Mon dénouement - Partie 2
Elles voulaient naturellement voir le ciel multicolore.
Nous irions le lendemain matin, leur laissant le temps de repérer les environs.
En attendant, nous sommes montées sur le plateau qui surplombait la région. Géographiquement, nous surplombions le gouffre minier.
Nous étions assises parmi les décombres qui trônaient là, en regardant le paysage.
La ministre me faisait part de leur crainte passée de faire face à une sorcière autrement plus dangereuse et agressive que moi. Leur briefing les avait préparées à un scénario digne d’un film d’épouvante.
Nous avons ri en l’évoquant, tandis que nous buvions du thé tranquillement.
Au fond de moi, j’étais cependant apeurée et attristée par les similitudes avec moi et ma vie, de ce à quoi on les avait préparées.
Une région en quarantaine radioactive depuis des dizaines d’années.
Des rumeurs de gens y disparaissant, de plus en plus nombreuses.
Un culte étrange semblait s’y être installé. Dans cette contrée reculée, la secte retenait les passants et nul n’en revenait vivant, ou inchangé... Ceux qui repartaient étaient un peu différents désormais...
Ils parlaient de la sorcière qui dirigeait cette secte, et faisait régulièrement des sacrifices humains pour accomplir de sombres desseins. Libérer un maléfice sur le monde au moins.
Une sorcière capable de lire les pensées et pirater les esprits, et peut-être bien même de commander à la mort...
Je n’avais pas de balais pour m’envoler dans leur histoire. J’éclatais de rire avec elles.
Mais j’étais vexée d’être décrite ou imaginée en nécromancienne...
Je concédais que la mort, à tout âge, avait une place importante ici, car nous ne la fuyons pas. Mais ce n’était pas le cœur ni le but de notre culture... Loin de là.
Tandis que nous discutions, la fille de la vieille dame venue autrefois mourir ici se joignit à nous.
Elle pouvait être notre mère ou grand-mère à toutes les trois.
Elle n’était jamais repartie.
En nous entendant nous moquer de mon image de sorcière, elle ajouta que j’étais trop jeune encore pour être la vraie sorcière. Même si mes cheveux avaient beaucoup perdu de leurs couleurs.
Cela nous fit rire encore de bon cœur.
Elles me racontèrent les histoires d’autres sorcières, et notamment de celle ayant vécu là autrefois, bien longtemps avant moi.
Je les écoutais avec passion me raconter cette vie que je n’avais jamais pu connaitre, à un autre siècle.
Elles connaissaient des histoires de sorcières aux pouvoirs étranges, mais surtout la précaution à prendre face à des pouvoirs que l’on ne détient ou ne contrôle pas...
Les sorcières n’acquièrent ce statut que dans une relation sociale avec leur culture. C’est le pouvoir, réel ou présumé, maitrisé ou emprunté qui leur donne ce statut...
Et cela entraine la crainte, car l’autre semble plus fort dans un système que l’on ne domine pas.
L’on craint que les rôles basculent, et que le pouvoir d’une seule femme devienne menace sociale...
Et l’histoire, si elle n’est pas toujours exactement la même, suivra toujours les mêmes sempiternels schémas...
La relation à une sorcière suivra inéluctablement les mêmes principes.
Quant au pouvoir de ce lieu, elles me confièrent quelques informations intéressantes ou étonnantes, mais globalement ma compréhension en était plutôt bonne.
Elles me confirmèrent que la créature prétendant être dieu tentait de s’échapper d’ici depuis des temps immémoriaux.
Les sorcières précédentes avaient toutes passées leur existence à maintenir la porte aussi fermée que possible, à contre-courant de cette chose et de ses menaces ou promesses.
J’étais la première à prétendre être parvenue à mettre un terme à ce statuquo étrange.
La ministre avait selon elle une certaine sensibilité pour les choses étranges. Elle pourrait confirmer une fois sur place si j’avais bel et bien réussi l’impossible.
Ce que dieu était vraiment, elles le définirent comme un spectre. Une volonté errante, invisible, à priori indestructible par tout moyen physique. Une ombre sans plus de corps...
Elle était l’entité qui prouvait que l’intelligence et le pouvoir pouvaient exister sous d’autres formes que celles habituellement connues.
Elle avait été retenue en cage des siècles durant, car elle prouvait qu’il restait des structures et des principes de sciences et physique qu’il restait à découvrir et étudier dans la réalité. Et avec cela, peut-être même des formes d’énergie pas encore accessibles, mais déjà perçues au travers d’elle, et donc appropriées et sécurisées.
