Ma maison - Partie 2
Au matin, tout était plus silencieux qu’à l’accoutumée. Je suis montée.
La porte du toit grinça sur un monde éclatant de luminosité. Il avait neigé. Les reflets de diamants et perles m’éblouissaient.
Je n’avais jamais vu de tel paysage. Les contrastes entre terre sombre, sommets saupoudrés et ciel n’avaient jamais été aussi forts.
Mon souffle faisait de la brume dehors et de la buée sur les vitres.
Je n’avais vraiment pas envie de descendre dans les mines pour hiberner désormais, même si je savais qu’elles étaient plus tempérées. Je ne souhaitais pas redescendre à cet endroit, et j’en avais déjà remonté tout ce qui pouvait être utile.
Je n’avais pas encore trouvé d’utilité aux nombreuses plaques d’avertissement de danger radioactif, mais leur caisse en revanche me servait de meuble désormais. Peut-être que j’en ferais des tuiles quelque part.
Avec des réserves de nourriture encore assez modestes, je sortais récolter ce qui pouvait encore l’être, et ramener du bois. Il n’y avait plus rien à récolter. Il me fallait donc chasser désormais, et pêcher avec modération si je ne voulais pas dépeupler le lac. Mes élevages de poissons allaient devoir attendre le printemps.
Je suis partie au nord est dans la forêt, bien habillée, hache accrochée au sac à dos.
Je suis partie plus loin que d’habitude. Avec ces couleurs changées et clairsemées, j’avais envie de me promener, d’errer, d’aller voir plus loin que d’habitude.
J’ai ramassée une longue tige métallique qui sortait du sol. Un ossement du grillage délimitant la région interdite.
J’ai bien fait de l’emmener avec moi. Je m’en suis servie de bâton de marche et de repère pour mes randonnées en la transformant en drapeau.
J’explorais désormais la forêt s’étendant au nord au-delà de ma région habituelle, au fil des jours suivants.
Et un jour, j’ai fini par croiser la route de quelqu’un au bord d’un ruisseau.
Une femme habillée de couleurs vives et chaudes. Elle était sur l’autre berge. Elle nettoyait quelque chose.
Elle a eu l’air visiblement surprise en me voyant, puis m’a invitée à me rapprocher. Le visage toujours emmitouflé, j’ai traversé le ruisseau entre quelques rochers et me suis rapprochée.
Je ne comprenais pas sa langue, mais un peu sa gestuelle.
Je lui ai montré mon visage et j’ai parlé un peu, du peu que je connaissais de la langue du pays.
Elle a eu du mal à me répondre clairement. Elle voulait que je la suive, mais je ne le voulais pas. Je refusais de la suivre au village dont elle venait.
Elle m’a demandé d’où je venais. J’ai hésité à lui répondre. J’ai eu un mauvais pressentiment.
Je lui ai pointé l’ouest au lieu du sud.
Elle a eu l’air très étonnée.
J’arrivais péniblement à lui faire comprendre que je voulais bien acheter à manger un prochain jour si elle revenait. Elle voulait que je l’accompagne au village pour commercer.
Mais je ne pouvais pas.
Je ne voulais pas quitter ma maison. Je voulais parvenir à vivre chez moi.
Mon entêtement triste me mettait mal à l’aise. Je m’obstinais dangereusement.
Je devais faire des concessions. Malgré mes craintes à l’idée de rejoindre la civilisation, je l’ai suivie.
~
Finalement à moins d’une journée de marche de chez moi, nous avons atteint son village au soir.
J’ai été surprise en ne voyant que des bâtiments en bois et rien de très moderne.
La dame m’invita chez elle pour poser mes affaires, puis dans le hall du village où tout le monde vivait et dînait ensemble apparemment.
Il y faisait bon.
J’ai défait mon écharpe qui me couvrait cheveux et visage.
Il y eut un instant calme quand certains me découvrirent là.
Une seconde de silence surpris.
Mon cœur battait vite. J’étais inquiète. Mais je me sentais aussi forte au même moment. J’avais du courage qui me gonflait la poitrine.
J’ai vu dans un reflet mes cheveux avec des mèches grises au cœur déjà blanc qui me donnaient un aspect un peu sans âge. Mon visage avait muri mais je restais de traits assez jeunes, quand mes cheveux donnaient une impression d’âge bien plus grand. Le résultat me rendait singulière à leurs yeux manifestement.
