Ma maison - Partie 11
Elle tomba malade au réveil avec une rapide montée de fièvre.
Malgré la douleur, elle restait muette.
Je lui ai donné cette occasion de repartir en la laissant au village.
Je l’ai abandonnée à leurs soins en sachant pertinemment qu’elle ne reviendrait jamais.
Je ne pouvais rien faire médicalement, à part lui souhaiter de se remettre. Là laisser à eux était le seul choix à faire, même s’il ne copiait pas tout ce qu’elle aurait souhaité.
Avant de partir, mes derniers mots pour elle furent la suggestion de se libérer.
Libères toi, repars, sauves toi.
Je suis repartie dans la journée avec les lourds sacs de provisions troquées.
~
La cadette prit sa peine en silence. Elle était triste, même si une part d’elle également l’avait souhaité.
La benjamine commençait à se plaise à sa vie sauvage. Elle avait tempérament agressif qui pouvait surgir parfois, mais elle me respectait suffisamment pour arriver à se maitriser quand je le lui demandais.
Je repensais encore à ce que mon amie défunte avait dit.
D’autres allaient venir...
Mais mon appel était resté sans écho ou réponse manifeste et du temps était passé.
J’ai décidé un jour d’hiver à passer à l’étape suivante de mon pari Pascalien. A défaut de dieu, c’était un pouvoir dont j’aurais hérité.
J’ai laissé les filles qui me considéraient un peu comme une mère ou une grand-mère. Elles connaissaient les souterrains mais n’avaient pas tout visité encore.
Je leur ai dit à la façon d’un conte que j’allais me recueillir, prier, faire ma magie.
J’allais faire mon travail de sorcière.
Je leur ai montré le chemin jusqu’à l’entrée du précipice. Je leur ai dit que je passerais la nuit en bas et ne voulais pas être dérangée avant mon réveil.
Comme je ne leur avais pas encore enseigné toute l’histoire, elles ne comprirent naturellement presque rien.
Mon amie, je regrettais de ne pas avoir suffisamment apprit de sa sagesse et charisme spontanés.
Je devais expliquer mes actes et croyances, les mettre en forme dans cette culture. Je leur indiquais donc où j’avais rangé les écrits de mon amie, et leur demandais de les lire en mon absence.
Je les ai vues repartir déboussolées par mes explications manquant cruellement de clarté.
J’ai refermé la grille de l’entrée de la cage d’escalier derrière moi et je suis descendue.
Le silence et l’obscurité me devenaient si familiers à cet endroit.
On peut finir par apprécier de retrouver quelque chose qui nous oppressait pourtant...
Je me demandais si j’étais l’esclave devenue tyrannique une fois les pouvoirs renversés.
Peut-être que j’étais pire que dieu. Si ses ambitions avaient été malsaines, elle n’avait rien pu faire à d’autres.
Moi, aussi nobles que je puisse croire mes intentions, mes actes auraient toujours plus d’influence dans le monde qu’elle n’en avait eu.
En faisant plus, je ne pouvais qu’être meilleure et pire à la fois.
J’ai toujours voulue croire que la vraie sagesse était dans le refus d’agir. Cette conviction m’avait flattée et rassurée dans ma faiblesse.
Mais cela m’avait aussi apporté un idéal de douceur et d’empathie qui m’interdisait d’utiliser le pouvoir avec brutalité. J’évoluais doucement.
Une étape à la fois.
L’appel de reconnaissance n’avait rien donné.
Celui là, j’allais le faire plus fort, si une force pouvait être quantifiée. J’allais le faire plus clair et plus ouvert.
J’allais tenter d’envoyer un signal plus clair et visible, une invitation à venir voir à tous ceux qui l’entendraient.
C’était encore un pari relativement risqué, mais j’étais prête à le tenter. En calmant ma paranoïa, je ne pouvais pas raisonnablement m’attendre à voir un million de personnes débarquer dans les prochains jours après ça.
Le doute et la curiosité primaient. Une curiosité sur l’influence de cette nouvelle chambre obscure que j’ouvrais. Une curiosité sur les capacités réelles du pouvoir non physique sensé résider là et en moi.
Le sarcophage de l’amie n’avait pas changé. Le motif sur le sable s’était juste dissipé. Je l’ai machinalement retracé. Une odeur assez légère de mort s’échappait.
Peut-être devrais-je un jour descendre du bois et tout brûler.
Je me suis installée au milieu pour dormir. Ici j’étais en paix. J’étais chez moi. Comme en haut, mais en plus calme encore, et éternellement nocturne.