En les écoutant, j’avais un peu de peine pour celle que j’avais tuée désormais.
L’humanité était terrifiante parfois.
Même si comme me le dit la ministre, moins de dix personnes sur Terre savaient ce qui existait réellement à cet endroit. Nous représentions toutes l’humanité, et j’avais peur des choix des autres.
Je leur demandais comment elles et leur patron avaient appris pour cet endroit.
Le patron, le président du pays si j’avais bien comprit, héritait en passation de quelques rapports dans lesquels il avait foi. Il y avait des choses dans lesquelles un chef ne doutait pas.
Cela me dépassait complètement. Même s’il avait raison.
J’étais moi incapable de faire la différence entre conviction, détermination et aveuglement. J’avais toujours un doute sur le côté duquel je me trouvait.
Elles, elles étaient justement les deux attachées du gouvernement et de l’armée à la surveillance de cette zone.
Ce n’était clairement pas une tâche à plein temps.
Comme ce n’était pas une mission des plus ouvertes, elles visitaient de temps en temps la région sur leurs congés en réalité, depuis bien longtemps.
Toutes les quelques années, elles faisaient une patrouille.
Cette fois, elles avaient aussi reçu des renseignements urgents.
A cause de moi et de ma petite société...
J’avais précipité leur retour avec un an d’avance à priori.
Ce que l’on ne contrôle pas, on le surveille.
Elles évaluaient la situation désormais.
Elles comprenaient que mon premier désir était seulement de vivre en paix. Je n’étais pas une révolutionnaire qui les menaçait. Je remarquais aussi que pour avoir accepté la mission de surveillance ici, elles devaient partager un minimum mon désir de calme et de solitude.
La soirée arriva et je les installais chez moi pour la nuit. Elles dormaient dans la même chambre par sécurité.
A l’aube, nous sommes parties vers l’obscurité du souterrain. Là où toute l’importance de ce lieu et de mon histoire résidait.
L’artefact de pouvoir...
Nous avons traversé les bois puis le tunnel réaménagé.
Nous sommes descendues en croisant d’autres habitantes, timides ou souriantes.
La ministre me faisait part en chemin d’un problème quant à la nature de cette porte en bas.
Pour elle, le problème était qu’elle ne soit pas matérielle.
Et qu’à cause de cela, il était impossible de savoir avec certitude de quel côté l’on regarde, et de quel côté l’on est soi en réalité.
On ne se voit pas traverser ni changer, car cela ne peut être observé.
C’est une transformation insidieuse comme la radioactivité.
J’acquiesçais, mélancolique.
Le problème avec cette porte, c’est que l’on ne peut jamais vraiment être sûre de quel côté on est...
Elles n’étaient pas convaincues que j’ai refermé la porte.
Car ce n’était une porte que de nom... C’était un amas de fragilité physique et chimique peut-être. Une rupture de l’espace, une petite singularité de la réalité tout au plus. Tout sauf une porte.
Prétendre sceller cela n’avait pas de sens réel.
Qu’avais-je donc fait alors ?
J’avais exprimé le souhait que cette ouverture se referme, et cela avait semblé m’obéir.
La soldate me dit que même refermée, une porte comme celle-là ne disparait pas aussi facilement que part un souhait. Empêcher quelque chose d’exploser et l’éteindre complètement ne sont pas la même chose.
Qu’avais-je fait ?
Je craignais leur jugement.
Et pourtant je ne pouvais pas mentir.
Nous ne pouvions plus mentir ?
Mon esprit s’embrumait de craintes tandis que nous descendions dans les profondeurs du lieu silencieux comme ma tombe.
J’avais peur, mais je ne voulais pourtant pas me masquer à elles.
Je ne leur mentais pas, je ne me dérobais pas.
J’espérais que leur intelligence me soit favorable. Elles m’avaient permis de le croire.
Même si je craignais que ma transcendance doive maigrir ou mourir.
Après tout, je ne pouvais pas nier le fait de toute façon évident, que je n’avais jamais eu le droit d’être là.
Ce pays ne m’appartenait pas.
Je ne leur cachais pas, en sachant qu’elles ne me répondraient pas de suite quant à leur décision.
Elles devaient finir leur enquête pour que leurs supérieurs puissent statuer.
Je ne pouvais pas leur barrer la route. D’une manière ou d’une autre, cela serait revenu à déclarer une guerre que je n’avais aucune chance de gagner.
Je devais me soumettre... Ou négocier.