On m’invita à manger. Je les remerciais mais on ne parlait pas très bien la langue du pays. Ils faisaient partie d’une ethnie ayant gardé sa propre langue. Leur village en particulier connaissait peu celle du pays.
S’ils avaient peu de liens avec la nation au-dessus, cela m’arrangeait. Je voulais rester en paix chez moi et que le gouvernement ne soit pas au courant de ma vie dans cette région était probablement préférable.
En revanche après ma légère paranoïa sociale, un peu de commerce pragmatique pouvait m’aider à passer l’hiver.
Là je n’avais rien à offrir à part mon drapeau improvisé.
J’ai compris lentement au cours de la soirée que le métal pouvait les intéresser.
J’ai passé la nuit là, dans un lit, sans arriver à dormir. Je n’étais plus à l’aise entre des draps propres, si loin de chez moi.
Cette maison m’était trop étrangère malgré son confort. Je voulais sortir. Je voulais repartir.
Au milieu de la nuit, je me suis levée et j’ai hésitée en regardant la nuit dehors.
Je voulais rentrer chez moi.
Rester là me faisait aussi mal au cœur qu’être séparée d’un amour fort sincère.
C’était un drôle de charme qui s’opérait en moi, alors que j’aurais pu être bien là, parmi eux, à l’écart du monde dans une tribu à priori calme.
La dame que j’avais rencontré avait été sympathique et curieuse, mais cela n’avait pas suffi pour me faire changer d’avis. Même si je voulais profiter raisonnablement de leur présence et de leur amabilité pour améliorer mes chances de survie et conditions de vie chez moi ; ce désir enfantin de rentrer à l’abri que j’aimais m’animait.
Je voulais rentrer comme un enfant veut revoir sa mère après une longue absence. Il y’a un désir de sécurité mêlé et nourrissant l’amour filial.
Je n’avais pas vraiment changée. J’avais jute enfin trouvée l’endroit où mon cœur se reposait.
Ma maison. Cette maison et ce terrain. Au-delà de cette forêt glacée par le début de l’hiver.
Je ne suis finalement pas partie au cœur de la nuit.
Car j’avais la chance à ne pas négliger de me faire des alliés. Ils étaient une culture un peu à la frontière de celles plus modernes, mais moins que moi qui en était presque affranchie. Ils pouvaient être mon interface avec le reste de la civilisation, mon relais.
Pour que chacun puisse continuer d’exister où il lui plait.
J’ai eu du mal à me faire comprendre.
En voyant leurs réactions quand je m’apprêtais à repartir non par la route mais vers les bois dans la matinée, je vis qu’ils n’avaient pas bien compris ce que j’étais.
J’avais écrit sur du papier ce que je voulais et ce que je pouvais éventuellement commercer avec eux.
Je n’avais presque rien à offrir de valeur, à part du métal. Mon drapeau les avait intrigués, et du métal je savais pouvoir en récupérer abondamment.
Nous nous séparâmes sur un accord de troc par forcément bien compris par aucune des deux parties. Mais ils avaient la feuille et nous allions tenter un échange.
La dame me raccompagna au ruisseau. J’ai vu qu’elle vérifiait divers pièges et appareils de recherche scientifique le long du chemin.
Au ruisseau elle préleva un échantillon d’eau avant de me dire au revoir.
Je lui ai donné mon drapeau et je suis partie. Quand je me suis retournée pour vérifier qu’elle ne me suivait pas, j’ai vu son dos au loin qui retournait déjà au village.
~
Je suis rentrée dans ma maison glacée au soir.
Avant de me coucher, je suis allée à la station d’épuration ramasser quelques pièces métalliques pas trop abimées.
Une plaque du genre de celles des égouts dans les rues, de bien vingt kilogrammes, me semblait bien mais un peu lourde pour porter aux bras. Je la sanglais bien dans le sac rembourré de feuilles et l’emportait.
Le lendemain matin, je suis repartie sur mes traces vers le nord en contournant le plateau en haut duquel j’étais rarement allée. Il y’avait une belle vue cela dit là haut. Une vaste plaine ouverte sur le paysage plus au nord et sans fin du pays. Quelques ruines étaient couvertes d’herbes au sommet, et rien d’autre.
J’avais été trop occupée pour aller profiter de la vie là haut ces temps-ci, mais ce plateau avait de beaux ciels et paysages à offrir.
De la vapeur se condensait quand je soufflais. La lourde plaque en fonte me faisait mal au dos.