L’ombre de ma lumière à la surface était ici, ou mes racines dans le sol.
Le sommeil finit par venir, et le rêve messager commença.
~
J’avais toujours rêvé d’une société qui parvienne à diminuer ses inégalités et le malheur de ses plus faibles.
Quelque chose qui au lieu d’être une transposition ou une élévation des systèmes naturels, cherche à en corriger les instincts douloureux.
Quelque chose qui ne soit pas la continuation atavique des instincts vivants, opportunistes, égoïstes, poussés en avant par la mort.
Quelque chose qui accepte de changer le chemin pour s’attarder sur le choix du but comme des coûts.
Plus que la poursuite du bonheur par la course au rassérènement, matériel ou pas, envisager d’apaiser cette peur qui consume et torture tout ce qui vit, et pire encore tout ce qui pense.
L’apaisement par la croyance n’est pas toujours suffisant, cela dépend des gens et de leur asservissement.
Ce que j’ai toujours voulu, ce n’est pas clair. Je n’ai pas pu le résumer en un seul mot, une simple idée ou un seul ordre.
Cette idée confuse de diminuer les souffrances de cette innombrable masse vivante n’a rien de pragmatique. C’est né de ma douleur et de ma faiblesse, sans que j’ai les moyens de poursuivre cette idée de manière concrète.
Désormais je devais définir mes buts avec les moyens dont je disposais. Maintenant que mon passé et ma base historique, même si rendus féériques, existaient.
D’une façon ou d’une autre, quelle que fut mon ambition, j’allais me retrouver à diriger et prendre les commandes de ma petite transcendance.
Pas par goût du pouvoir mais responsabilité devant ma création, et peur qu’elle ne finisse mal pour tous ceux qui l’animent.
Un but. Des moyens, et mon commandement, tellement, tellement à l’encontre de mes instincts.
Je voulais partir dans la forêt comme un chien... M’enfuir.
J’étais fébrile face à l’incertain, nourris de mes doutes sans fin.
Je ne voulais pas construire une société et une croyance pour parvenir à mes fins. Je ne voulais pas m’exposer et assumer. Mais j’avais trop de probité pour abandonner ce que j’avais commencé et qui était maintenant concerné.
Aussi j’aimais trop cet endroit pour le quitter.
Changer les principes qui font évoluer le monde par la force, donc la friction et la douleur, c’était déclarer une guerre absolue contre la physique elle-même.
Tenter de suggérer comme un papillon le sens que l’évolution des espèces ou des sociétés devait emprunter pour les âges à venir, murmurer à la vie une douceur apaisante et insensible...
C’était mon rêve d’espoir au-delà de mes propres besoins.
J’espérais réduire ma part d’égoïsme en projetant mon ambition au-delà de ma propre personne, de mon espérance de vie et ma mort.
Mais d’ici là, pour avancer ce projet comme pour poursuivre ma vie et mon bonheur présent, j’avais d’autres besoins et envies. Et pour ma transcendance et ses habitants, cet objectif étrange ne les nourrirait pas.
Il fallait plus, il fallait autre chose de plus concret. Partager un rêve et une confiance en moi ne pouvait pas suffire.
Et même si je ne les aimais pas, je désirais leur apporter mon aide et les apaiser.
Je désirais aider à trouver un peu de paix à toutes les créatures qui pouvaient m’évoquer mes propres souffrances passées. Mon ambition n’était qu’une version extrémiste de mon rêve au présent. Ce rêve maternel de réconforter celui que je vois pleurer et qui m’évoque ma propre tristesse passée.
Ma vie trouvait un sens dans ce souhait d’offrir quelque chose de doux qui m’avait tant manqué. A quelques personnes. Peut-être à plus. Jusqu’à combien de personnes pouvais-je accueillir dans ma société tout en conservant son efficacité ? Pour moi, pour elles, et pour mon ambition.
Je ne me souviens pas bien de ce que j’ai rêvé cette nuit là. Peut-être que j’ai involontairement révélé certaines étapes de mon plan mais j’en doute. J’ai parlé en tout cas.
Je me suis montrée, sortant de l’ombre et du symbole qui me succèderait en silence à jamais.
Après moi ne subsisteraient que ce signe et le silence. Et peut-être un espoir diffus, imperceptible mais croissant.
C’est tout ce que je souhaite.
Mais d’ici là, j’ai parlé pour moi-même et mon rêve. J’ai invité tous les désespérés sensibles du monde comme moi à venir nous retrouver.
J’ai invité ceux nageant entre désespoir et espoir comme moi autrefois à suivre les traces qui les mèneraient jusqu’à moi.