En lieu d’un casus belli, par la transparence et mon amitié, je leur ouvrais la porte aux solutions concertés.
Moi qui n’avais pas d’ambition de m’étendre ou de me révéler, nous pouvions probablement trouver une fin heureuse ensemble.
Nous sommes arrivées au sanctuaire.
Elles ont regardé les environs.
Elles ont vu la momie de l’homme que j’avais trouvé là toujours à sa place dans son sarcophage. La soldate a murmuré un nom que la ministre confirma d’un hochement de tête froid.
La ministre a tout observé et fouiné dans le sable à la recherche de quelque chose d’invisible. Elle ne semblait pas trouver.
Elle a fini par se tourner vers moi, presque apeurée, pour me demander ce que j’avais fait.
~
La nervosité augmentait.
Elle ne reconnaissait pas l’endroit.
Pas au niveau des sens physiques, mais vis-à-vis du pouvoir incertain qui régnait là normalement.
Elle le voyait ?
J’ai naïvement répété avoir fermé la porte comme j’avais cru que la sorcière doive le faire.
Elles n’étaient pas du tout convaincues. Pas plus que je ne l’avais vraiment été...
On ne ferme pas une porte qui n’en est une que dans les métaphores approximatives.
Qu’avais-je fait ? Elle me le redemandait avec un air trahissant une panique naissante.
J’avais aussi formulé un souhait...
Je leur ai dit.
J’avais vu que tenter de changer une société, le monde, c’est-à-dire les comportements humains, mènerait forcément au conflit. D’autant plus si l’on tentait cela brusquement.
Alors j’avais souhaité que le monde réel change très légèrement, insensiblement, mais d’une façon qui amènera les humains à évoluer dans un sens plus apaisé vis-à-vis de la mort.
En apaisant la peur primale et insatiable de conséquences, je voulais voir éclore de l’espoir...
Elles m’ont écoutée exposer ma thèse, mon rêve, avec des regards chargés d’angoisse croissante.
La soldate me demanda si je me prenais pour dieu. La question me fit très mal au cœur.
Était-ce le cas ? Cela dépendait naturellement de sa définition de dieu. Comme pour celle que j’avais affrontée.
Était-ce le dieu antique, ou celui moderne ? Les deux sont très différents. L’ancien colérique, visible, dominateur et intolérant, je ne lui ressemblais certainement pas.
Le moderne, si discret que l’on croit qu’il n’existe pas, peut-être...
J’expliquais bien ne pas chercher à répandre une ambition personnelle, juste de l’espoir, sans mots, sans obligation...
Elles m’écoutaient d’un air triste, résigné.
Après un moment de silence pesant, je les invitais à rester quelques temps pour voir par elles-mêmes et juger de mes intentions par l’observation de la transcendance directement. Qu’elles jugent de mon ambition par mes actes et par la mesure de ma création...
Je me doutais qu’elles avaient des délais pour remplir leur mission, mais qu’elles n’hésitent pas à rester pour évaluer en profondeur ce que j’avais fait exister.
Elles ont discuté un peu entre elles.
Elles ont accepté mon offre à mon grand soulagement.
Elles avaient tout de même un minimum confiance en moi.
~
La ministre a interrogé presque tout le monde dans les jours qui ont suivi, prétendant être journaliste.
La soldate, nous ne la croisions que de temps en temps et aux repas. Je comprenais qu’elle quadrillait le secteur et repérait tout. Elle évaluait la dimension matérielle et physique de la culture, quand sa collègue évaluait son fonctionnement social.
Elles vinrent me voir un soir à propos des euthanasies. Je n’ai pas nié.
J’étais prête à en assumer seule la responsabilité, je ne le cachais pas.
A leur demande, je leur ai remis le poignard, l’arme des crimes.
La ministre s’en alla avec la lame emballée dans un sac en plastique scellé.
La soldate resta avec nous.
Quelques jours passèrent avant qu’elle ne s’acclimate vraiment.
Elle relâchait peu sa garde. Mais une fois son travail terminé, elle n’avait finalement rien de mieux à faire que de participer à nos activités.
Comme toute militaire, elle savait travailler un potager avec rigueur.
Elle joua avec des fillettes qui la trouvaient cool. Elle leur apprit à boxer un peu, par jeu.
Cela m’amusait beaucoup de les regarder, cet exercice me rappelant l’époque où je m’étais entrainée.
Je les regardais avec un sourire sincère.
Je n’avais plus la force de participer à des sports aussi forts, mais je les encourageais toutes, y compris la soldate.
Après quelques nouvelles journées, nous nous sommes rapprochées.
