Mon espoir - Partie 3
Je découvrais dans les derniers moi de cette année mes nouvelles amies.
Je retenais leurs noms et leurs visages.
Leurs personnalités, leurs caractères, leurs idées. Leur apparence et goûts vestimentaires, culinaires et autres.
J’arrivais bientôt à leur dire bonjour de ma propre voix quand nous nous trouvions le matin. Alors que je restais obstinément muette en cours quoi qu’il m’en coûte. Et il m’en coûta des disputes, des zéros, et après m’avoir entendue parler parfois, finalement un entretien avec la directrice pour expliquer mon comportement.
Moi j’étais contente d’avoir des nouvelles amies. Le reste du lycée était une forme de lutte que je refusais d’engager.
La directrice se rappelait de moi, mais surtout parce qu’elle avait reçu des plaintes toute l’année concernant mon mutisme de la part de plusieurs enseignants. Je présumais que les autres qui ne se plaignaient plus avaient compris que mon but n’était pas de les énerver et avaient appris à vivre avec.
Je l’écoutais elle se plaindre à son tour, jusqu’à ce qu’elle me demande sur le ton évidemment du reproche ce que je pensais de ce comportement.
Ce jour là j’étais en forme. J’ai eu envie de provoquer. De parler de la bibliothèque et du travail non fait. De l’hypocrisie, de tout. J’ai hésitée. Je me suis rappelée de ma voix d’enfant me jurant d’être plus intelligente dorénavant.
Plus que le silence, le chantage égoïste, la menace ou les promesses plates. Ne pas se jeter aveuglément dans l’instinct.
Agir intelligemment...
Je lui ai dit que j’étais consciente que ce comportement n’était pas idéal.
Je voulais rajouter un mais, qui me brûlait les lèvres, et serait suivi de tous les reproches concernant la bibliothèque ou les enseignants grognons. J’arrivais à me tenir malgré l’envie grandissante d’hurler.
Elle comprit que je n’allais rien ajouter à cela pour le moment. Elle reprit son discours en le restructurant pour déclencher d’autres réactions.
Je trouvais pendant ce temps ce qu’il me semblait être le meilleur compromis entre mes désirs et la sortie la plus intelligente que je puisse voir.
Quoique je ne fusse pas certaine qu’une sortie intelligente qui contentât tout le monde existe.
A la fin du sermon, je lui promis très calmement que j’allais faire des efforts.
Elle sembla modérément satisfaite ou convaincue. Mon sourire n’était pas sincère. Je n’avais sûrement pas l’air fiable.
Avant de repartir, je lui glissais comme si de rien n’était que sur un autre sujet, j’espérais que tout allait bien à la bibliothèque. Je serais ravie d’apporter ma contribution si le besoin s’en faisait sentir.
Je lui disais aussitôt après mon au revoir d’une voix bien claire, pour lui signifier qu’elle n’avait pas besoin de me répondre ou d’en discuter maintenant. La bonne fin de journée souhaitée, je ressortais.
J’avais des sentiments conflictuels en sortant du bureau. Heureusement, elle ne se mit pas à me crier de revenir pour avoir un fin mot sur une discussion que je ne pouvais pas gagner.
J’avais un sentiment d’échec en n’ayant pas pu appuyer mes désirs et considérations autant que je le voulais. Mais en même temps, j’avais réussi à donner un coup de pied sous la table avec mon aparté final.
Et je n’avais pas cédé aux tentations agressives primaires que je savais vouées à l’échec.
Je soufflais de soulagement en me souvenant de cela, et en constatant qu’elle ne cherchait pas à me faire revenir dans son bureau en trombe.
En m’éloignant, je retrouvais mon amie et sa deuxième amie qui m’attendaient.
Elles me demandèrent ce qu’il s’était passé. Je répondis aisément qu’ils voulaient que je parle plus en cours. Que j’allais essayer. Cela fit rire mon amie et sourire sa deuxième amie légèrement. Elle me regardait avec une expression que je ne comprenais pas.
J’ai bien commencé à parler en cours, un tout petit peu. Si peu. Juste ce que je pouvais sans risquer de crier ou de pleurer. Cela faisait toujours mal. Cela allait suffire.
~
Arriva rapidement le jour fatidique où ma féminité se rappelait à moi de la pire des façons.
