Chapitre 02 - Mon enfance
Mon existence commença je crois dans une chambre d’un appartement sombre et probablement sale. Mon géniteur éjacula bien en profondeur dans le vagin de ma génitrice. Il était probablement content de ce plaisir fugace de l’orgasme. La sensation de procrée en propulsant un peu de lui à l’intérieur d’un agréable incubateur, doux à son sexe.
Il a dû avoir une minute de bonheur et de satisfaction. Il a dû se sentir vivant, heureux et rassuré pendant ce bref instant.
Ce soir-là, un ovule fécondé fut le début de mon existence. Je ne crois pas que ma mère me voulait à ce moment là. Elle voulait du plaisir. Elle voulait un semblant d’amour pour être un peu rassurée. Je ne crois pas que ces bras qui la touchaient aient vraiment put la rassurer.
Je ne comprends pas bien que l’on puisse être honnêtement aussi dupe vis-à-vis de quelqu’un. Croire sincèrement qu’un pauvre type nous aime et vas nous aider… Je ne crois pas qu’une adulte puisse être aussi tristement bête et naïve. Elle devait bien voir à chacun de ses gestes qu’il n’en valait pas la peine, qu’il ne saurait jamais la rassurer durablement. Et du coup, elle devait toujours être inquiète au fond d’elle-même.
Qu’elle ait vraiment cru en lui n’est pas concevable pour moi, aussi bête et désespérée fut-elle.
Le brave homme s’en alla simplement, peu après avoir été mis face au choix d’être père. C’est tellement banal.
Tout le monde s’en fout.
Par contre si la mère voulu faire de même, toute la société se lève pour l’agresser. Le droit à la vie n’est ni celui de l’incubateur, ni celui des responsabilités.
Comme elle n’avait pas le choix, ma génitrice hébergea en elle ce parasite que j’étais alors, pendant de très longs mois. D’autant plus longs que toutes ses connaissances lui reprochaient autant sa grossesse d’un pauvre type que d’avoir évoqué l’idée d’y mettre un terme volontairement.
Sa famille, ses amis, ses proches. Tous lui firent du mal à cause de ses choix passés et tentatives de les corriger.
Trop tard. Les autres ont retenu tout le mal qu’ils pensaient de toi et de tes idées.
Personne ne l’aida, et surtout pas moi qui détraquait sa santé.
Elle finit par accoucher dans un hôpital délabré d’une autre époque, aidée par un médecin lui aussi fatigué et d’une autre époque.
Je lui ai fait très mal. La pire douleur de sa vie. C’est ce qui arrive quand on tarde trop à extraire un parasite je crois. Même si cela me fit mal au cœur plus tard de l’entendre me dire cela. Que je fus responsable de cette pire douleur de sa vie. Je lui répondis que c’était plutôt la sienne et celle de mon père où qu’il fut. Elle me gifla.
C’était tellement facile de rejeter ses fautes sur le parasite inconscient.
Comme si j’avais pu choisir quoi que ce soit.
J’aurais pu choisir de répondre autre chose pour éviter la gifle. Mais j’avais déjà tellement mal au cœur et au ventre en l’entendant que c’en était presque un soulagement cette douleur sur mon visage.
Le chapitre de ma jeunesse est pour plus tard cependant. Je vais m’efforcer de garder les évènements dans l’ordre chronologique pour plus de clarté.
Rien d’important pour le monde, mais ma vie commença peu après cet accouchement, quand je commençais à développer ma conscience et l’apprentissage du monde.
J’ai quelques souvenirs de bébé. Ma génitrice ne m’avait finalement pas abandonnée à la naissance, et commença à devenir ma mère de facto.
Quand je suis optimiste, il me plait de croire que cette décision fut prise parce qu’elle commença à éprouver des sentiments maternels pour moi. Que ses hormones détraquées par mon passage avaient adouci ses émotions envers moi, au point qu’une forme d’amour en naisse et persiste. Il m’arrive d’y croire.
Autrement je penche plutôt pour la résignation face à l’oppression de tout son entourage, et si l’infanticide d’une mère envers son jeune bébé n’avait pas été un sacrilège social et pénal, je serais probablement morte avant d’avoir pu parler ou marcher.
Je ne comprends pas pourquoi une mère n’a pas le droit de choisir.
Ni quand le bébé n’est qu’un fœtus, ou même après.
Je sais que l’idée choque, mais je maintiens que ce n’est pas logique.
