Ma maison - Partie 3
L’humidité des pluies et de la neige fondante embrumait le territoire devenu ruisselant.
Je prévoyais à l’été d’assécher et retravailler certaines pièces de mon habitat, mais en attendant je devais supporter une hydrométrie assez élevée partout.
Des gros insectes que j’aurais cru n’exister que sous les tropiques se sont réveillés aux alentours de mes pas ces jours là. Il faisait pourtant encore bien froid, mais ceux-là émergeaient déjà. En fait certaines espèces ne sortaient à l’air libre que quelques jours par an. Ces gros mille-pattes en faisaient apparemment partie. Ils allaient se gaver de jeunes pousses avant de disparaitre jusqu’à l’année suivante. Cela avait quelque chose d’amusant.
Les ruines de la ville ou le champ de décombres pulvérisés pour être plus précis, fut de nouveau révélé. La neige ne le cachait plus. Mais la végétation gagnait un peu plus de terrain chaque année sur ce désert, à son rythme lent.
Il pleuvait ces jours-là. Je redécouvrais mon chez moi avec un intérêt s’approchant de l’émerveillement. Tout avait un petit peu changé par rapport à mes souvenirs. Tout avait évolué.
Je faisais un nouveau tour de tout le domaine pour tout redécouvrir.
Par la route de mon arrivée, je retrouvais les carcasses encore un peu plus dissimulées par la forêt.
L’air humide transportait mille parfums de terre, d’humus, de moisissures, de champignons.
Pas encore d’odeurs sucrées d’été, mais quelque chose de plus proche du sol voir de souterrain.
Les racines se réveillaient.
J’arpentais durant ces quelques jours la région sous une pluie intermittente mais légère. J’ai escaladé la falaise par l’endroit que je savais le plus aisé.
Au sommet, quelques mètres plus haut, j’ai revu la plaine balayée par le vent comme si des courants marins parcouraient la surface de l’herbe.
Le paysage forestier tout autour de nouveau révélé. Au loin au nord, je devinais ce qui était peut-être la plaine du village Komis.
Le vent soufflait un monde de nuage au-dessus de moi. Certains laissaient une part d’eux même pleuvoir aux alentours. Je respirais bien en regardant le soir là arriver. La nuit allait bientôt commencer à s’installer et je voyais l’orage arriver. Je devinais sa musique au loin. Sa venue m’excitait comme une nefant prête à jouer.
Et ce jour là, j’ai aussi senti autre chose.
J’ai senti dans l’air une très légère et lointaine odeur de brûlé. Une odeur presque indicible mais trop inhabituelle pour ne pas la remarquer.
J’ai flairé l’air et scruté la forêt. Mon regard a fini par repérer une couleur peut-être significative au loin à l’est. Pas si loin en fait, juste au-delà de la ville, près d’une ancienne station radio en ruines.
Une fumée. Un feu. Une odeur de plastique brûlé...
La présence d’un étranger sur mes terres !
Je n’étais pas enragée mais légèrement paniquée et stupéfaite.
Mon cœur pulsait fortement comme si la foudre était tombée juste à coté.
En réalisant ce que j’avais vu, j’étais déjà en train de courir.
J’ai sauté entre les rochers pour descendre, à plusieurs reprises. Ma capuche se retroussait à cause de mes mouvements trop vifs.
J’ai couru dans la direction de la ville au lieu de rentrer chez moi. J’avais peur de ce que j’allais trouver, mais la curiosité était trop forte.
Plutôt que de me terrer dans la hantise ou d’aller m’armer pour chasser l’intrus hors de mon territoire, je voulais découvrir qui c’était. Et j’avais hâte. J’étais bizarrement aussi joyeuse qu’à l’idée de voir l’orage arriver de découvrir quelqu’un qui soit venu jusqu’ici.
Une rencontre, une découverte. Une curiosité vu l’endroit reculé. Une menace peut-être. Mais peut-être pas.
J’ai traversé la ville fantôme en trottinant, rabattant la capuche de mon manteau sur mes cheveux mouillés.
J’approchais de ma première grande surprise dans ces bois depuis longtemps.
~
Je me suis faite plus discrète une fois à proximité. J’ai marché sans dépasser le niveau sonore de la pluie ambiante. Je me suis faite chasseuse, lente et précautionneuse à nouveau... Comme la première fois dans ces bois... Le souvenir me faisait frissonner de plaisir.