Un de ces jours où par malchance la bibliothèque n’était pas ouverte de la journée entière.
Mon corps commençait déjà à m’hurler des insanités quand je tentais avec nervosité d’y entrer. Je m’acharnais un peu puérilement sur la porte. J’avais eu de la chance ces derniers mois. Je n’avais plus eu peur comme cela depuis longtemps.
Mon corps me rappelait mes limites, ma mortalité, ma solitude et mes souffrances. Les douleurs sentimentales serrent le cœur, toutes les autres s’enserraient et m’étranglaient plus bas, dans le cœur au bas du ventre. Celui qui ne m’apportait que souffrance.
J’ai marché, tentant de contenir ma douleur et ma panique. J’avais oublié l’accord passé avec mes amies dans cette douleur obnubilante.
A midi, j’errai dans les couloirs, m’arrêtant parfois pour reprendre mon souffle et respirer. Je les ai croisées soudainement et j’ai eu un mouvement de recul, de peur.
Je n’ai pas compris ce qu’elles m’ont dit. Je ne sais plus ce que j’ai pu leur répondre. Tout devenait flou.
Elles ont discuté quelques secondes et deux sont reparties. La dernière m’a aidée à m’asseoir comme si j’étais chagrinée et est restée à côté de moi. Je n’arrivais plus à voir laquelle s’était.
Je m’en voulais de perdre tous mes moyens comme cela. Il parait qu’on est traitées d’impures dans la moitié du monde dans ces moments-là. Voilà une idée pire que chez les bêtes. Je me sentais triste et des idées noires m’envahissaient dans ces moments-là.
Je baissais la tête et peut-être que je sanglotais un peu.
Une petite voix à côté de moi me parlait.
J’ai finis par l’entendre.
Elle avait un ton qui s’efforçait d’être rassurant. J’ai fini par la comprendre à nouveau et relever le visage, ou juste un œil, vers elle.
C’était la deuxième amie qui était auprès de moi à ce moment où j’étais au plus mal. Elle me demandait des choses dénuées de sens, comme si je voulais de l’eau, et tentait de me rassurer. Une question m’interpella. A un moment elle m’avait demandé si j’arrivais à l’entendre.
J’ai répondu d’une voix enrouée que j’arrivais à l’entendre maintenant. Cela semblait la soulager. Elle me dit qu’elles allaient revenir avec de l’aide. Une idée noire s’échappa entre mes lèvres en murmurant que l’on ne pouvait pas m’aider.
Elle a hésité sur la réponse à me donner. Des crampes me prenaient le ventre et les hanches dans des aiguilles.
Elle me dit qu’elle allait essayer.
Cela m’a surpris de l’entendre et rappelé l’espoir d’apaisement qu’apportaient les amis en principe. C’était ce que j’avais souhaité retrouver.
A - Pourquoi ?
Mon doute, ma peur de les perdre parla encore, quitte à me desservir. Je ne pouvais pas être une profiteuse égoïste. Elle voulait m’aider. Parce qu’on était amies désormais. Mais encore, pourquoi ?
Je lui lâchais dans ma tourmente des questions dénuées de sens qui répondaient à une raison abimée. Elle essayait d’y répondre patiemment mais je devais l’user avec mon enfantillage...
Je n’arrivais pas ç m’empêcher de suinter cette amertume de Cioran en ce moment, cette bile, accumulée en moi je ne sais quand. Ce caractère morbide allait la dégouter comme il me dégoutait moi, mais il était le seul capable de gérer le tourment quand la douleur ressurgissait violemment.
Elle eut une idée, disant qu’elle avait trouvé.
Elle pouvait prétendre comme tout le monde qu’elle ne m’avait pas jugée sur mon apparence.
Que l’amitié n’avait pas besoin de raison concrète pour exister.
Elle arriva à me surprendre et à trouver mieux. En me disant que c’était elle, et que j’étais moi.
Cela me força à m’interroger un instant, perturbant mon attention concentrée sur mon mal être.
Je relevais de nouveau un peu le visage. Je lui demandais de m’expliquer.
Il était trop tôt pour tout m’expliquer. Il fallait attendre que j’aille mieux car la douleur m’empêcherait de tout comprendre correctement.
Elle était gênée. Je ne comprenais pas pourquoi.
