Mon voyage - Partie 3
Après une infiniment longue et épuisante ascension, j’ai vu la lueur du jour percer au travers d’un mur effondré. Cette salle était probablement quelques étages au-dessus de celle où j’avais atterrie plus tôt. J’avais encore un peu de mal à me représenter les lieux, mais de toute évidence, je progressais.
Je ne savais pas encore si j’avais rejoint la plage souterraine de ma propre volonté ou pas, car je n’en avais plus le souvenir. Là encore j’étais intriguée, mais raisonnée par d’autres priorités.
Le tunnel d’effondrement était éventuellement praticable là.
Je voyais le ciel une trentaine de mètres plus haut au travers de la paroi effondrée.
D’un autre côté, les couloirs et escaliers continuaient à monter avec moins de risques apparents de s’effondrer sur moi. J’ai donc continué l’ascension au-delà de ce raccourci risqué.
J’ai passé un balcon entourant un large puits possiblement rond, ouvert sur un gouffre minier.
Des escaliers et même des montes charges étaient là, presque prêts à reprendre du service en me descendant dans ce profond puits de mine.
Ils avaient aménagé des mines en fait. Ici je commençais à croiser enfin quelques objets oubliés. Des lampes torches d’une autre époque surtout.
Et aussi des douilles d’armes à feu qui s’oxydaient au sol, l’encrassant.
Un des monte-charges avait été éclaté par une explosion manifeste.
Un peu plus haut, quelques escaliers passés, j’ai trouvé une caisse avec les derniers panneaux peints arborant le symbole de danger radioactif. J’en avais vu un peu partout en piètre état. Les dernières dizaines que contenait cette caisse étaient encore presque neuf.
Je me suis demandé si ce n’était pas une explosion d’arme nucléaire qui avait rasé la ville autrefois.
Certains détails m’amenaient à en douter, mais je pourrai chercher d’autres traces du passé de cet endroit dans les jours à venir.
A condition de sortir d’abord de cet endroit, de me nourrir, et de guérir de mes plaies.
~
J’ai traversé les derniers couloirs. J’étais fatiguée.
J’ai suivi les rails stéréotypés du dernier large couloir incliné de la mine. Il y’avait eu d’autres chemins possibles à suivre dans ce dédale souterrain, mais mon instinct avait été le bon à chaque croisement.
Le tunnel incliné de quelques degrés montait vers une lueur du jour. Lentement, elle s’agrandissait en entrée bien cadrée tandis que je marchais.
Les rails crantés ou lisses selon le coté du tunnel où j’évoluais étaient parfois recouverts sous des amas de roches tombés ponctuellement du plafond.
Je suis arrivée à la sortie de cet épuisant cauchemar. Je voyais les bois et le ciel.
Un portail lourdement grillage me bloquait la sortie. J’étais coincée à l’intérieur.
Seuls mes doigts pouvaient vraiment sentir l’air plus doux et la lumière en glissant entre les mailles de l’épaisse grille.
Je n’ai pas paniqué et j’ai cherché.
Le sol était en roche ou béton clouté d’une bien lointaine autre époque. Les murs étaient aussi armés pour assurer que la sortie ne soit jamais ensevelie.
Le grillage exposé aux éléments depuis des décennies avait vieilli. En hauteur notamment, certaines attaches moins solides que celles du bas avaient cédé.
J’ai empilé quelques cailloux, escaladé le grillage et me suis harnaché en hauteur avec les sangles de mes sacs. J’ai défoncé méthodiquement ce coin de grillage jusqu’à plier une ouverture suffisante pour mon torse.
J’ai fait passer mes affaires. Je me suis glissée douloureusement à l’extérieur de la mine.
J’ai chu, mais j’étais soulagée d’être enfin ressortie.
Mon corps avait tout donné dans cette longue épreuve d’endurance et il était temps de payer le prix de la fatigue accumulée.
Je me suis éloignée en titubant le long de la route envahie par les herbes.
~
J’ai survécue, et même retrouvé mon chemin jusqu’au lac où je me suis installée, à bout de souffle et épuisée.
