parlant à Urnaa. Qui sait la réaction qu’allait avoir cette elemme en voyant le nuage gris ?
Lorsqu’ils ne furent plus qu’à quelques mètres, ils ralentirent leur marche. Seule Urnaa souriait. Tous les autres étaient crispés… L’adulte, elle, regardait le nuage gris sans aucune expression définissable sur le visage comme si son esprit venait d’être vidé de toute pensée. Néanmoins, elle ne semblait pas vraiment surprise de le voir…
Évidemment, la première à s’avancer et à intervenir fut l’intrépide Urnaa :
— VOILÀ ! s’exclama-t-elle bien fort. Vous voyez ! Je n’ai pas menti !!!
Grei sourit nerveusement. Il savait comment les nuages gris étaient perçus et il ne voulait pas effrayer ces enfants plus qu’ils ne l’étaient déjà… Soudain, une grosse vague d’eau projeta Grei en avant ! Il s’étala ridiculement sur le sol comme une crêpe. C’était l’œuvre de Baadal !
— VOUS ÊTES FOU ! s’écria le nuage gris tout trempé.
Les enfants pouffèrent de rire. Grei leur lança alors un regard noir. Immédiatement, ils reprirent leur sérieux mais on voyait bien qu’ils se retenaient. En revanche, Urnaa, elle, ne se retenait pas le moins du monde, au contraire, elle s’esclaffait haut et fort. L’Ancien Baadal se rapprocha des enfants et, avec un grand sourire, il leur dit :
— Comme vous pouvez le voir, vous n’avez rien à craindre. Un seul d’entre vous suffirait à lui régler son compte. Je n’ai même pas mis de force dans mon namia, il est tombé tout seul !
— Je ne vous permets pas de me ridiculiser devant ces gamins, vieux schnock ! beugla Grei en se remettant debout.
Cette fois, c’était trop. Tout le monde éclata de rire ! Même la grande elemme nuage riait. Justement, après que ce moment de rigolade soit passé, Baadal lui demanda :
— Que me vaut ta visite, Nubé ? Cela fait longtemps. Tu es toujours à l’école ou à la tour.
— J’ai entendu Urnaa parler à ses amis, répondit-elle. Au début, je pensais les empêcher de venir mais je sais qu’ils ne m’auraient pas écouté… alors j’ai décidé de venir. Et puis, je vous avoue que cela m’intriguait aussi. Alors, me ferez-vous l’honneur de me présenter votre ami ?
Finalement, cette Nubé avait l’air sympathique… L’Ancien Baadal lui raconta tout ce qui s’était passé et lui présenta Grei. Il expliqua à ce dernier que Nubé était une enseignante, qu’elle avait en charge la classe d’Urnaa et qu’elle avait également sa place au conseil de Nephelia. Elle faisait partie de ce fameux conseil…
Grei fut bien surpris, lui qui imaginait les Gouverneurs comme une bande de vieux nuages. D’un autre côté, malgré son apparence proche de la sienne, il était possible que cette Nubé soit née des dizaines et des dizaines d’années avant lui !
— Je suis heureuse de faire votre connaissance, Grei, dit-elle. Moi aussi, je n’ai jamais vu de nuage gris… Je suis née il y a tout juste deux ans. Dans un sens, nous sommes assez semblables !
— DEUX ANS !? s’écria Grei. Comment avez-vous obtenu ce statut en seulement deux ans ?
Nubé rit de nouveau. Il fallait bien l’avouer, elle avait un sourire magnifique. En plus d’avoir tout réussi, c’était une elemme splendide. Pour la première fois, la couleur de Grei s’assombrit légèrement, c’était la manière qu’il avait de rougir…
— Vous êtes drôle, Grei. Je comprends pourquoi l’Oncle Baadal s’intéresse à vous. Je connais l’histoire mais, moi aussi, je veux vous faire confiance. Vous semblez être quelqu’un de bon. Aussi, ne vous inquiétez pas pour le conseil. Je ferai en sorte que tout se passe pour le mieux !
Baadal la remercia du fond du cœur et le visage de Grei s’assombrit encore. Il ne savait plus quoi dire. Heureusement, il fut sauvé par les enfants qui le tirèrent vers eux. Urnaa ouvrit sa main et lui montra la petite balle en bois qu’il avait reçue en pleine figure tout à l’heure.
— On va faire une partie de Balonero ! s’exclama-t-elle, tout enthousiaste.
— Quoi ?! demanda Grei. Je n’ai pas envie de jouer à ton jeu bizarre, moi !