Je lui demandais de résumer simplement alors.
Une autre voix derrière moi répondit à sa place.
Ma nouvelle amie, revenue avec son sac, me rappela pourquoi elle m’avait approchée.
Parce que mon attitude lui avait rappelé quelqu’un de bien et d’intéressant. Et qu’aucune d’elles trois n’avait été déçue de me rencontrer.
Cela faisait du bien de le réentendre. Quelque chose se purifiait, même si du doute et de la peur persistaient en moi.
Je n’aurai peut-être jamais une confiance totale en quoi que ce soit... Mais c’était déjà agréable de remonter.
Son sac contenait une véritable pharmacie. Pour moi qui n’avais jamais dut prendre plus de vingt grammes d’aspirine dans toute ma vie, c’était une vue fascinante et terrifiante. A la fois un trésor et des drogues illégales à mes yeux. Elles discutèrent même sur ce que je devrais prendre. Certains médicaments étaient apparemment déconseillés pour moi en l’état. Elles se mirent d’accord sur deux comprimés d’antalgiques pour commencer. Deux molécules différentes elles m’expliquaient, les plus répandues et mieux tolérées. Nous allions déjà voir si cela m’apaisait un peu avant d’envisager autre chose.
J’ai fait confiance à ces pharmaciennes inattendues et les ait avalés.
La première amie revint avec une bouteille d’eau neuve. J’étais tellement entourée que mes moyens diminuaient.
Quelqu’un avait posé sa main sur mon épaule droite mais ce n’était pas agressif.
J’entendis comme si c’était très loin tain l’une d’elles dire que je n’arrivais plus à les entendre. Je mettais en réalité juste beaucoup plus de temps à comprendre les sons.
L’une d’elle hésitait à appeler de l’aide. Une autre demandait vers moi si c’était chaque fois comme ça.
J’ai eu envie de répondre que c’était elles trois qui me faisaient peur, et que cela en plus de la douleur me paralysait.
Je parvins à leur dire à la place de me donner quelques minutes.
Nous patientâmes quelques longues ou lentes minutes là. Insignifiante.
Une main restait posée sur mon épaule. Je ne sentais que cette présence étrangère et non hostile.
Ma vue finalement se ré-éclaira. Mes douleurs se calmaient un peu.
Je relevais la tête avec un sourire très forcé. Je leur mentais sans conviction en leur disant qu’aujourd’hui c’était pire. Je nuançais, en tentant de rattraper la vérité, en ajoutant que je n’avais pas l’habitude que l’on s’occupe de moi. Que leur prévenance me faisait un peu peur.
Une vérité un peu brute. Elles ont encore hésité sur la réponse à me donner. Elles se mirent d’accord sur quelque chose en quelques murmures et hochements de tête.
Deux d’entre elles s’éloignèrent. Celle qui était restée près de moi me rassura de leur part à toutes.
Elle me demandait pardon pour m’avoir inquiétées ensemble. Je crois. C’est ce que j’ai compris dans les intonations, même si elle n’a pas exactement dit ça.
Je répondais qu’elles me comprenaient bien. Cela la fit rire.
Elle me dit avec beaucoup de naturel que tout le monde se sentait incompris et différent, jusqu’à rencontrer quelqu’un capable de communiquer similairement, pour une raison ou une autre.
Je lui demandais en deux mots.
A - Quelle raison ?
Elle avait été comme moi.
Sa réponse me rappela les fantômes. C’était d’elle que parlait ma nouvelle amie.
Je me redressais un peu sans rien dire. Elle n’ajouta rien non plus. Elle me tendit les comprimés et la bouteille d’eau.
Je croquais les comprimés au lieu de les avaler, libérant un goût désagréable dans ma bouche. Pendant que je buvais un peu d’eau, elle me suggéra de les avaler d’un coup la prochaine fois si je le voulais.
Je la remerciais. Sa main avait quitté mon épaule depuis un moment mais j’y repensais.
Je lui demandais si elle avait réussi à perdre sa timidité, tandis que nos amis se rapprochaient.
Elle me répondit avec un sourire qu’elle était toujours timide, mais qu’elle avait des amies qui la rassuraient désormais.
C’était peut-être des raisonnements enfantins qu’elle m’avait tenue toute la journée, mais ils m’avaient touchée.