Je découvrais cette présence avec la même excitation qu’à ma découverte de chez moi, de ces bois, de ce paysage passé d’un monde à l’autre autrefois...
La nuit commençait aussi à me dissimuler.
Très doucement, j’ai cherché cette présence tout en restant prudente sur ce qui m’entourait.
Mon cœur me pinça de nouveau de surprise quand je découvris qui était là.
J’avais craint des soldats ou des bandits.
Je trouvais une jeune fille mal équipée pour camper. Elle avait une tente de loisirs mais rien pour cuisiner et des chaussures de ville déjà trempées aux pieds.
Sa présence ici n’était pas normale.
Elle réchauffait une boite de conserve dans un feu mal préparé. Heureusement que tout n’était pas sec ou elle aurait mis le feu à la forêt.
Je l’ai observée un petit moment, un peu étonnée.
Elle avait l’air d’être seule. La nuit tombante, personne ne la rejoignait. Son téléphone sonna.
Elle refusa l’appel. Une sonnerie différente se fit entendre peu après. Elle répondit.
Je compris qu’elle disait être partie. Je n’ai pas tout saisi à cause de la langue et de la pluie, mais je l’ai distinctement entendue pleurer et dire adieu à la personne à qui elle parlait.
Une fois l’appel fini, elle jeta son appareil sur le côté, dans ma direction sans me remarquer dans l’obscurité.
Me tournant le dos ensuite pour tenter de sauver son feu de la pluie, elle m’offrit le temps d’aller ramasser l’appareil. J’étais curieuse et chapardeuse maintenant.
Je ne connaissais rien à ces technologies luxueuses. L’appareil ne réagissait pas. Il était probablement inactif donc je le mi dans ma poche sans craindre qu’il ne sonne.
J’ai hésité un long moment sur ce que je voulais faire.
Comment souhaitais-je réagir à sa venue ? Sa présence était-elle compatible avec mon existence ?
J’ai dut réfléchir rapidement sur ce que je voulais faire d’elle puisque je n’avais pas pensé à cette éventualité de rencontre auparavant.
Ce que j’ai vu chez elle m’évoquait quelque chose de plutôt triste.
Pas de menace claire, mais rien que je ne recherchais non plus. Juste de la tristesse. Elle l’était clairement pas à sa place ici et je n’avais pas besoin d’elle ou de ce qu’elle possédait. Je le réalisais en observant ce téléphone de nouveau.
Je pouvais l’ignorer et la laisser passer son chemin.
Mais son chemin risquait d’être pénible... Elle n’avait probablement qu’un mauvais sac de couchage et pas de chaussettes de rechange. Et si j’avais bien compris ce qu’elle disait, elle n’espérait pas forcément sortir un jour vivante de cette forêt isolée. Je n’avais pas envisagé que celle-ci puisse devenir un lieu de suicides.
En fait, dans tous les cas, je pouvais la laisser faire à sa guise sans craindre vraiment qu’elle ne me gêne.
Mais... Je pouvais aussi essayer de l’aider.
Parceque j’en avais les moyens et l’empathie nécessaire. Peut-être même la sympathie.
Cette fille avait une histoire à raconter que j’étais un peu curieuse de découvrir...
Et quoi que fut le but de son voyage, je pouvais l’aider au moins pour ce soir d’orage.
J’ai dut me décider rapidement et assumer les risques inhérents à mon choix hâtif.
J’ai choisi de la rencontrer.
J’avais envie de la rencontrer.
Avant que son feu ne s’éteigne définitivement. Elle tentait de s’abriter sous des bâches en plastique qui brûlaient. Des sacs poubelle.
L’orage commençait à gronder à proximité.
Ses essais ne fonctionnaient pas. L’eau tombait sur les braises. Le feu agonisait.
Avant que l’obscurité ne gagne, je me suis montrée dans son campement.
Elle a eu peur et reculé instinctivement. Je lui ai rendu son téléphone en l’envoyant doucement à ses pieds.
Elle l’a regardé puis m’a regardée. Je souriais un peu timidement. Je savais que je ne pouvais pas me montrer insistante.
