Ma maison - Partie 1
Quand je suis remontée à la surface ce jour-là, beaucoup de choses avaient eu le temps d’évoluer en moi.
Mais avant toute autre chose, j’ai apprécié la sensation du vent sur ma peau et la lumière tiède du soir.
J’ai appréciée d’être encore en vie, quand les dernières forces de celle qui se croyait dieu avaient été utilisées pour tenter de me tuer.
J’avais tué le dieu qui voulait se servir de moi et j’étais libre.
Libre d’aller sans plus l’entendre, de marcher sans plus la suivre, d’exister sans la nourrir.
Mon plan avait été comme une petite barque sur l’océan ; une discrète idée surnageant des flots immenses, avec un lointain objectif à atteindre.
Elle avait été remuée la pauvre barque, et avait bien failli chavirer à plusieurs reprises ces mois où j’avais vécue là. Pauvre espoir malmené.
Mais désormais la mer était calmée en moi et autour de moi. Mon idée première, mon ambition retrouvait un bon vent et reprenait sa route plus sereinement.
Mon rêve ou souhait à exaucer, il n’était pas dans la résurrection de mon amour. Il ne l’avait jamais été. Je laisse à d’autres fous ces ambitions faustiennes.
Même elle s’était trompée à ce sujet.
Ce que je voulais était une maison, un habitat et environnement qui me plaise et me soit clément.
Un coin où vivre en paix.
Cet endroit, je l’avais déjà trouvé. Le pays où mon cœur se plaisait.
Je campais à sa périphérie depuis un long moment.
Je ne m’étais jamais véritablement installée, tant que le maître des lieux hantait mes nuits et son domaine...
Mais ces terres n’avaient plus de seigneur désormais. Je voulais m’y installer. Mon cœur désirait vivre là, dans cette petite région abandonnée et pourtant prospère.
Je voulais vivre là, et maintenant que l’ombre qui planait en recouvrant la région n’était plus, je pouvais m’y installer en toute quiétude.
Je n’étais plus sur son territoire.
J’étais chez moi désormais.
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Au fil des jours qui ont suivi, j’ai repris à zéro l’exploration et l’inventaire de mon terrain.
Je savais que ma propriété était illégale, mais le caractère d’une ville rasée par des bombes et entourée autrefois de grillages arborant le panneau de danger radioactif, il me laissait présumer sans prendre trop de risques que je n’allais pas souvent être dérangée ici.
Plus que de déclarer ces terrains comme étant désormais ma propriété personnelle, mon sentiment était plus exactement que je me sentais là chez moi et à l’aise.
Ma propriété était émotionnelle plus que matérialiste.
Cela dit, si je pouvais avoir un habitat confortable en plus, je n’étais pas contre. Pour cela, j’ai réexploré de fond en combles la région. Quelques autres bâtiments tenaient encore debout en périphérie du centre-ville réduit en miettes.
Je n’ai trouvé aucune trace d’industrie ou d’explosion nucléaire ; me faisant même douter de la véracité du danger radioactif de la région. Peut-être que la mine avait fourni de l’uranium et empoisonné la région quelques temps après des accidents.
Je n’ai jamais développé de mal des rayons donc la radioactivité ambiante ne devait pas être exceptionnelle à l’époque où je suis arrivée.
En revanche, là où la dernière agression de dieu m’avait touchée, ma peau avait développée toutes sortes de réactions allergiques ou infectieuses.
Des traces de griffures et de compressions par ses mains me balafraient de partout, jusqu’au visage.
Mais elles guérissaient. Les stigmates de mon jugement s’effaçaient au fur et à mesure que ma peau pelait et se régénérait. Mon organisme enjambait son mal et continuait... Les plaies guérissaient et les infections s’éteignaient.
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J’avais trouvé un bâtiment encore en bon état à mi-chemin entre la ville et le lac, isolé dans la forêt assez dense à cet endroit.
C’était à mi-chemin entre deux anciens puits de mine, suffisamment isolé de la falaise du plateau côté nord, comme de la route plus au sud.
C’était l’endroit caché au cœur de la région abandonnée.
La forêt était si dense de ce coté là que même les animaux ne venaient pas. J’avais traversé ces bois presque impénétrables durant mon quadrillage méthodique de la région.
J’ai donc trouvé ce bâtiment de plusieurs étages apparemment encastré entre de nombreux arbres assez grands, eux même isolés dans ces bois denses. Je crois que cela avait été un atelier et un poste de veille forestier. Mais la forêt l’a recouvert et encerclé au fil des années.
Une carcasse méconnaissable de véhicule avait été absorbée par les arbres devant un garage envahit par des arbres plus jeunes.