Elle avait été sincère, il me semblait, et cela avait probablement plus compté que tout ce qu’elle pouvait vocaliser.
Je voulais la croire et arriver à leur faire confiance en dépit de mes peurs rémanentes et de ma faiblesse.
Mes deux amies revenues m’aidèrent à me recomposer et nous retournâmes en classe peu après pour l’après-midi.
Au-delà de mes attentes, les antalgiques firent de l’effet et me soulagèrent beaucoup les maux physiques. Mais je crois aussi que leur amabilité envers moi avait aussi beaucoup joué.
Je cherchais les médicaments de ma mère le soir. Elle en avait peu, et je ne retrouvais pas les mêmes comprimés dont j’avais à peine retenu les noms.
Je leur redemandais un autre jour. Elles m’aidèrent et les choses allaient en s’améliorant doucement.
Nous parlions surtout en fin de journée, à la bibliothèque désormais. Rarement nous étions dérangées là. Nous pouvions même rire parfois.
La bibliothèque changeait d’aspect et d’importance pour moi. Mes amies avaient pris de la valeur. Une valeur chaque jour un peu plus grande.
~
L’été approchait. Elles me proposèrent de venir à une petite soirée chez l’une d’elle. La confiance ayant murie, j’y allais sans inquiétude.
La première amie avait une chambre spacieuse où nous pûmes discuter et jouer tranquillement. Nous y dinâmes même, ensemble.
J’étais bien l’une des leurs. J’étais contente. Je parlais tranquillement, même si je ne partageais pas tout.
Cette nuit là encore, je me réveillais à cause d’une mélancolie mal définie. J’allais aux toilettes à tâtons dans l’obscurité. Tout le monde dormait.
Encore une fois, quelque chose m’incita à rester dans l’obscurité.
Au salon désert et sombre. La quiétude. La rue déserte vue par la fenêtre ne m’évoquait rien. L’ampoule d’un réverbère grésillait en silence en contrebas.
Quelque chose me manquait...
Une tristesse diffuse remontait en moi.
Quelqu’un ou quelque chose ; Une inquiétude indicible réapparaissait pendant cette nuit paisible.
La certitude défaitiste que cela n’allait pas durer éternellement, probablement.
Quoi d’autre ce sentiment mélancolique aurait-il put être ?
Je rêvassais que quelqu’un vienne me parler. L’une d’elles qui aurait remarqué mon absence. Cela n’arriva pas. Elles dormaient naturellement. La nuit était le temps du sommeil.
Moi aussi j’aurais dut être en train de dormir. Pourquoi étais-je là ?
Il y’avait quelque chose de triste en moi qui ne partait pas. Comme une graine coincée quelque part, attendant son heure pour éclore. Pour germer plutôt... Je préférais l’idée d’une graine à celle d’un œuf.
J’avais peur de cette chose informe et invisible que j’avais l’impression de percevoir au fond de moi-même que je ne reconnaissais pas comme une part de moi. Je ne savais pas ce qu’elle pouvait être, si tant était qu’elle existait réellement.
Ce n’était peut-être qu’une poussière dans mon esprit, coincée là comme elle l’aurait été dans ma gorge.
Quelque chose qui contraste avec le calme nocturne où il se révèle, seulement dans un coin de mon esprit.
Les perceptions en temps nocturnes me plaisaient mieux, mais je fatiguais aussi.
Je retournais me coucher peu après. Je ne dormais pas bien.
L’été arriva.
Toutes les trois disparurent pour deux mois. Je retournais comme chaque année aider ma mère à son travail pour un salaire de misère. Ce complexe hôtelier et commercial était finalement un peu comme ma famille maintenant, et j’avais appris à m’y retrouver et m’en méfier, sans lui accorder beaucoup d’affection.
Je préférais nettoyer que servir.
Je préférais travailler la nuit que le jour. Je l’indiquais, et je me rendis utile de la sorte.
Il y’avait toujours besoin de bras pour décharger les marchandises et nettoyer. Le travail invisible est tout le temps utile.
Cette année, j’ai réussi à négocier un contrat avec un des administrateurs de l’endroit. Je ne compris que bien après que ce contrat signé n’avait aucune valeur juridique, en premier lieu car le travail effectué était illégal pour mon âge.