Je lui ai dit le plus clairement possible qu’elle pouvait rester dormir là si elle le souhaitait. Mais qu’avec l’orage, un abri plus solide était préférable. Si elle préférait la nuit sous un vrai toit, je l’invitais à me suivre jusqu’à chez moi, lui montrant le chemin avec un bras.
Si elle ne souhaitait pas me suivre, je lui disais comprendre et que je repasserais au matin pour voir comment elle allait.
Elle m’avait écouté sans rien dire, sans bouger et sans cligner de ses yeux qui posaient leur regard insistant sur moi.
Son feu s’éteignit. Elle émit un appel apeuré.
J’ai allumé ma petite lampe torche et lui ai demandé si elle en avait une.
Elle était à terre, trempée. Elle hésita et fini par balbutier un non.
Je lui ai jeté ma lampe à ses pieds. Elle a hésité puis l’a ramassée. Elle m’observait avec craintes.
A - Je comprends très bien que tu ais peur de moi...
Mais si elle souhaitait me suivre pour dormir à l’abri chez moi, il fallait qu’elle fasse son choix en dépit du risque.
Je me suis retournée et j’ai fait quelques pas lents. L’orage tonnait, la pluie devenant plus forte.
Je me suis tournée pour voir. Elle était apeurée et restait là au sol sous la pluie, m’observant toujours avec crainte. Si je m’approchais, j’allais la faire paniquer.
Je ne pouvais rien faire d’autre pour lui inspirer la confiance que de la laisser choisir par elle-même.
Elle ne venait pas et j’ai avancé d’encore quelques mètres dans l’obscurité.
Je l’ai entendue crier, me demandant de l’attendre. J’ai fait demi-tour. J’étais un peu soulagée en réalité.
Elle remballait ses affaires à la hâte. Je l’ai attendue. Elle pleurait.
Elle me demandait si j’habitais près d’ici en repliant sa tente. Je lui ai dit avoir ma demeure plus loin, qu’il faudrait marcher un moment tout de même.
Elle bégayait, paniquée. Elle disait en même temps plusieurs choses et je comprenais encore moins. Je lui ai dit de respirer. Nous parlerions une fois à l’abri.
Elle acquiesça en bégayant encore, épaulant son sac. Je lui fis signe de me suivre et commençais à marcher en tête dans l’obscurité.
~
Elle me dit plus tard que ce voyage nocturne fut le plus étrange de toute sa vie.
Elle était épuisée et apeurée par la nuit, la tempête, le froid et l’inconnu. Et la faible lumière de sa lampe éclairait au travers d’un ou deux mètres de ténèbres grisés par l’averse ma silhouette sombre, calme, avançant d’un pas tranquille et décidé au travers de la noirceur totale.
J’avançais en sachant exactement où j’allais alors qu’elle ne pouvait pas se sentir plus perdue ni rien voir de remarquable dans le décor pour s’orienter. Me suivre dans cette tourmente avait quelque chose de fascinant a ses yeux.
Nous quittâmes les bois de l’est pour pénétrer le champ de gravats. Ma silhouette devenait le seul repère au milieu des ténèbres, le faisceau de sa lampe ne croisant plus aucun arbre ni repère.
J’ai vu qu’elle avait peur pendant que nous marchions là. Elle regardait aux alentours et était effrayée de ne plus rien voir à part des roches accidentées au sol et mon dos à quelques pas réguliers devant elle.
Elle suivait ma présence fantomatique avec la peur au ventre. Je devais garder un pas lent pour ne pas faire de faux pas, mais cela devait accentuer l’ambiance horrifique pour elle.
Elle a fini par demander avec une voix tremblant beaucoup où nous étions, pourquoi il n’y avait plus d’arbres ni rien d’autre ici.
Je lui ai d’abord dit de faire attention à où elle mettait les pieds. Ensuite, quand elle faisait plus calmement alterner le faisceau de la lampe entre mon dos et le sol à ses pieds, je lui ai répondu. Il y avait eu une ville autrefois ici, il y’avait bien longtemps.
Elle a parlé de fouilles archéologiques. Je lui ai confirmé que c’était en quelques sortes cela en effet.
Elle trébucha et perdit la lampe. Elle cria à l’aide. J’ai récupéré la lampe et l’ai retrouvée. Là je lui ai tendue la main pour l’aider à se relever. Elle l’a prise sans réfléchir.