Mais si le métal avait de la valeur pour eux, pour mes nouveaux amis... Alors je pourrai vivre en relation avec eux. Je pourrai vivre, je me disais.
Si nous nous étions suffisamment compris, car j’en doutais encore fortement.
Je me suis fait mal au dos en rejoignant le ruisseau. Je l’ai traversé et j’ai continué péniblement.
Je m’essoufflais et je fatiguais.
Ma peau avait froid à cause de la sueur glacée. Mon cœur brûlait en pulsant.
Un homme du village m’a trouvée. Il a pris mon sac pour me soulager en riant sous sa barbe. Je l’ai remerciée et ensuite suivi. Il n’a rien dit d’autre.
Au village, j’ai reconnu quelques visages de la fois précédente.
Quelques personnes examinaient la plaque tandis que je me reposais dans la grande salle. Ils en avaient l’air content et la mirent aussitôt dans le coffre d’une camionnette.
On m’apporta un grand sac plastique rempli de boîtes de conserves en échange.
J’imaginais mal que mon métal puisse valoir autant de nourriture. C’était surréaliste.
J’ai compris beaucoup plus tard que la plaque en question n’était pas faite en fonte mais d’un alliage improbable d’acier au tungstène et au chrome, ou quelque chose comme ça. Je l’avais choisie pour son bon état mais elle était bien plus que du simple fer. C’était un alliage de qualité industrielle peu commune.
En discutant le soir autour de boissons aromatisées bien chaudes, j’ai appris et compris que toute la région autour d’eux était interdite, à part pour le nord. Et qu’en plus d’être un vaste territoire inhabité, il n’y avait que ce village avant de très longues distances.
Mais j’ai surtout compris entre les lignes que la région au sud était plus que légalement interdite.
Il y avait autre chose pour eux dans cette direction. Je n’ai pas bien compris quoi. Je n’étais pas certaine que ce fut seulement la radioactivité présumée.
En tout cas ils s’aventuraient encore moins vers le sud qu’à l’est et l’ouest.
Je n’ai pas beaucoup parlé de moi mais ils avaient compris que je braconnais pour vivre en ermite dans la région.
Cela les dérangeais moins que de le faire eux même. Cela les arrangeait même si je pouvais sortir pour eux quelques richesses interdites de la région sans trop s’en occuper.
La ressource la plus intéressante était dans les métaux déjà usinés et pas trop rouillés, indiquant des alliages. C’était manifestement une vraie richesse qu’ils ne voulaient pas trop aller chercher dans la région mais étaient très volontiers intéressés à racheter.
Eux le revendraient en ville au nord de temps en temps désormais. Ils en tiraient des profits substantiels pour tout le village.
Nous commencions à former un engrenage organique où tout le monde y gagnait.
J’étais la première étape, l’autotrophe qui tirait ses ressources de la terre. Après moi ils se sustentaient de ce que je produisais. Derrière eux, en ville, un industriel peu soucieux des détails fermait la marche.
Un système encore assez simple mais organisé venait désormais compléter mon approvisionnement pour ce que j’étais incapable de produire par moi-même. Des flux bénéfiques.
J’avais fait des concessions sur mon isolement mais gagné beaucoup de confort et de chances de survie, rien qu’avec ce premier sac de nourriture...
D’autres allaient suivre.
~
Au fil des mois d’hiver, nous apprîmes à mieux nous connaitre et mieux nous comprendre.
Tout se simplifia quand ils m’offrirent un chalumeau à l’acétylène. Là j’ai pu commencer à récolter méthodiquement ce qui était à la fois mon gisement principal, ma monnaie, et la preuve résiduelle qu’une ville sans doute prospère avait un jour existé là. Cela ne me gênait pas de contribuer à l’effacer.
C’était les réseaux de rails de trains au sud de la ville disparue.
Au risque de me brûler, j’ai pu commencer à trancher les lourds rails en morceaux transportables. Là j’avais des kilomètres de métal, des tonnes de monnaie disponible.
C’était une forme de braconnage ou de pillage que je faisais, mais aussi de recyclage. Mon égoïsme taisait mon éthique.
J’aurais préférée être capable de vivre en autarcie sans laisser de traces, mais qui peut vivre sans rien consommer de ce qui l’entoure ?
Le temps d’arriver à créer mon système autosuffisant, j’étais résolue malgré ma peine à consommer certaines des ressources dont je disposais.
La vie est opportuniste. Elle va toujours au plus facile quand la chance se présente à elle.