J’ai dut manger environ mon poids en poissons et tout ce que je pouvais trouver de comestible au cours de la semaine suivante. Je n’ai fait que dormir et manger comme un animal.
Il me fallut bien tout ce temps pour me remettre en forme et sur pieds.
J’avais commencé à placer certains des poissons que je péchais dans l’un des bassins du centre de traitement des eaux. Je prévoyais déjà de faire des piscines de pisciculture en profitant de ces installations.
D’ici là, c’était mon premier garde-manger à poissons.
Les rats croisés se laissaient de moins en moins capturer au contraire des poissons. Je savais qu’il ne fallait pas sous-estimer cette espèce ou l’affronter inconsidérément. N’ayant pas envie d’être attaquée dans mon sommeil, je préférais pour le moment relâcher ceux qui se prenaient dans mes pièges. Ce raisonnement était peut-être naïf, ou un biais d’attribution de traits humains à des animaux, mais si cela pouvait suffire pour l’instant à éviter de me faire un ennemi puissant, je préférais cette prudence.
Après une dizaine de jours, je revis les rats se promener sans se soucier excessivement de ma présence. Je préférais la situation comme cela.
Quand j’allais mieux, un jour particulièrement chaud, je me suis lavée dans le lac avec le petit morceau de savon qu’il me restait de ma route.
Vivre dans ce paysage était assez enchanteur par moments. Ce n’était pas désagréable.
Personne ne vint me déranger. Je pourrai même apprendre à nager si je le souhaitais, tant le lac était calme et suffisamment grand.
J’avais trouvé des cultures redevenues sauvages autour de la région aussi. Des céréales, des légumes et même des arbres fruitiers. J’étais arrivée à la bonne saison. Je pouvais profiter de ce qu’étaient devenues toutes les cultures entourant la ville autrefois. Il n’y en avait pas autant que pour un village agricole, mais c’était déjà beaucoup pour moi seule. Et c’était beau pour une région que je n’imaginais pas si fruitière. Des plantes agricoles avaient pourtant survécu en l’absence d’attention humaine. Certaines se développaient bien, d’autres étaient devenues méconnaissables. En attente de l’hiver, j’avais de quoi me préparer.
J’avais mon campement dans le centre de traitement des eaux désormais, mais c’était encore quelque chose de temporaire et un peu sauvage pour moi. Je n’étais pas encore chez moi.
J’étais chez elle.
Celle qui m’avait invitée.
Quand j’allais enfin mieux physiquement, elle revint me parler.
~
Comme un vieux rêve ou une vieille amie, elle m’est réapparue sans prévenir et sans me surprendre.
Le temps de me remettre d’aplomb, j’avais un peu occulté ces souvenirs dans ma mémoire.
Ces considérations fiévreuses m’avaient fait peur.
La revoir cette nuit-là pourtant ne m’effraya pas. J’avais le sentiment de l’avoir déjà rencontrée et de la connaitre maintenant.
Cette silhouette noire et maigre, assise à côté d’un feu qui ne fait pas vraiment de lumière ni de chaleur.
Elle est pensive. Songeuse.
Elle est patiente.
Je revois le sable mais je ne le sens pas sous mes pieds cette fois. Je ne suis pas vraiment là. Je suis juste de passage.
Mais elle, elle me voit, et elle m’accueille à côté d’elle.
Sa présence était chaleureuse.
Et en même temps, tout était sombre et triste autour de nous.
Elle me fit part de son souhait de me voir retourner la voir directement, dans cette grotte si profondément enfouie sous la ville en ruines.
Je n’étais pas certaine d’en avoir véritablement envie. Je me sentais trop ignorante pour oser me risquer à nouveau dans ce voyage spéléologique à sa rencontre.
En regardant le néant couvrant son visage, je me remémorais l’image familière m’ayant guidée jusque-là, désormais disparue.
Mon cœur se pinçait et je remarquais à haute voix qu’elle n’était pas mon amour...
Je me souviens bien de cette discussion car j’ai été choquée par sa réponse.
Elle me déclara qu’elle pouvait le devenir si je le voulais. Ce faisant, l’image de mon amour passé remplaça la sienne.
