Ma maison - Partie 13
Avec l’une ou l’autre de mes nouvelles amies, je suis souvent retournée au village troquer du métal.
Leur attitude envers moi était devenue changeante. Ils commençaient à se lasser de mon manège depuis le temps.
Cela allait encore pour l’instant, mais les échanges trop fréquents sur une durée trop longue les blessaient.
Certaines de mes camarades proposaient alors de nous étendre, d’aller voir plus loin, de nouer des nouveaux contacts.
Cette volonté naturelle de croissance était en partie celle que je voulais apaiser et raisonner. C’était l’instinct le plus naturel pourtant, mais je ne voulais pas aller sur cette route sans fin.
Devenir une ville, puis une cité état, et pourquoi pas une région et même une nation ensuite ? Pourquoi pas renverser le pouvoir et conquérir ce pays ? Ou même devenir une religion pour étendre notre influence plus aisément au travers de plusieurs pays...
Donc je refusais l’idée d’expansion tout net d’abord.
Je réfléchissais avec elles à un compromis ensuite. Un équilibre entre croissance anarchique et stagnation, entre les risques découlant de la propagation, et ceux du déclin.
Pour survivre, une route commerciale était très utile. Mais nous avions bien peu à échanger à part le métal bientôt épuisé, et des places au vaste cimetière de la tranquillité.
Une ingénieure était prête à retourner travailler dans la ville qu’elle avait quittée, malgré l’angoisse qui l’asphyxiait ; pour utiliser l’argent gagné avec nous.
Ça aussi je l’ai refusé.
Parasiter les autres sociétés en forçant les nôtres à s’épuiser dans leur souffrance, solitude et misère ; cela pour nourrir le groupe au loin, je détestais cette idée.
Cela ressemblait à un fonctionnement sectaire sur lequel je voulais à tout prix éviter de dériver.
Même si la conviction et la vocation pouvaient la renforcer et motiver elle dans son intégration normale.
Elle avait été prête à se sacrifier pour le groupe. Je ne pouvais pas l’accepter. Trouver le bon équilibre pour chacun et la moralité du tout était tellement difficile.
Comme toute transcendance, l’effet de groupe lui-même offrait quelque chose, un sentiment rassurant et euphorisant par moments, de bien pour nous. Mais le groupe ne devait pas se nourrir d’elles par instinct, par peurs. Pas plus que je ne devais les empêcher de penser et d’être en désaccord avec moi malgré mon rôle.
Les dérives étaient affreusement aisées, et pouvaient partir des meilleures intentions et intuitions.
Cette pauvre ingénieure épuisée l’écoutait en sanglotant.
Sa volonté d’être utile pour nous, poussée un peu trop loin pour son état, un retour forcé vers la vie qu’elle avait fuie, ce n’était pas un sacrifice que j’acceptais. Parce qu’au-delà de l’appartenance à la transcendance, la conviction, la foi, le patriotisme, il y avait surtout encore et toujours de la peur.
Elle voulait aider le groupe à croitre et vivre à tout prix, car seulement dans cette minuscule société elle avait trouvé l’apaisement qui lui convenait. Plus que de la fin, elle avait peur de perdre ce lien qui était beaucoup pour elle. Elle était du genre de personnes prêtes à se sacrifier pour une cause qui apaise beaucoup leurs peurs fondamentales.
Elle, je lui ai demandé de promettre de ne jamais se sacrifier pour nous.
Et je l’ai rassurée comme je l’ai pu.
Derrière l’apaisement, les peurs étaient toujours présentes et fortement motrices de tous nos comportements.
Je ne pouvais pas changer cela. Toute la nature humaine et sociale était imprégnée de cela.
Mais c’était ce que je voulais faire.
C’était mon idéal lointain auquel certaines voulaient croire désormais.
Je leur présentais une réflexion, une philosophie ou une croyance en cet apaisement qui revenait simplement à diminuer la panique face à la mort en l’acceptant. Ce n’était pas vraiment quelque chose de nouveau ou original, mais cela leur parlait pour certaines.
Dans une certaine mesure, c’était le principe sous-jacent de beaucoup d’autres croyances et philosophies, peut-être juste un peu plus dénudé d’atours culturels au final insignifiants.
Chacune était libre de croire ce qui l’apaisait le mieux, ça je le répétais. La vérité était une notion de moindre importance pour la vie de chacun.
Pour cette société, la vérité était dans cette vie non pas d’ascèse mais proche d’un ermitage. En tout cas dans du pragmatisme très terre à terre par nécessité primale.