Je l’ai soulevée, presque au-dessus du sol tant elle était légère.
Je lui ai remis la lampe dans la main.
Elle m’a demandé très craintivement pourquoi je n’en avais pas besoin pour éclairer le chemin.
Sans me retourner pour répondre, je lui ai dit que je connaissais bien la région car je vivais là.
Pour surveiller les fouilles, le site de la ville, elle concluait d’elle-même à voix haute, faisant mine de comprendre.
Je me suis demandée si ce que j’aurais dut surveiller n’était pas plutôt ailleurs...
Nous avons rejoint les bois de l’autre côté.
Cela la rassura probablement un peu mais elle fatiguait. Je lui ai dit que nous étions bientôt arrivées, que ma maison était dans ces bois.
Elle continua de me suivre, essoufflée et épuisée, au travers des bois de plus en plus denses. J’utilisais bientôt mes mains pour me diriger entre les arbres très rapprochés de ce côté-là. C’était presque comme suivre un long couloir chaotique et forestier.
Enfin, après cette éternité dans la nuit hostile et glacée, nous sommes arrivées.
Sa lampe a suivi les murs encastrés entre les arbres, puis rattrapé son retard sur moi rapidement. Elle était intriguée mais d’abord apeurée et en danger par cette mauvaise nuit.
Ma vieille porte retapée s’ouvrit sur la grande pièce à vivre. Je lui tenais la porte. Elle hésita puis entra en passant devant moi.
J’ai allumé ma lampe à pétrole. La lueur chaude éclairait bien le lieu. Elle éteignit la lampe torche et découvrit les lieux.
Je me rappelais soudainement ce que m’avait dit mon amour en découvrant ma chambre d’enfance pour la première fois et mon cœur se serra.
Je posais la lampe torcher sur un meuble près de l’entrée, à proximité de mon poêle à bois. Je commençais à l’allumer. Je lui ai dit qu’à priori elle pourrait dormir dans une chambre à l’étage, mais que vue comment elle était trempée, il valait sûrement mieux qu’elle se sèche et réchauffe ici d’abord.
Elle acquiesça, glacée et tremblante.
Elle regardait autour d’elle en hésitant à se déplacer.
Je l’invitais à poser son sac et venir s’asseoir sur la pile de bois faisant office de sofa. Une épaisse couverture était pliée là pour s’y asseoir.
Elle s’exécuta, regardant encore autour d’elle avec une curiosité mêlée de crainte. Les murs recouverts de mousse avaient un aspect surréaliste et incompréhensible sous cette lumière faible.
J’ai fait grandir le feu et suis allée lui chercher de quoi se sécher et se changer.
Elle n’était pas encore à l’aise bien sûr. Elle ne pourrait sans doute jamais complètement l’être ici.
Je ne suis même pas sûre que de découvrir mon visage et mes cheveux sans la capuche une fois mon manteau enlevé contribua à la rassurer.
Elle sursauta quand je réapparu à proximité avec une serviette pour elle. Je lui ai posé à côté du poêle. Je lui ai dit que j’allais lui chercher des habits et des couvertures.
Sur les escaliers, je me suis retournée et j’ai vu qu’elle m’observait.
Je lui ai dit que je comprenais qu’elle ait peur de moi et de l’endroit, donc qu’elle prenne le temps de s’habituer pour se rassurer. Elle pouvait.
Quand je suis revenue elle n’avait pas quitté ses vêtements trempés. Les miens étaient imperméables mais je me suis aussi changée dans la pièce pour lui montrer l’exemple. Je lui suggérais de faire de même sans trop insister en voyant qu’elle ne bougeait plus, ou n’osait plus réagir exactement. Elle avait peur à en être littéralement paralysée.
Je lui ai installée des couvertures là et lui ai dit qu’elle pouvait rester là ou aller s’installer dans une des chambres vides de l’étage avec ses affaires, une fois séchée et réchauffée, si elle préférait. Je lui ai signalé où j’allais moi dormir et j’y suis allée.
En me couchant, je me disais qu’il n’était pas facile d’apprivoiser un animal sauvage, mais pas forcément plus simple d’en apprivoiser un civilisé.
~