Je me sentais mal à l’aise face à ça.
Je me promettais de tarir cette consommation sitôt que j’aurais de quoi vivre pérennement. Je ne profiterais de cette ressource que le temps d’amorcer mon cycle et système. Pas plus. Je n’allais pas courir après toujours plus de confort ou de profit pour tenter de rassurer une volonté de croissance ou des craintes insatiables.
Celles de mourir de froid, de faim ou de maladie en revanche, m’en prémunir était raisonnable. Je n’avais aucun désir d’ascétisme particulier.
Les échanges furent réguliers au début. Le temps de combler mes besoins, puis quelques désirs.
Ensuite ils se raréfièrent.
L’hiver était au cœur de sa forme. Tout était blanchi et glacé.
J’ai continué de couper les rails durant les journées pour entreposer les morceaux à divers endroits, mais je retournais de moins en moins au village maintenant que j’avais de quoi vivre chez moi.
J’avais même eu ma pompe et des filtres pour l’eau. Et un poêle de cheminée moderne qui m’avait couté bien trente mètres de rail. Mais il en valait largement la peine.
J’ai été sincèrement gênée de consommer tout ce métal qui ne m’appartenait pas, mais je ne regrettais pas ce crime sans victime qui avait bien amélioré mon confort.
Ma morale s’était tue le temps du danger puis celui du désir. Mais j’étais redevenue raisonnable, plus celle que je voulais être, progressivement.
Des journées calmes d’hiver. Le monde blanc, hypnotique et silencieux dans cette région.
~
Au village où je retournais plus rarement, ils m’avaient trouvé un surnom avec le temps. Je ne suis pas certaine de sa traduction exacte dans ma langue, mais je crois qu’il signifiait sorcière.
J’ai entendu des histoires de sorcières, plus ou moins maléfiques.
Ils en voyaient une en moi. Comme dans leurs histoires ou leur passé.
Elle aussi m’avait traitée de sorcière...
Cela ne me déplaisait pas. Pour la défunte comme pour eux, je m’étais affirmée comme l’héritière d’une lignée disparue de sorcières.
J’avais repris sans le savoir le flambeau et le titre qui avaient été perdus dans le passé. Je l’avais rallumée cette vieille idée.
Ce surnom ne me déplaisait pas.
Je n’avais jamais vraiment eu d’attirance pour ces personnages, mais je comprenais ce qui avait causé cette insulte puis ce surnom moqueur.
Mon petit système transcendantal s’installa tranquillement au fil de ce long hiver là.
Parfois au village, celle que l’on surnommait sorcière revenait de la zone interdite pour troquer du métal contre divers biens utiles pour sa survie.
Elle ne jetait pas de sorts mais elle passait volontiers du temps à jouer avec les enfants qui lui couraient après. Elle s’entendait plus facilement avec eux.
Elle venait irrégulièrement, de temps en temps, et repartait toujours à l’aube, seule dans la forêt.
Elle était appréciée pour cette présence un peu étrange qu’elle était.
Je songeais à tout cela en rentrant un soir chez moi, dans l’obscurité des bois. Je n’allumais pas la lampe dans ma poche. Je n’en avais pas besoin.
J’étais chez moi.
Et dans l’obscurité, je voyais de nouveau l’espoir face à moi.
Je vivais. Et en tant que sorcière occasionnelle de ce village reclus, j’avais trouvé ma place à la bordure de la culture et de la société. J’avais trouvé ma place et l’équilibre qui me convenait entre humanité et solitude souhaitée.
La nuit été tombée et je marchais. Je souriais.
~
Au fil de l’hiver, tant que le climat et ma santé me le permettaient, j’ai pris le temps de découper tous les rails de chemin de fer de la région. Plusieurs kilomètres et parfois sur plusieurs voies.
Ce travail de fourmi m’occupait et me rassurait aussi un peu, en effaçant encore plus les traces de cette existence, celle de mon système.
Comme prévu, je mis des stocks de ce métal un peu partout dans la région. Je laissais sur chaque tas et cache quelques plaques de danger radioactif. Déjà car c’était peut-être vrai, ensuite pour décourager d’éventuels curieux et enfin pour me servir de repère en cas de besoin.
J’avais une certaine peur manifestement d’être retrouvée, d’être extirpée hors de mon habitat, et forcée à réintégrer un système où je me serais encore étiolée jusqu’à mourir dans le malheur et la souffrance.