L’isolement, cela pouvait rendre fou et asocial par terreur. L’humain est naturellement social je pense.
Ce qui nous réunissait nous ici, c’était un tempérament un peu dévié sur ce côté, un peu trop mal à l’aise au contraire dans les cités.
Du coup bien qu’en groupe désormais, nous étions de celles pour qui c’était au contraire de la norme l’isolement et la solitude qui nous rassurait. Des marginales qui ont besoin de repartir de l’autre côté.
Et dans les racines de cette société existant dans le but de les faire vivre en paix, il y’avait mon rêve, et le ciel multicolore caché dans l’obscurité.
Avec le temps, certaines choisirent de réhabiliter les mines. Nous manquions de bâtiments couverts et tempérés en surface.
L’ingénieure se montra plus sereine en étant utile là, aux travaux improvisés de réparation du tunnel d’accès principal. Elle devait se surpasser pour arriver à avoir des résultats convenables de consolidation du tunnel en dépit de moyens de misère.
Sans matériaux de construction, je n’imaginais même pas que l’on puisse sécuriser un tel tunnel.
Je n’aurais jamais dû sous-estimer l’intelligence humaine.
Les travaux allaient prendre des années, vu que ce n’était pas un chantier civilisé déjà, mais cette femme désespérée avait été capable de trouver des solutions pragmatiques à chaque étape du problème.
Stabiliser le sol avec des racines, creuser un mur en arche, étayer la voûte, c’était convenu. Arriver à fabriquer un genre de béton recyclé avec les ressources de la région en revanche, je n’avais pas imaginé cela possible. Et elle n’était même pas ingénieure en construction de bâtiments...
Il y’avait des gens capables de changer les choses au-delà de tout ce que l’on peut imaginer. La connaissance aide clairement.
J’avais réussi à lui en donner la chance finalement.
Elle passa sa vie à travailler sur le tunnel, y trouvant sa propre importance qui lui manquait.
~
Je ne voulais pas de dérive sectaire, ni dans l’idéologie de groupe, ni dans l’appropriation de biens qui appartenaient aux individus, sur place ou à l’extérieur. Cela me demandait une prudence et une veille constante.
Il y eut tout de même des conflits, des jalousies, des disputes violentes et des départs.
Je n’arrivais pas à toutes les apaiser par moi-même, et les différences préservées entre chacune interdisaient une assimilation dangereuse à la transcendance. Je ne voulais pas voir reniées les individualités de pensées, encore une fois même si cela fragilisait en conséquence la stabilité de la société.
Des trois départs sur disputes, j’ai pu en réparer deux, sans jamais forcer de choix qui ne me revenait pas.
La dernière s’en alla tout de même. Cet échec m’attristait beaucoup.
Même si une efficacité absolue devenait irréaliste avec un nombre sans cesse croissant, elle, elle n’avait plus nulle part où aller pour se sentir en paix. La société normale n’avait pas marché, et la nôtre non plus. Elle n’avait plus d’espoir.
Je lui souhaitais qu’elle trouve une place à laquelle nous n’aurions pas été capable de penser.
Pendant que le temps passait, nous apprenions à gérer nos ressources et nos déchets de mieux en mieux.
Nous habitions essentiellement dans des maisons troglodytes, les grottes et les rares bâtiments encore debout.
Les relations avec l’extérieur changèrent de modèle ensuite.
Sur la base d’une personne ou d’une autre se sentant prête à retourner chez elle quelques temps, en invitant les quelques amies préférées qui étaient partantes pour aussi rester avec elle.
Ces petits groupes, des couples parfois ou des familles recomposées, ou simplement des amitiés, parvenaient à retourner à la normalité plus facilement. La confiance en elles était renouvelée par la présence de l’autre, et elles pouvaient tenter avec plus de sérénité de se réintégrer à leur société d’origine.
Ma maison leur avait servi de lieu de soins et de repos en quelque sorte, et de lieu de rencontre.
Je ne forçais rien, mais je m’assurais qu’il n’y ai pas cette volonté trop forte de redonner, de sacrifice en somme, derrière leurs choix. Ce n’était heureusement pas le cas.
Des petites familles s’étaient formées au grés des hasards ou des bonnes ententes providentielles.
Ces petits groupes tentaient de vivre plus agréablement dans le pays qui pouvait leur manquer, et même souvent retrouver une famille, parfois aussi des enfants ou un mari.