Les murs avaient été partiellement défoncés de toute part par les troncs grandissant, mais l’ensemble était devenu un complexe relativement stable désormais. Les arbres étaient adultes, ils n’évolueraient plus beaucoup. Ils formaient des colonnades soutenant l’édifice en briques ocres par tous les côtés.
La plupart des fenêtres étaient accessibles comme la porte. C’était devenu un édifice solide par le hasard des changements de la forêt, et un petit havre de paix isolé et discret.
L’intérieur était tempéré mais retenait l’humidité. Tout le mobilier avait été réduit à l’état de mottes de terre avec parfois un peu de métal rouillé. Tous les planchers avaient fait de même et les briques étaient couvertes d’un épais tapis de mousses.
Cela ressemblait à une grotte aux dimensions humaines, parsemée de fenêtres ouvertes sur les bois et la lumière extérieure.
L’endroit me plaisait.
L’escalier central en béton était encore robuste. Il montait jusqu’au toit plat du bâtiment.
J’ai ouvert la porte métallique là-haut avec beaucoup de peine, la tirant de toutes mes forces, mais cela en valait la peine.
En montant d’une marche de terre et de feuilles couvrant le toi, j’arrivais sur la canopée. J’étais à hauteur du sommet des arbres, devant un ciel ouvert.
En grimpant avec l’aide des branches proches sur le dessus de la cage d’escalier et de la porte, l’horizon se dégageait à ma vue de justesse.
Le plateau au nord qui s’étendait. Les bois recouvrant tout. Un creux dans la forêt à l’ouest pour le lac, un autre plus vaste à l’est pour la ville. Au loin, plus rien à part des jeux de lumières et de couleurs.
Un corbeau passait au loin. Le ciel était tranquille. Il y’avait un vent doux annonciateur de froids à venir cependant.
J’avais un peu de temps pour me préparer à l’hiver. Ce serait mon épreuve je me disais. Si j’arrivais à passer l’hiver, alors je serais capable de vivre ici heureuse à jamais.
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J’ai passé mes journées à récolter tout ce qui pouvait l’être et mes nuits à réaménager ma maison.
Par je ne sais quel miracle, j’ai trouvé un accès à l’égout au sous-sol du bâtiment. Je l’ai rouvert en cassant des outils dessus.
Cela évacua bizarrement un peu d’humidité. Je l’ai alors réparé mais presque refermé. Si les mousses couvrant les murs de la maison se desséchaient à en mourir, cela n’était à priori pas grave, mais c’était prendre le risque que tout soit envahi de moisissures quand l’humidité reviendrait. Il valait mieux que je garde les mousses vivantes pour réguler tout cela.
L’accès aux égouts avait d’autres utilités. Après quelques grilles et portes traversées dans ces boyaux souterrains, j’ai réussi à faire la jonction entre la maison et le tunnel reliant la ville à l’ancien centre de traitement des eaux.
Ce tunnel souterrain n’étant pas directement relié au lac, il formait un écosystème à part, avec ses champignons et batraciens. Ils devaient ressortir par d’autres endroits.
Les rats qui se baladaient là n’arrivaient peut-être pas à remonter autant qu’ils le voulaient car ils étaient plus agressifs qu’ailleurs.
J’avais un tunnel pour rejoindre le lac en tout cas, même s’il n’était pas vraiment idéalement praticable. Mais cela me permit avec beaucoup de courage et suffisamment d’ingéniosité de ramener de l’eau du lac jusqu’à chez moi.
Si le tunnel était en pente douce vers le lac, il était souterrain et arrivait bien dix mètre en dessous du lac.
Le sous-sol de la maison, assez sinistre soit dit en passant avec ses murs couverts de salpêtre, était à peu près à la même hauteur que le niveau du lac.
En parvenant à relier une tuyauterie partant de mon sous-sol jusqu’au lac, et en l’amorçant comme un siphon, je pouvais avoir de l’eau du lac coulant jusqu’à chez moi malgré l’inclinaison du tunnel contraire à l’écoulement souhaité.
Je ne savais pas encore comment bricoler cela et amorcer une telle quantité d’eau, vu la longueur des tuyaux, mais le projet était raisonnable.
Entre les récoltes, la pêche, l’ameublement et la construction, je ne vis plus le temps passer.
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Le fond de l’air et du vent commençait à devenir glacial quand j’ai enfin résolu le problème de l’eau.
Après avoir trouvé une tuyauterie qui devait traverser tout le tunnel et l’avoir raccordée à un bassin de douche de mon sous-sol, j’ai ramené des seaux d’eau pour les faire couler dedans. En longeant la tuyauterie, je voyais les fuites éventuelles.
La plupart des tuyaux étaient bien percés. Un parmi eux, assez gros, l’était moins. Mais il me fallait escalader la voute pour l’atteindre. Suspendue au-dessus du canal obscur et marécageux, je n’étais pas à l’aise ; mais j’ai réussi à faire la connexion avec le tuyau souple trouvé ailleurs.