Elle me fit peur ce faisant. La revoir si proche et si réaliste me fit peur. Ce n’était pas elle mais une illusion. Et même si cela avait véritablement été elle, j’aurais aussi eu peur...
Je la refusais clairement, et le visage connu retomba dans l’oubli.
Je lui demandais alors qui elle était.
La réponse arriva embrouillée. Elle avait des souvenirs de mon amour en tête, elle en parlait parfois. Elle avait aussi des souvenirs qui n’étaient normalement qu’à moi. Comme les humains, elle avait appris en écoutant les autres, en écoutant nos pensées. En écoutant mes idées, en formulant la réponse à ma personne, à mon identité, elle me déclara être dieu pour moi.
Parce que moi je croyais en elle telle qu’elle était devant moi, elle m’apparaissait ainsi.
Une part de ma raison me hurlait déjà de fuir, de me méfier et de ne surtout pas la croire.
Et en même temps c’était une conversation que je ne pouvais pas refuser, malgré l’inquiétude qui grandissait.
Pourquoi ?
Je lui demandais tous les pourquoi de ma vie. Ses réponses reprenaient ma conception du monde, mes idées sur la vie et sur la société. Elle reprenait les idées que je croyais juste, sur les transcendances et mon existence.
Tout ce qu’elle répondait sonnait donc terriblement juste à mes oreilles, crédible en quelques sortes, mais en même temps j’avais l’impression de parler avec une part sombre de moi-même plus qu’autre chose ou quelqu’un d’étranger.
Elle ne m’apprenait rien quand elle confirmait seulement mes pensées, idéalisées ou plus ou moins mal avouées. Elle ne pensait pas comme moi mais me redonnait mes propres pensées au lieu d’exprimer les siennes.
Puis la discussion arriva à mon voyage, et là sa parole changea.
Là ses idées n’étaient plus celles de mon amour ou les miennes. Elle s’esquissait enfin.
Elle me déclara m’avoir appelée jusqu’ici, car elle avait besoin de mon aide...
Celle qui prétendait être dieu me raconta alors une histoire. Elle me murmura son histoire...
~
Au commencement, il n’y avait rien.
Et avant la lumière, vint la faim.
Mais juste avant la faim et même la conscience d’elle-même, il y’avait l’envie irrépressible de vivre, d’exister.
Un désir exothermique d’être. Vivre. Se répandre. Perdurer.
Elle existait déjà, mais sans contrôle d’elle-même ou de sa propre volonté.
Elle mangeait comme un microorganisme ce qu’il pouvait passer à sa portée. Je crois qu’elle mangeait des souvenirs, des rêves, des pensées. Peut-être aussi des cauchemars ; et... des prières...
Elle grandissait, et que ce fut par son influence croissante ou un autre phénomène mal expliqué, elle découvrit la lumière et les couleurs à un moment indéterminé.
Elle me décrivit un ciel multicolore.
Un toit fantastique de couleurs soudainement perceptibles loin au dessus d’elle.
Dans sa description passionnée, je compris qu’elle me parlait pourtant du feu froid et sombre que j’avais vu et traversé. Cela l’étonna quand je lui fis remarquer.
- Cela ressemblait à un feu pour toi ?
Elle me le demanda avec une voix étrange.
Elle allait y revenir plus tard dans son histoire, mais elle me confia que l’apparence de cet élément important était facilement sujette à interprétations. Les descriptions étaient donc différentes selon les témoins. Sampas, monolithe, porte, flamme, ouverture, ou ciel en couleurs...
L’élément important, outre la lumière qu’il transmettait, était surtout ce qu’elle appela l’Axis Mundi.
Je ne connaissais pas encore ce terme.
Elle m’expliqua simplement qu’il s’agissait d’une porte pour l’ascension.
L’ascension ? Elle refusa de me donner plus de détails sur le moment et reprit son conte.
Dieu était encore triste et jeune, bloquée dans les ténèbres sous ce ciel merveilleux et attirant.
Elle voulait y aller.