Ce n’est pas comme si l’espèce humaine était fragile et en voie d’extinction. Alors pourquoi persister à forcer un petit pourcentage de femmes à héberger des parasites en elles et puis chez elles ? Pourquoi les forcer à supporter quelque chose dont elles ne veulent pas ?
Pourquoi ne pas forcer tous ceux qui protestent contre les avortements et abandons de bébés par leurs mères infortunées, à élever les bébés à leur place ? Il est tellement plus facile de s’indigner et faire des reproches que d’agir. Il est tellement plus simple de donner des ordres aux faibles et aux victimes plutôt que d’agir soi-même.
Ma mère souffrit, faisant contre son gré ce que la société avait décidé à sa place qu’elle devait faire.
Elle ne se débarrassa pas de moi, m’élevant comme elle pouvait et avec ce qu’elle avait. Que ce soit sur les plans physique, financier, affectif, ou même moral et culturel.
Je n’ai pas souvenir l’avoir beaucoup vu rire ou paraître heureuse.
J’ai souvenir quand j’étais encore bébé, de la voir fumer en regardant par la fenêtre un temps décoloré.
Cet air pensif et rêveur, le visage un peu inexpressif, c’est ce qui s’approchait le plus du bonheur chez elle.
Mes yeux d’enfant admiraient sa dignité dans ces moments là.
C’était le calme, et un goût partagé pour celui-ci qui donnait une certaine importance à ces rares moments.
Nous restions toutes les deux calmes, silencieuses, le temps de sa cigarette soufflée.
A part ces rares instants, nous ne nous plaisions guère. J’étais un bébé bruyant et sale ; elle une mère forcée et démotivée.
Je pleurais beaucoup et souvent. Au point que des voisins venaient souvent s’en prendre à elle. Le ton montait. Personne ne tolère que l’on menace son propre confort. Je pleurais pour un rien et criais fort. Je n’étais qu’un bébé. Même si elle me laissait souvent seule pendant les journées car elle travaillait, elle faisait un peu son possible pour moi, au moins pour que je ne meure pas. C’était la loi, pas un choix.
A part mon prénom, je ne sais pas ce que ma mère aura jamais choisie pour moi.
Ma vie lui importait peu du moment que je ne l’importunais pas.
Quand je l’ai compris, j’ai commencé à me chercher un nouveau prénom. Je n’aimais plus celui qu’elle m’avait donné, celui d’une de ses grands-mères qui lui manquait je crois.
J’ai compris bien plus tard que c’était une tentative de m’associer à un sentiment affectueux passé. Mais entre cinq et sept ans, je voulais seulement rejeter ma mère autant qu’elle-même avait voulue me rejeter.
J’ai commencé tardivement à parler. Cela la soulagea que je diminue enfin ma proportion de cris dans la journée.
Elle m’a mis en école avant le plus jeune âge en mentant sur celui-ci.
Personne ne remarqua la supercherie, et avant que moi-même je ne le comprenne, plusieures années allaient passer. Je parlais peu, je pleurais toujours beaucoup, j’étais trop jeune et un cauchemar pour les enseignants tout aussi démotivés que ma mère pouvait l’être.
Dans une société titubante au bord de la ruine, maintenant péniblement son ordre social à bouts de bras, l’école publique de ma ville natale n’offrait guère plus que ce qu’elle pouvait : Presque rien.
Des bulles avaient éclatées avant ma naissance. Dans ce monde pourri, l’âge d’or était passé. Toutes les promesses s’étaient vidées, la société devenant un simulacre de son passé, maintenu par habitude résignée face à l’anarchie qui aurait autrement eue vite fait de tous nous emporter.
Une anarchie qui aurait probablement libéré ma mère de certaines de ses peines.
D’un coté, j’ai de la peine pour cette pauvre fille qu’elle était, piégée dans les engrenages de ce monde. De l’autre, je la déteste aussi d’avoir toujours été aussi bête, et de ne jamais m’avoir aimée.
Nous partagions une même prison, une même cellule que nous n’avions pas vraiment choisie, même si je la tenais responsable pour nous y avoir mises.
Je devais avoir six ans quand je me suis jurée de ne jamais finir emprisonnée dans le malheur comme ma mère.
Plus tard j’ai compris que suivre ou s’opposer sont les deux faces d’un même schéma, et que d’une autre façon, je suivi tout de même ses traces involontairement.