Là où je commençais sans vraiment y croire à construire une nation, que j’allais tenter de maintenir paisible. J’allais m’efforcer d’y parvenir, mais je ne pouvais pas raisonnablement le promettre aveuglément ou à jamais.
Je ne pouvais ni ne voulais promettre une utopie. Je pouvais seulement proposer une tentative de vivre différemment. Et en croyant en l’état d’esprit particulier qui rassemblerait ceux qui venaient là, je pouvais espérer que quelque chose de pas désagréable puisse arriver.
Sans promesses d’éternité, une aventure pouvait commencer. Avec un peu de chance, elle pouvait bien réserver quelques surprises.
J’ai offert ce choix, cette proposition à ceux et celles qui atteignaient les limites de leur espoir en la vie au sein de leurs cultures présentes. Ceux qui regardaient déjà au loin en s’interrogeant, pour qui je pouvais être une idée.
Peut-être que quelques-uns m’entendraient. Peut-être que quelques-uns parmi eux viendraient.
Peut-être qu’ensemble, une petite société se construirait par là.
Il n’était pas insensé de bâtir quelque chose qui trouve une place discrète et harmonieuse entre ce pays, les villages alentours et cette vaste région peu habitée.
C’était ambitieux, c’était très improbable et pragmatiquement voué à l’échec sur le long comme sur le court terme.
Mais ce n’était pas impossible, même sans pouvoir magique...
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A défaut d’avoir jamais eu l’âme ou l’étoffe d’une chef, j’ai dut me construire ma détermination et la confiance que j’inspirais.
Je n’étais pas leader née et mon charisme était relativement mauvais. Je pouvais avoir un charme étrange, mais cela ne suffirait jamais.
Ceux qui viendraient éventuellement dans ce pays auraient un caractère et une expérience très différents de ceux que j’aurais connus dans ma région natale.
Mes paroles et mes idées ne pouvaient pas convenir à tous de toute façon, mais sembleraient probablement assez juste pour les rares personnes à venir.
Je pouvais très bien me contenter des exclus et des marginaux d’autres cultures qui se retrouveraient à venir là.
Les fillettes me retrouvèrent avec étonnement et plusieurs jours d’absence selon leurs dires.
Elles avaient lu les écrits de mon amie durant mon absence, mais sans pour autant commencer à embrasser corps et âme la foi qui y était suggérée.
Elles ne suivraient pas une religion écrite sur du papier, mais ce que moi je leur dirais, aussi longtemps que je serais respectueuse envers elles. Qu’importe le message en réalité, c’est le messager qui fait germer la foi.
La foi envers une cause n’était qu’à la mesure de la confiance portée à celle qui leur en parlait.
Elles me remettaient au centre de tout à mon désarroi. Moi, l’humaine qui doutait de tout et ne croyait en rien.
On croyait en moi...
Nous avions toutes cherché quelqu’un en qui avoir confiance. Quelqu’un que l’on ait envie d’accompagner parce qu’elle nous rassure. La personne plus que ses mots ou ses désirs, tant qu’ils ne heurtent pas excessivement les nôtres. Quelqu’un qui donne envie de partager sa transcendance, donc sa culture et ses croyances.
Je comprenais que les écrits de mon amie ne servaient pas comme je l’avais cru. Dieu ne parle pas aux humains pour faire vivre une foi. Ce sont les humains qui parlent aux humains. Les écrits servent après, à garder les définitions de cette transcendance pour qu’elle ne se diversifie pas.
De la même façon, les écrits de mon amie ne serviront pas à rallier qui que ce soit à nos idées. Mais ils serviront éventuellement plus tard à éviter que la transcendance ne se disperse ou se transforme d’une façon qui m’inquièterait.
Je leur ai expliqué au cours de l’hiver l’histoire de ce lieu, et l’histoire de ce pouvoir. Je leur ai raconté directement.
C’était un conte qui leur plaisait, en maintenant la promesse déjà partiellement exaucée que nous accorderions leurs souhaits, ce lieu et moi.
Comme nous promettions également un refuge contre certaines souffrances de la société aux personnes qui viendraient.
Je les ai invitées à contribuer au plan de bâtir ce refuge ici, un lieu d’accueil pour les émigrés comme elles ou moi.
Un beau projet et un vaste chantier. Quelque chose d’apaisant aussi longtemps qu’elles préfèreraient y contribuer.
Et moi je commençais à guider quelques âmes autres que la mienne. Au moins, le chemin me convenait.
Mais je repensais à dieu dans l’obscurité. Je gardais des sentiments ambivalents envers ce que je devenais.
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