Ces groupes repartis car rassurés plus qu’endoctrinés, n’avaient aucun devoir envers nous. Souvent ils nous soutinrent volontiers malgré tout.
Pas financièrement évidemment, mais matériellement. L’une d’elles revenait de temps en temps avec des vivres, des outils ou juste des cadeaux et des souvenirs, parfois des photos de ses enfants.
Nous gardions cette route discrète qui s’était installée, sans chercher à faire pression sur la personne qui l’entretenait. Mais il était clair que son existence facilitait la survie et en rassurait certaines, parmi les nouveaux venus notamment.
Avec le temps et les années qui commençaient déjà à passer, ce processus d’abord en relation lointaine avec l’extérieur se resserra progressivement sur la région géographique, en intermédiaire entre nous et les groupes d’origines plus lointaines.
Celles qui aimaient vivre en ambassadrices de notre transcendance toujours sans nom se regroupèrent petit à petit dans les villages avoisinant et entourant la région où nous étions.
Cette nouvelle étape sur les routes entre l’extérieur et nous ici permit de réguler les flux et rassurer toutes les parties.
Quelques familles vivaient et subsistaient ainsi naturellement aux villages et villes parmi les plus proches, et maintenaient le contact plus régulier et maitrisé avec nous.
Celles qui repartaient d’ici étaient accueillies dans ces relais une dernière nuit avant un retour complet à la société. De temps en temps, quand les moyens des ambassadrices le permettaient, elles nous préparaient des marchandises, accompagnées de ce qu’elles recevaient de personnes plus lointaines.
Et enfin, ces ambassadrices nous prévenaient parfois quand elles voyaient quelqu’un visiblement en chemin pour nous rencontrer.
Ce système d’ambassades informelles et limitées me convenait. Elles faisaient le lien plus doux avec les familles réinstallées et sécurisaient celles-ci comme nous ici en servant d’intermédiaires.
Peu d’argent nous était offert, et seulement sous la forme de produits utiles. Je ne voulais pas d’argent, en bonne conscience également que cela restreignait les capacités de croissance de la transcendance justement.
En revanche notre capital de sympathie et de bonne volonté envers notre transcendance était sans cesse croissant.
Au point que même une journaliste initialement venue pour mourir par ici voulu écrire quelque chose sur nous, et sur moi.
Je voulais bien, mais à condition que l’écrit reste là. Comme pour les anciennes notes de mon amie, cela pouvait aider les nouveaux venus à comprendre l’endroit. Mais je ne voulais pas risquer d’être vue à l’extérieur.
Après un moment de débat, elle accepta, et je répondis à ses questions de longs jours durant.
~
Je l’emmenais au gouffre.
Toutes savaient que cet endroit était en quelque sorte mon sanctuaire. Il n’était pas interdit d’y aller, mais préférable de ne pas y rester.
C’était le lieu principal de mort également. Par suicides, ou par agonie parfois, certaines souhaitant passer leur dernier souffle ici. Et plus rarement, par euthanasie...
Nous sommes descendues.
Les sarcophages avaient été vidés depuis le temps, et des torches électriques installées, ainsi qu’un lit, une table et des chaises, posées sur le sable. Nous nous sommes assises là pour discuter de ce que nous faisions des morts justement.
Les corps des sarcophages avaient été transférés au cimetière. Les suicidés comme les autres étaient enterrés dans la plaine rocailleuse de la ville. Il n’y avait pas de raison symbolique particulière à cela. C’était jusque qu’ainsi nous ne risquions pas de les déterrer par erreur.
Vis-à-vis des suicides, nous ne pouvions tout simplement pas aider autant que nécessaire pour tout le monde. C’était triste mais accepté.
Vis-à-vis des derniers souffles que certaines préféraient pousser ici précisément, cela relevait plus d’un trait de foi envers moi et ce lieu qu’autre chose. Je représentais la shamane du lieu, et ce sable était la porte vers l’au-delà.
Même si je répétais ouvertement que moi je n’y croyais pas, certaines persistaient. Je les accompagnais à leur requête dans leurs derniers moments, les rassurant au plus simplement en étant là.
Et vis-à-vis des meurtes... Il s’agissait d’euthanasies, mais c’était un terme sujet à interprétations morale et légales lourdes. C’était l’activité la plus répréhensible par le pays où nous résidions réellement qui avait court ici.
Celles qui souhaitaient mourir pour mettre fin à des souffrances extrêmes mais n’avaient pas la force de se suicider ; parfois elles me demandaient de les y aider.
Aux première demandes je refusais toujours.