Le type était sale, malodorant et repoussant, mais malgré un air naturellement agacé et fatigué, il m’écouta et négocia respectueusement avec moi.
Je voulais travailler la nuit, faire un service de 23h à 5h du matin. La soirée pour ranger et nettoyer, le matin pour décharger et préparer. Contre salaire et contrat.
Il négocia ma fin de service à 6h30 du matin, mais avec une pause dans la nuit de trois quarts d’heure, correspondant à une pause déjeuner. En échange, il était d’accord pour signer le contrat et me payer un salaire un peu meilleur.
J’ai accepté. J’avais le sentiment d’avoir gagné et c’était le cas. J’avais tout ce que je voulais.
Il amenda un contrat type en ma présence et l’avons signé tous les deux. Mon salaire était indiqué et bien celui demandé.
Il voulut me serrer la main pour sceller cet accord conclu. J’avalais ma crainte et acceptait.
En me raccompagnant à la porte, il me demanda comment allait ma mère.
Je ne savais pas quoi lui répondre, donc je lui inventais qu’elle allait plutôt bien. Il me demanda sur le pas de la porte de son bureau ce qu’elle aimait manger. Il faisait un sourire ne me rassurant pas du tout. Et la question me laissait perplexe.
Ce qu’elle aimait manger ? Des pizzas peut-être... J’en trouvais régulièrement les boîtes dans la poubelle de la cuisine. J’y réfléchissais honnêtement quelques secondes avant de lui répondre.
En lieu de pizza, je lui ai indiqué la marque de cigarettes qu’elle fumait.
Il eut l’air déçu et son visage reprit son air perpétuellement agacé. J’oubliais ça en repartant.
J’étais contente d’avoir gagné. J’avais mon premier contrat de travail, qui me permettrait de m’acheter tous les médicaments que je voulais. J’en avais beaucoup emprunté à mes amies. Elles étaient peinées de devoir me faire charité d’aspirine et de paracétamol quand je n’allais pas bien.
Pour les pires crampes, courbatures et tensions musculaires, quelques myolastants pouvaient me faire des merveilles, même si cela avait tendance à m’assommer comme si j’avais passé deux nuits blanches.
Cet été là, j’allais pouvoir travailler aux horaires qui me convenaient, quand tout devient sombre et calme.
Je dormirais dans la journée enfermée dans ma chambre. Pouvoir travailler de nuit était la plus heureuse des choses pour moi à ce moment-là.
Ce travail nocturne n’était pas plus légal que celui de jour, mais tout le monde s’en accommodait, moi la première.
En plus je travaillais désormais aux horaires où personne n’était d’humeur à rire ou se poser des questions inutiles. Faire le travail vite et bien était la seule chose importante pour ceux que je croisais. Cela m’allait.
Passée la semaine d’adaptation au décalage horaire, il y’eut une période d’euphorie, à me retrouver seule à travailler sous des lumières essentiellement nocturnes. Vint cependant rapidement une fatigue incroyable.
Mon corps s’était épuisé plus rapidement que je n’aurais cru possible, et supportait très mal ce rythme de vie exclusivement nocturne ou crépusculaire. J’ai fini par en tomber malade.
Je terminais les dernières nuits avec des sensations de vertiges permanents, des nausées, des maux de crânes que les antalgiques ne calmaient pas, et des spasmes parfois.
J’empochais mon dernier salaire en m’entendant dire que j’avais mauvaise mine.
Je ne me suis pas reconnue dans le miroir. J’avais vieilli. J’avais des cheveux gris et blancs qui avaient poussé cet été par endroits. Ma peau avait un teint affreux.
Ma dernière semaine de vacances, j’ai cassé le verrou de la porte menant au toit interdit d’accès de notre immeuble, et j’ai passé mes dernières journées en tenue légère sous le soleil écrasant. Je bronzais, je me brûlais, je suffoquais, j’attrapais une insolation qui se cumula aux précédents symptômes en amenuisement, avant de les remplacer.
Au moins, je remettais de l’ordre dans mon organisme qui avait souffert par ma faute.
Je lisais quelques livres entre deux siestes ou vertiges. Je gribouillais sur des cahiers.
La rentrée arriva vite.
Plus que la bibliothèque, mes amies me manquaient.
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