L’eau versée dans le bassin du sous-sol s’y écoulait jusqu’au bassin souterrain de la station d’épuration.
Là même en disposant de tuyaux suffisamment longs, faire s’écouler l’eau du lac jusque-là, puis remplir le tuyau n’était à priori pas possible.
Mais le toit de la station d’épuration était assez haut.
Puis j’ai fait remonter un tuyau là, en surplombant le lac, connecté à l’autre extrémité de ce circuit prévu.
Avec une corde et un seau, j’ai passé des journées à puiser l’eau et la déverser dans le tuyau pour remplir ce circuit en entier. J’en profitait pour repérer et colmater les dernières fuites.
La pluie finit par m’aider une nuit. Au matin, j’avais de l’eau qui débordait un peu du bassin au sous-sol, les niveaux étaient à la même hauteur. J’ai remonté le niveau de sortie de la canalisation chez moi jusqu’en haut du bâtiment pour avoir de la marge.
Je suis retournée au lac où j’ai rapidement pu compléter le remplissage du tuyau de ce côté, avant de le garroter.
Je me suis un peu ratée mais j’ai continué. J’ai ensuite détaché ce tuyau à priori bouché, le décrochant du mur et des hauteurs pour l’amener dans le lac en restant plein.
La pression de l’eau tandis que je descendais l’échelle fit exploser le bouchon. J’ai sauté à l’eau avec le tout qui coulait.
Je suis rentrée frigorifiée chez moi, mais le tuyau souple du bassin chez moi était désormais bien relié au lac.
En descendant cette sortie d’eau dans la fosse de l’égout en dessous, je pouvais en faire une douche. En la remontant jusqu’au niveau de la surface du lac éloigné, la circulation se coupait.
Il me fallait seulement descendre au sous-sol pour récupérer de l’eau douce désormais. Et j’avais le temps d’améliorer cela avec des pompes et de la plomberie ou même des réservoirs à l’avenir.
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J’ai pensé un peu trop tard à accumuler du bois de chauffage pour l’hiver, je n’ai donc pas pu en stocker beaucoup.
J’avais surtout prit le temps de reconstruire l’intérieur de ma demeure en y accumulant l’essentiel.
Je réparais et renforçais les murs en m’assurant que les mousses restent en vie. Je me construisais aussi des espaces habités qui ne soient pas en contact direct avec cette ambiance forestière. Je mettais des pierres et des rondins dans certaines pièces pour m’en isoler un peu.
Je fabriquais des chambres dans les pièces du bâtiment elles-mêmes, en faisant une sorte de doublure au sol et aux murs.
Le vaste espace principal, celui où les étages avaient disparu quand les planchers pourris s’étaient effondrés, était ma vaste pièce à vivre, très haute de plafond. J’y avais construit un âtre, un foyer.
Tout en haut, une fenêtre entrouverte et quelques toiles emportaient la fumée. Du moins en théorie.
En pratique, la fumée de bois pas assez sec encrassait tout aux étages et noircissait déjà mes murs et mon plafond.
Construire une cheminée n’allait pas être une tâche aisée. J’avais sécurisé en priorité l’arrivée d’eau et la recherche de nourriture quand le froid arrivait.
Comme j’avais déjà bien fouillé la région et ses rares constructions encore debout, je ne pensais pas que j’allais désormais avoir la chance de trouver un poêle de qualité ou une pompe à eau de campagne.
En attendant, je me préoccupais plus d’aller chercher du bois que des risques au fait d’enfumer ma maison.
Je savais que la fumée pouvait me tuer en quelques années si je faisais n’importe quoi.
Et j’ai fini par me résoudre à faire quelque chose un soir où j’ai failli suffoquer. Quelque chose de bizarre avait brûlé dans le bois ce jour là.
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J’ai détaché des tôles de la station d’épuration et les ai péniblement remportées pour me fabriquer une cheminée. Il faisait de plus en plus gris et froid avec chaque jour qui passait. La terre argileuse que j’utilisais pour colmater murs et sols devenait trop dure pour être manipulée.
J’ai badigeonné ma cheminée de fortune de boue aussi argileuse mais prélevée au lac, et de vase. Je n’étais pas certaine que ce revêtement suffirait.
Mon vieux manteau inutilisable servait à canaliser vers la fenêtre de l’étage les fumées. J’arrivais à cours de matériel et l’hiver commençait avec une soirée subitement glaciale.
L’épreuve commençait.
J’étais emmitouflée dans mes vêtements et couvertures auprès du feu. La nuit glaçait tombait. J’avais froid.
Mais j’avais hâte de voir le ciel du lendemain. Je souriais.
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