Mais si ensuite avec le temps et la sérendipité ou les rencontres et activités ici n’y changeaient rien...
Si la souffrance continuait d’augmenter, que le désespoir devenait insoutenable, alors oui, je prenais sur moi de les aider...
Je l’ai choquée. Moi aussi j’en étais encore choquée. Mais je l‘avais fait.
Le désespoir et la souffrance peuvent devenir tels qu’il n’y a plus de bonne solution pour tout le monde. Des situations peuvent devenir terribles au point qu’il n’y ait pas de bonne solution...
Entre laisse souffrir quelqu’un sans espoir et l’aider à mourir si c’était son souhait, la situation pouvait souvent, le plus souvent être sauvée par des éléments inenvisagés. Comme un besoin utile de cette personne dans le groupe.
Mais parfois il ne restait plus qu’à choisir entre plusieurs solutions douloureuses et atroces pour l’une ou pour l’autre.
On pouvait l’abandonner à son malheur jusqu’à ce qu’elle en meurt de toute façon, par morale.
J’ai accepté de prendre sur moi quelque chose de très douloureux à porter. Je n’en tirais aucune fierté, et même des cauchemars au contraire.
Mais parfois c’était la seule chose gentille que je pouvais offrir quand tout le reste avait échoué, mettre fin à des souffrances par un trépas accéléré et contrôlé.
Des fillettes aux dames âgées. Je leur tiens la main à la fin. Elles ont peur de la douleur et du doute.
Parfois elles préfèrent même repartir au dernier instant, à mon soulagement, et dans les meilleurs cas parviennent à s’en sortir même. Frôler la mort peut débloquer quelque chose.
En tous cas je les rassure.
Et dans ces derniers pires cas, j’ai une bonne lame qui reste là pour cela.
Elle ne porte que les empreintes de ma main gauche.
La lame pique, la douleur ne dure pas longtemps une fois le cœur abimé.
Je les rassure sans arrêt.
Parfois elles me disent voir la lumière ou des couleurs, ou me remercient. Elles s’apaisent en perdant conscience comme si elles s’endormaient épuisées, et le sang coule.
Ce que je ne lui dis pas, c’est qu’ensuite, le sang coule vers le haut et l’obscurité, remontant le long des murs dans des lueurs étranges. Le sable est teinté puis asséché avec ce phénomène silencieux. Tout disparait.
Après quelques minutes, les corps peuvent être remontés.
Un espoir ni rêvé ni idéal s’en va.
Je ne souriais pas, je ne souris jamais en évoquant ces tristes fins d’histoires.
Quand elles sont trop malheureuses, parfois il est discutablement le meilleur choix restant que de refermer leur livre.
Survivre à tout prix n’a pas forcément un sens ou une valeur pour tous, et l’instinct naturel n’est pas une justification en soit, c’est juste un autre choix pour soi, ou une valeur que l’on souhaite imposer aux autres car c’est nous même qu’elle rassure.
La mort est le plus grand tabou et le plus puissant moteur des cultures et fois civilisationnelles.
Je refusais de lui donner un sens idéologique personnellement, la mort n’étant que la clôture de la vie et ne devant pas être sacralisée plus que cela.
Mais je rassurais tout de même les mourants en leur disant les mots qui leur convenaient le mieux pour trouver la paix. Ceux qui meurent près de moi, je partage toujours leur foi...
Je refuse de répondre à la journaliste lorsqu’elle me demande combien de personnes j’ai tuées.
Quelques-unes.
Quoi que je puisse me dire pour me rassurer, je souffre de ce poids honnêtement.
Je n’ai pas une foi assez forte dans l’idéologie qui m’a poussée à agir ainsi, pour ne pas culpabiliser.
Parmi nous quelques tueuses avaient été prêtes à se salir les mains à ma place. Pour ma conscience et la leur, je préférais assumer seule cet extrémisme de notre culture. Je ne voulais pas voir cela grandir.
Car je ne voulais pas que quelque chose de sinistre se perpétue après moi, et surtout pas quelque chose qui touche à ces passions les plus susceptibles de dériver. Sacraliser ou glorifier torture et mort sont des ciments culturels malsains pour moi.
Ce spectacle étrange du sang remontant les murs dans certains cas, je ne le partage pas pour la même raison.
Une dérive atroce est à portée de main. Je dois la cacher.
Ses deux dernières questions concernèrent ma croyance et mon idée de ce qu’il adviendrait après ma mort.