Après coup, il est effrayant de constater à quel point on peut se méprendre sur nos propres choix et décisions.
Au point qu’à tout faire et donner pour éviter quelque chose, on le provoque plus ardemment et sournoisement.
Comme n’importe quel conflit en fait.
J’ai grandie dans le mépris, de ma mère, de ma famille qui ne voyait en moi qu’une bâtarde ou un chien.
Dans le mépris de l’école de ma petite enfance où j’étais bête, petite et chétive, et toujours en train de pleurer ou de crier. J’énervais tout le monde. Tant que je m’exprimais en pleurant ou criant, tout le monde m’en voulait et le monde entier s’abattait sur moi pour me le faire payer.
De trois à cinq ans, je rêvais que mon père vienne me sauver comme un prince.
Entre cinq et six ans, j’ai vu le père de certains camarades de classe montrer leur violence à l’école ou dans la rue, puis un autre même frapper ma mère sur le pas de la porte, pour une raison que je n’ai jamais connue.
Là j’ai compris que cela pouvait être mieux de ne pas avoir de père, comme il pouvait être mieux de ne pas avoir d’enfant ou de mère.
Mon père avait fait un choix de connard en abandonnant cette pauvre fille. Mais le comble de l’histoire c’est bien qu’en réalité, il était peut-être le seul à avoir fait un choix intelligent ce jour là. Le choix le plus laid avait peut-être été le meilleur, pour lui comme pour moi, et peut-être même pour ma mère également.
Je ne savais plus quoi en penser. Il n’y a pas de solution à certaines situations.
Mais enfant, je devais surtout souffrir et tenter de survivre tous ces tourments.
Ayant tardivement apprit à parler et communiquer, et ayant fini par comprendre comme n’importe quel chien que l’on bat dès qu’il aboi, que ma voix m’attirait la haine, je suis devenue presque muette.
J’ai passé mon enfance à aller douloureusement contre ma nature et mon instinct pour m’interdire de crier et de pleurer. J’ai subi par la force des évènement un abominable entrainement pour ne plus me faire entendre, même au pire de ma souffrance.
Et effectivement, l’agressivité des autres mua alors progressivement en indifférence, désintérêt ou au moins en mépris plus calme et distant. Je ne les ennuyais plus, pour résumer.
Je simplifie un peu. Il y’a toujours eu des reproches, des gifles, des mots cruels ; mais bien moins quand je suis devenue silencieuse.
Même si je n’en souffrais pas moins, au moins en silence, j’étais moins agressée, tant à l’école que par ma mère.
J’étais une élève évidement retardée. Je ne comprenais pas bien, et je ne répondais pas quand on m’interrogeait, que je sache quelque chose ou non. Je travaillais mal, seule, toujours seule, et sans rien comprendre.
Personne ne m’aidait ni ne me guidait à cet âge où je ne pouvais pas encore appréhender les buts de l’école.
Mais l’école elle-même n’en ayant plus grand-chose à faire, la petite illettrée que j’étais continua d’avancer année après année, brassée avec des centaines d’autres petits chiens plus ou moins perdus et malmenés.
Les garçons riaient un peu plus que les filles, je crois, mais je garde ce vague sentiment que même les autres enfants se sentaient généralement malheureux. Je peux me tromper, mais je garde l’impression que tout était laid et délabré, même pour la majorité des autres.
A la récréation, je faisais partie des fantômes. Les enfants qui restaient seuls et silencieux dans un coin ou un autre et ne jouaient pas. Nous étions tellement nombreux, sans être majoritaires, que c’était une population et un comportement devenu normal et à peu près accepté par les autres et les adultes.
Nous flottions entre indifférences et mépris, surnommés avec dédains les fantômes. Un surnom qui ne nous déplaisait pas forcément. Nous n’étions juste pas capable ou pas d’humeur à aller jouer, et cela durait.
Les autres intouchables, pour d’autres raisons ou probablement les mêmes que moi, restaient assis ou debout dans un coin, à l’abri, en attendant que le temps passe. Nous occupions les bancs de la cour, pendant que les autres jouaient. Nous étions envieux mais apeurés, ou tout simplement malheureux et souffrants, élevés pour cela. Il y’avait des vrais chétifs avec des maladies incapacitantes diverses, surtout des asthmes violents, et ceux comme moi, dont la santé physique restait relativement correcte, mais autre chose bloquait.