Nous discutions, de nous, de nos passés, de cet endroit.
Elle venait d’une famille de militaires qui avaient travaillé à cet endroit autrefois, quand il y avait encore une ville habitée. Son attachement à ce domaine n’était donc pas purement professionnel. Une racine de son arbre généalogique se perdait ici même.
Et elle avait entendu les histoires que les villages alentours racontaient à mon sujet, comme autrefois au sujet d’autres sorcières du passé.
L’une d’elles aurait maudit l’humanité et lancé une malédiction, pour que plus aucun homme ne puisse plus jamais poser les pieds en cette région.
Selon elle, l’hérédité jouait sur l’attrait de cette région, comme une mémoire génétique. Tous ceux qui viendraient là auraient eu un ancêtre qui ai vécu là autrefois selon elle.
C’était une étrange idée qui m’intriguait, ce retour aux sources.
J’ai évoqué mon père inconnu, mais elle ne croyait pas qu’il puisse être originaire de là. Selon elle, cette hérédité était héritée par les mères uniquement.
Je ne comprenais pas toutes ses idées.
Mais nous devenions amies en l’absence de la ministre.
Cette soldate avait la foi. Elle était une idéaliste déterminée. Une femme forte, à tous les niveaux. Une femme comme j’avais toujours rêvé d’être...
Nous avons marché et parlé, des heures, de longues heures durant.
D’elle, ou de moi parfois. La sorcière sans pouvoirs magiques. Cela nous amusait.
Un jour elle me dit très sérieusement que si je n’avais pas le pouvoir d’une sorcière, j’en avais la volonté.
~
C’était finalement une période heureuse pour moi.
Et enfin un jour, l’attente prit fin.
La ministre revint, me rendant même le poignard à mon étonnement.
Elle souriait timidement.
Elle et la soldate se sont isolées plusieurs heures durant. Il m’a semblé entendre des haussements de voix d’un genre ou d’un autre.
Quand elles revinrent me voir, la soldate avait déjà rassemblé ses affaires.
La ministre me demanda de retourner avec elles au sanctuaire une nouvelle fois.
Elle devait revérifier quelque chose avec moi avant de partir pour de bon.
Nous y allâmes.
Je lui demandais sur le chemin ce que ses patrons avaient décidé moi. Elle m’avoua l’ignorer ; car toutes les informations requises n’étant pas encore arrivées, rien n’avait été définitivement décidé pour l’instant.
Elle ne pouvait hélas pas non plus me garantir la façon dont la décision me parviendrait.
Avec un peu de chance, elle aurait le droit de venir me prévenir.
Autrement, il valait mieux que je sois attentive à un éventuel ordre d’évacuation des villages environnants...
J’avouais ne pas encore non plus avoir réfléchit à ma décision si cette situation terrible arrivait.
Allais-je tenter de fuir à nouveau ? Ou accepter de m’enterrer là ?
On m’avait dit que j’étais comme d’autres, venue à cet endroit pour y mourir. Ce n’était pas faux mais c’était loin d’être toute la vérité. Mais ce n’était pas faux...
La ministre me rassura en me conseillant de ne pas trop m’inquiéter pour un risque qui n’arriverait peut-être jamais. Je verrai le moment venu où mon cœur porterait.
Elle était bien clémente.
Nous étions tranquilles toutes les trois sur ce chemin, entre amis. La soldate n’avait plus besoin d’être sur ses gardes depuis longtemps.
Nous sommes arrivées rapidement au sommet du gouffre. Nous étions seules à cet endroit, au sommet du sanctuaire. La ministre s’asseya là pour faire une pause avant la longue descente.
Elle parla du poignard. Il avait confirmé tous mes dires apparemment. Les analyses avaient même pu prouver que les victimes étaient consentantes, de par les taux de stress si j’ai bien compris son explication. Cela les avait impressionnés paraissait-il.
C’était une curiosité qui ne changeait rien à ma culpabilité prouvée pour plusieurs meurtres désormais.
Je lui demandais si elle voulait m’arrêter, avec un calme un peu résigné.
Elle hocha négativement la tête en souriant.
Elle m’expliqua que tout le monde vivant ici était coupable de violation de zone interdite et donc que tout le monde pouvait être envoyé en prison. Cela pouvait être une leçon claire pour tous. Mais moi...
Pour moi c’était différent.
Elle m’a parlé des sacrifiés lors des liquidations post accidents nucléaires.
La foi et le devoir sont une chose. L’ignorance et l’inconscience une autre. Le choix...