— Allez, s’il te plaît ! C’est hyper simple ! Chacun notre tour, on se met en hauteur puis on jette la balle. Les autres en bas doivent aller l’attraper. Ensuite, celui ou celle qui a réussi à l’avoir en premier devra jeter la balle à son tour. Et regarde ! Le bois est fin, on peut y injecter du namia. Celui qui lance la balle peut l’alourdir ou l’alléger au choix. C’est génial, non ?!
— Cela me semble totalement débile comme jeu… Et je ne sais ni voler, ni utiliser le namia !
Urnaa en resta bouche bée. Toute sa bande fixait Grei comme une sorte d’extraterrestre, encore pire que lorsqu’ils l’avaient vu la première fois… ou presque.
— Euh… bon, j’ai une idée ! On va faire des équipes de deux et c’est moi qui jetterais la balle pour toi ! Et puis, on se mettra sur les branches pour la jeter. C’est plutôt juste, non ?
Cette petite avait la tête dure, Grei fut contraint d’accepter… Il se mit donc à jouer avec les petits nuages sous les regards ébahis de Baadal et de Nubé qui les observaient d’un peu plus loin. En les voyant ainsi, on aurait pu croire que Grei était leur grand frère.
Et ils passèrent toute la soirée à jouer…
Grei eut beaucoup de mal. Ces enfants étaient tous rudement doués. Bien sûr, la meilleure était Urnaa. C’était un véritable génie ! Elle était la seule qui arrivait à attraper la balle en plein vol. Elle filait à toute vitesse pour se poster face à la balle, écartait ses mains comme si elle tenait un grand ballon invisible et, justement, la balle s’arrêtait pile entre ses deux mains !
C’était spectaculaire. Pouvoir bloquer la balle de cette manière impliquait une extrême maîtrise des pouvoirs elemiens. À l’inverse des autres enfants qui râlaient constamment en la voyant faire, cette petite impressionnait grandement notre nuage gris !
Lorsque le soir arriva, Nubé réunit les enfants. Avant de partir, Urnaa demanda à l’enseignante de revenir demain. Nubé hésita. Elle souligna le retard qu’elle prenait sur son travail mais, voyant Urnaa si insistante, elle finit par céder. Au plus grand désarroi du nuage gris, les enfants lui promirent de revenir jouer au plus vite et, enfin, ils s’en allèrent.
La nuit tombée, Baadal partit préparer à manger : des pommes de terre crues et épluchées grossièrement. Ensuite, il installa sur les lits d’épaisses couvertures en feuilles tissées, de la même matière que la tenue des nuages. Mais, avant d’aller se reposer, il fallait manger.
— Je déteste ce jeu ! se plaint Grei. Pas une fois je n’ai pu attraper cette balle !
— C’est vrai que tu fais un piètre joueur, avoua Baadal. Nous allons travailler là-dessus demain.
— Comment ça ?
— Je vais t’apprendre à utiliser tes pouvoirs elemiens. Alors mange maintenant, tu vas en avoir besoin pour l’entraînement. La nourriture se désagrège en nous et se convertit en zîn.
— En quoi ?
— En zîn. Le zîn est l’énergie contenue dans notre corps. C’est ce zîn qui émane de nous et que tu ressens et c’est ce zîn qui nous permet d’utiliser nos pouvoirs… Allez, goûte-moi ça !
Grei prit la pomme de terre que lui tendait Baadal et en mordilla un petit morceau devant l’air amusé de l’Ancien. Cela n’avait pas de goût. Voyant que Baadal en prenait une bien plus grosse bouchée, le nuage gris en fit de même…
Cette fois, il sentit un léger goût amer dans sa bouche. Ce n’était pas vraiment agréable mais, pourtant, il sentit que son corps en réclamait davantage. Il en prit donc une seconde bouchée puis même une troisième…
À présent, Grei ne pensait plus qu’au lendemain. Il s’imaginait déjà utiliser ses pouvoirs de nuage. Il avait encore plus hâte depuis qu’il avait vu Urnaa faire ! Toutefois, lorsque vint l’heure de se coucher, Baadal l’avertit :
— Ne crois pas que je vais être tendre avec toi. Utiliser le namia et le vaha demande de la concentration et, avec toi, je m’attends au pire. Donc, attends-toi à la même chose de ma part !
— Ah…
Finalement, il n’avait plus si hâte que ça…
« L’entraînement de Grei s’annonce difficile…
Cependant, un événement bien plus effrayant attend notre nuage gris ! »