Pour moi les deux étaient liées. Je voulais que ma transcendance me suive dans l’oubli. Qu’elle périsse peu après moi ou continue de vivre aussi discrètement que par le passé. Mais surtout qu’elle n’évolue pas en forme de vie concurrente et avide de croissance.
Moi et mon idéologie, je préférais que l’on disparaisse et meure ensemble. Pas que quelque chose tente de me survivre en défiant la mort et toujours fuir comme le reste.
Quand à ma croyance... Je ne crois pas à l’au-delà pour moi, ni en dieu ni en sorcières.
Je crois que l’on rêve à l’infini pouvoir car la finitude du notre ne nous rassure pas du tout face au néant.
La fuite, c’est la soif avec une coupe qui ne se remplit jamais. C’est le premier des instincts.
Les promesses d’éternité sont un simple mensonge apaisant, pas une acceptation de la réalité.
La perpétuelle évolution du vivant est sûrement toujours mise en mouvement par cette fuite en avant ancestrale, primordiale. C’est moteur, je le reconnais.
Moi la compréhension et l’acceptation me rassure plus que la foi, car je doute toujours de tout. Mon organe de la foi a toujours été un peu déficient chez moi.
La confiance en découlait pourtant, à mon malheur.
Et l’apaisement possible dans ma civilisation d’origine en découlait sûrement aussi...
Tout est question d’équilibre, de contrebalancer des pressions, et le mien m’avait amené là, à force de choix et de recherches.
Ma croyance se résumait à priori à cela.
Rien, au-delà...
Mais alors cet endroit où nous étions, que représentait-il pour moi ?
Ce puit obscur. La porte close.
Dieu. L’ambition. La mort et ma mort future. La flamme. Le pouvoir. L’espoir. Un rêve.
L’avenir...
La source de mon pouvoir.
Le berceau où les rêves s’exaucent...
Cet endroit était tout pour moi. Et rien en même temps.
Cet endroit, c’était l’impureté du monde sur laquelle une perle pouvait éventuellement naître.
Comme tout l’argent du monde, cet endroit détenait un pouvoir virtuel pouvant cristalliser tous les fantasmes.
Mes images manquaient cruellement de clarté, comme toujours. Je lui ai présenté les choses autrement.
Cet endroit était celui où des rêves pouvaient éventuellement s’exaucer. Je ne pouvais pas le prouver, c’était simplement le lieu sacré et le support de ma croyance.
C’était le point d’ancrage sur terre de la transcendance incertaine à laquelle je contribuais. Mais je ne parlais pas là de la petite société en surface. Je parlais d’une autre idée.
C’était aussi mon lieu sacré. Personnellement, c’était l’endroit où j’étais le plus rassurée pour l’avenir, par ma confiance dans le souhait que je nourrissais ici.
~
L’avenir...
Elle me demanda mon avis.
Ce que j’imaginais qu’il puisse advenir à l’avenir après mon passage.
Je l’avais déjà vu en rêve cet avenir. Une possibilité peu probable parmi d’autres qui m’avait plus touchée.
J’ignorais le devenir des civilisations mais je ne les imaginais pas trop changer avant longtemps.
En revanche je voyais des couleurs se succéder après notre ère, dans une rêverie insensée mais jolie.
Je n’étais pas prophète, mais le jeu m’amusait car un rêve cryptique pouvait y paraitre intelligent.
Dans le lointain au-delà de notre époque grise et triste, je voyais la nuit tomber et une noirceur sinistre s’installer, chargée de souffrances. Ensuite, une aube blanchâtre se levait, et un sentiment de solitude m’envahissait.
Dans cette nouvelle journée, je voyais un ciel entre indigo et violet, suivi de paysages verts et bruns.
Enfin je voyais le jour se finir sur une belle couleur rouge.
Dans le dernier éclat soudain, je devinais l’orange au lointain.
Cette succession de couleurs floues était une vue du ciel multicolore qui me plaisait d’interpréter comme une vue de l’avenir après moi.
La journaliste voulait plutôt entendre mon avis concernant le futur du groupe et de ce lieu, au lieu de cette rêverie colorée.
Cela me fit rire.
Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’il adviendrait de ce lieu et de la petite société vivant là à l’avenir.
Je leur souhaitais une vie heureuse à toutes, là ou ailleurs. Probablement qu’elles se disperseraient avec le temps, une fois que moi et mon pouvoir illusoire auraient disparus.
Et ce lieu continuerait lentement d’être absorbé par le temps et l’érosion de la matière.
Tout finirait lentement par disparaitre, silencieusement.
Inéluctablement.
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