Comment décrire cela ?
Il y’a des comportements très difficiles à expliquer lorsque l’on ne vit pas des situations de crise et drame intense un peu similaires...
Elle m’expliquait que la prison était une leçon particulièrement violente, dont les résultats n’étaient pas forcément fiables à l’échelle individuelle.
Toute ma société pouvait être déportée si cela était décidé. Le choc de la prison dans ce cas-là allait statistiquement faire changer de mentalité tous les membres de la culture, à quelques rares exceptions prés.
Sans les tuer, ce choc les changerait et les détacherait toutes de cette culture fantasque et illégale.
Une leçon claire pour la mémoire de chacune et pour les autres...
Mais moi en revanche...
La ministre revenait en s’attardant sur cette hypothèse.
Moi, j’étais de ceux qui se sentent déjà naturellement emprisonnés, où qu’ils soient.
Pire que cela, je serais capable de survivre au traumatisme sans changer favorablement selon elle.
J - Tu n’as pas le pouvoir d’une sorcière, mais tu en as la volonté. Si nous t’arrêtions et te jugions, tu serais envoyée dans la pire des prisons du pays...
Mais tu survivrais...
Tu traverserais tout. Tu serais graduellement prête à tout...
Tu survivrais, et tu reviendrais.
Je l’écoutais avec surprise et tristesse faire ce drôle de constat.
La prison... Ne m’arrêterait pas ?
Le pouvoir, le rêve de ce lieu, il ne devait pas sortir.
Je commençais à comprendre.
J’ai baissé la tête pour soupirer.
La ministre me présenta ses excuses.
Je me levais pour plonger mon regard dans l’obscurité rassurante du gouffre en contrebas.
Derrière moi, elle m’avouait que tout ce qu’elle m’avait révélé autrefois était mensonges.
Aucun état ne couvrirait un secret avec une frappe nucléaire...
Cette menace extrême avait eu pour but de m’acculer, de me forcer à révéler ma véritable motivation première.
Si cela avait été de vivre, j’aurais dut fuir ou tenter de les corrompre.
Si j’avais voulu la guerre, j’aurais dut les tuer... Par exemple.
Face à une menace extrême, ma réaction avait d’abord été une soumission apparente, mais en réalité c’était une foi en quelque chose de plus grand.
Je croyais en mon projet désormais.
Je le souhaitais vraiment faire advenir... Quoi qu’il advienne de moi et de cette société en surface.
Leur menace pour me faire quitter ce pouvoir par la fuite ou des mauvaises décisions n’avait pas fonctionné.
J’avais involontairement et inconsciemment tenu face à leur bluff.
Et le comportement que j’avais cru gage le plus sûr de ma réussite provoquait ma perte.
J’avais montré mon ambition. J’avais montré que j’étais dangereuse, et selon elle que rien dans nos deux transcendances culturelles ne pourrait me stopper...
Je commençais à trembler.
Tout avait été leurre dans leur contexte. J’étais tombé dans le piège...
L’ironie me donnait envie de rire et de pleurer.
Comme dieu avant moi...
Je me retournais. La soldate pointait déjà son arme vers moi, en silence, le visage froid.
La ministre soupira. Elle prétendit que nous aurions vraiment pu nous entendre, si je m’étais contentée de garder la porte au lieu de m’approprier son pouvoir...
J’ai fait une moue triste. J’ai murmuré que j’avais voulu vivre en humaine...
J - Je ne peux pas prendre le risque de te laisser faire cela...
Et comme selon elle leur culture serait impuissante pour me stopper, il ne restait plus comme option que de me détruire, corps et âme.
La soldate prit la parole avec une intonation tout aussi peu heureuse de la situation.
Et comme je n’avais heureusement pas de pouvoir de sorcière manifeste au-delà de mon corps, du sommeil ou de ce lieu, me tuer suffirait.
La ministre assise et la soldate en joue me regardaient fixement.
L’arme pointée vers moi.
Derrière moi, le vide d’où l’on ne revenait pas.
Elles l’avaient bien compris et décidé.
Je ne repartirai pas de cet endroit.
Tout ce que j’avais créé et espéré prendrait fin avec moi.
Pourtant elles n’avaient pas envie de me tuer. Je le voyais bien.
Nous cherchions toutes les trois les bons mots pour terminer cet instant de souffrance partagée.
Dans d’autres circonstances, elles n’auraient pas eu à me tuer.
Sans qu’aucune de nous ne trouve les derniers mots les meilleurs, l’éclair du coup de feu éclata.
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