Elle se tut un instant, avec l’air de réfléchir. Elle reprit son histoire avec ce que je comprendrais plus tard être un chapitre esquivé, censuré.
Il y’eu quelque chose qu’elle ne voulait pas m’avouer alors.
Le fait qu’elle avait vu avec envie quelque chose y parvenir avant elle, probablement.
Elle se mit à changer quand elle découvrit au loin, au travers de la distance infinie de ce ciel, l’existence de l’humanité.
Elle nous écoutait. Elle nous observait, comme au travers d’un télescope. Elle nous étudiait, elle nous aimait, et elle voulait nous aider. Si elle n’avait pas été capable de faire le voyage, elle avait pu tendre sa main, et parfois nous effleurer.
Malheureusement pour elle, l’influence qu’elle avait pu étendre jusqu’à nous au travers de ce ciel coloré à l’origine, avait fini par s’étioler.
Elle m’expliqua que quelqu’un, des humains, avaient volontairement refermé la porte au-dessus d’elle.
Elle avait été enterrée.
La lumière persistait un peu, mais elle perdit le moyen de nous parler et de nous toucher, assez tôt dans l’Histoire. Elle pouvait encore nous voir et nous entendre, les influences circulant encore dans ce sens, mais plus dans l’autre.
Dieu avait été emprisonnée dans son royaume, dans le plus grand secret au monde, par des sorcières malveillantes du passé.
Elle m’exprimait son désarroi, sa peine et sa tristesse, à se sentir emprisonnée et incapable de contacter de nouveau cette humanité qu’elle aimait plus que tout.
D’étranges sorcières l’en avait empêchée durant l’Histoire, se relayant à la garde de cet Axis Mundi refermé contre elle. Quelques terribles et malfaisantes sorcières l’avaient cachée aux yeux du monde, pendant tellement longtemps que cela en devenait insoutenable.
Mais les humains changeaient et mourraient avec le temps, contrairement à elle.
Leurs désirs devenaient conflictuels, les époques passaient...
Et un jour, la dernière sorcière à cacher dieu mourût sans personne pour lui succéder.
La porte n’était plus gardée, et elle parvint à l’entrouvrir à nouveau.
Elle s’était très affaiblie avec le temps, elle n’avait plus autant de force qu’elle ne l’avait espéré. Mais elle pouvait encore écouter, et de nouveau parler, un tout petit peu...
Et un jour, je l’avais entendue murmurer.
L’histoire revenait vers moi désormais.
Elle me contait avec enthousiasme sa joie en découvrant que sa voix m’était parvenue, qu’elle avait pu me parler, m’atteindre, m’appeler à l’aide.
Elle espérait à nouveau être heureuse grâce à moi.
Elle se voyait déjà être libre à mes côtés.
Libre d’aimer et d’aider à nouveau l’humanité. Pour l’améliorer. Pour l’apaiser.
Tout cela car elle avait pu appeler quelqu’un de réceptif à l’aide.
C’était là la raison de ma présence en ces lieux. Elle désirait plus que tout mon aide ; pour la libérer, pour rouvrir cette porte depuis le coté où elle coinçait ; le coté où elle avait été scellée.
Je ne pouvais pas croire autant de choses fantasques en si peu de temps. Je ne pouvais pas assimiler et croire en tant d’idées en si peu de temps.
J’étais déboussolée et épuisée, alors même que je dormais, techniquement.
Elle m’a pris la main et murmuré quelques paroles apaisantes.
À nous deux, chacune de son côté de la porte, nous pourrions faire quelque chose de bien pour le monde entier. Mais d’abord elle voulait que je me repose et réfléchisse. Mon bien passait en premier.
Elle avait entendu ma pensée d’en avoir trop entendu, trop rapidement. Trop de révélations en une seule nuit m’amenaient à la nausée, autant psychique que physique.
Sa main douce tenait agréablement la mienne.
Elle me répéta une nouvelle fois qu’elle attendrait patiemment ma décision.
Si je voulais l’aider ou pas serait de mon propre choix.
Dans ma tête naquit aussi la réflexion que ce serait également à moi d’assumer les conséquences de ma décision, quelle qu’elle soit.
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