Peur de devoir partir et peur de perdre mon havre me poussaient à faire cela.
Je ne vivais pas que par la peur, même si elle avait naturellement influencé certains de mes projets.
Ce calme insoutenable dans la région était rapidement devenu la plus délicieuse des musiques pour moi.
Le silence effleuré par le vent, agité par une nature vivant à un rythme bien plus lent qu’une ville.
Je l’aimais ce calme.
J’aimais pouvoir voir le ciel et sa lumière à toute heure, même si je ne refusais pas mon refuge parfois.
J’aimais la nuit, avec ses musiques et illuminations différentes, sa richesse infiniment plus complexe qu’une simple absence de lumière impliquant le sommeil.
Je savais ce qu’était réellement l’obscurité désormais, sous toutes ses formes, des plus merveilleuses aux plus terribles. Et je peux dire que les nuits là n’étaient pas obscures, elles débordaient de lumières. J’adorais la nuit.
Je l’aimais encore plus qu’autrefois.
Je nageais au travers de ces nuits avec un bonheur intense.
Le froid et ma santé pas exceptionnelle m’empêchaient de dormir dehors toutefois.
J’aurais bien aimée pouvoir vivre comme l’un de ces animaux à fourrure capables de supporter le climat et de dormir n’importe où dans la nature.
Pour les fourrures, je n’avais encore que mes pièges pour chasser, pas d’arme, mais je n’avais encore jamais croisé de gros gibier dans ces forêts. Plutôt que des peaux, j’vais aussi pu acheter des vêtements modernes au village de surcroit.
L’hiver passa, avec tout son froid qui avait semblé devenir éternel.
Des longs mois rigoureux où j’ai plus survécu par mon système en relation avec l’extérieur que par moi-même.
Avec le printemps en approche, j’allais pouvoir être plus tranquille.
Les rails avaient pratiquement disparu de toute la région désormais. Depuis l’ancien nœud ferroviaire, le terminus quelque part après le lac au sud-ouest, jusqu’à une lointaine bifurcation abandonnée, très à l’extérieur de la ville à l’est.
Mon corps encore un peu maigre avait réussi à se raffermir raisonnablement depuis mon avortement.
Je n’étais pas épaisse, mais j’avais les muscles qu’il me fallait pour continuer et tenir à minima.
Si j’arrivais à obtenir assez de nourriture, j’allais pouvoir m’entretenir.
Chaque matin, j’auscultais le ciel depuis le toit de chez moi pour juger de la météorologie de la journée.
J’ai vu l’hiver tomber progressivement, comme un manteau de poussière blanche et perlescente. Les brumes se sont dissipées. La neige a fondu.
La surface du lac a dégelé.
Une saison passait. Je l’avais vécu pour la première fois de ma vie avec une réelle intensité.
En ville j’avais souvenir que tous les jours se ressemblaient. Comme tous les mois, et au final toutes les saisons. Plus grand-chose ne les avait distinguées les unes des autres à mes yeux.
Un problème dont souffrent probablement moins les agriculteurs de toutes sortes.
Plus qu’une relation au temps ou à la terre, c’est celle à la réalité dont nous émanons qui me manquait. Même si honnêtement, je crois aussi m’être laissée allée à mes plus surréalistes fantaisies...
Je regardais toujours dans la direction du tunnel d’entrée de la mine avec circonspection et un brin d’inquiétude lorsque je passais devant.
Je tendais toujours instinctivement l’oreille, par crainte d’entendre en provenir les pleurs d’un nouveau-né prématuré ou d’autre chose de désespéré.
Je ne pensais pas y retourner avant bien longtemps. Je ne voyais aucune raison de redescendre voir la crypte quand les paysages de la surface étaient si beaux et vivant en dehors.
J’avais toute une vie dont je devais m’occuper et dont je pouvais profiter, sans devoir retourner au tombeau impie.
Le fond de la mine était la scène du crime à mon cœur.
Le lieu de mon choix, de mon péché.
De mon choix d’existence au dépend d’une autre.
Le lieu où au moins en rêve, j’avais tué ma concurrente pour la liberté sur ce territoire. Sans orgueil, sans fierté, sans certitude.
Je voyais des jours paisibles sous le ciel pas si coloré se profiler.
Je les attendais avec hâte et joie. J’en profitais, tournant le dos à l’entrée sombre de ces grottes à oublier.
J’étais heureuse ces matins là où le printemps commençait.
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