Nous étions le groupe des silencieux, sans vraiment en former un. Nos règles étaient tacites, et toujours ouvertes au compromis. Pas de reproches, pas de bagarres. Nous ne pensions pas moins de l’un de nous s’il partait jouer dans la cour avec les autres, qu’il soit entrainé par un ami ou soudainement parti avec courage. Et nous autorisions quiconque à nous rejoindre sans aucune discrimination.
Les règles tacites étaient seulement des habitudes en fait. Chacun avait sa place ou son coin préférentiel, généralement respecté par les autres fantômes et les autres enfants.
On ne se parlait pas, on ne connaissait même pas les noms des autres, mais on se reconnaissait.
Retrouver des visages connus et sa place habituelle parmi eux nous rassurait tous un peu.
Dans ce silence et ces habitudes calmes, nous nous apaisions un peu.
On ne se regardait jamais dans les yeux, tous timides que nous étions.
Tous timides, peureux et en souffrance. Cela résume qui nous étions assez grossièrement.
Ma place était parmi ceux qui me ressemblaient, garçons et filles de tous horizons et genres. Nous étions le groupe humain le plus égalitaire par la force involontaire des choses.
Dans mon enfance, j’ai été forcée à devenir un fantôme de par mon éducation.
Parmi eux, j’étais un petit peu moins seule. Ils étaient à leur manière mes premiers amis, les seuls à m’accepter désormais. Même si ce n’était pas vraiment ça, cette fausse indifférence que nous partagions tous était plus proche d’un respect mutuel que la véritable indifférence des autres ou leur réels mépris.
Nous avions tous bien compris que nous étions les plus aimables et tolérants, même si murés dans un silence timide le plus souvent.
Certains se mettaient à parler parfois. Des petits groupes et des amitiés spontanées se formaient, et petit à petit ils partaient vivre ailleurs.
Tous les fantômes cherchaient des amis. Du regard ou de l’ouïe, voir de l’odorat peut-être. Nous n’avions rien d’autre à faire que chercher parmi les autres, fantômes ou pas, quelqu’un qui nous attire. Quelqu’un qui nous plait d’une façon ou d’une autre.
Les goûts et les admirations sont de tous genres. Certains cherchent une amitié, d’autres un amour, et là encore il y’a beaucoup de possibilités. Que ce soit un substitut parental, fraternel ou autre. Nous étions trop jeunes pour comprendre l’amour romantique ou celui charnel, mais il y’avait déjà mille formes d’amours à rechercher dont nous manquions.
Une mère, un père, une grand-mère, un grand-père, un oncle, une tante, un grand frère ou une grande sœur, un petit frère ou une petite sœur. Un ami, une amie. Un amoureux, une amoureuse. Le manque prenait une forme préférentielle ou une autre pour chacun.
J’ai vu un garçon sortir de son mutisme pour défendre une toute petite fille. Je me souviens m’être dit en le voyant qu’il devait vouloir avoir une petite sœur à protéger. Je l’ai vu pleurer une fois revenu à sa place ce garçon, je le regardais avec peine au cœur, sans rien dire.
J’entendis plus tard des adultes parler d’une sœur qu’il aurait perdue. Il y’a aussi ce genre de manques à tenter de combler. Ceux d’une perte d’un être aimé.
Ces sentiments là avaient l’air particulièrement douloureux. Je ne les comprenais pas bien.
J’ai commencé à prendre conscience de la mort, et de ce qu’elle impliquait.
J’en parlais à ma mère, de ça et de la mort. Elle s’en fichait.
Je lui demandais si apprendre la mort de mon père la ferrait pleurer. Elle pouffa d’un rire triste à cette idée. Elle allait bientôt me dire d’aller dans ma chambre quand je lui demandais si ma mort la ferrait pleurer. Je devais avoir six ans.
D’abord choquée et embarrassée, elle me reprocha sèchement d’avoir posé cette question et m’envoya dans ma chambre. Ce soir là j’ai compris que ma mère ne m’aimait pas.
Les sanglots qu’il me sembla l’entendre avoir après ne pouvaient pas être pour moi, vu que j’étais toujours là.
Avec le recul, je pense que je l’ai rendue triste en lui faisant réaliser une certaine affection et à quel point elle m’avait négligée.
D’une certaine façon, je l’avais je pense rendue triste de m’avoir perdue, pas par la mort mais par son comportement envers moi.
Elle ne changea pas, et je grandissais avec cette solitude douloureuse même chez moi.
Un fantôme toujours plus triste et abandonné.
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