Mon rêve - Partie 1
Mon contrat de travail allait bientôt se terminer.
L’enfant qui était né durant ce temps avait eu le temps de grandir en paix avec sa mère.
En moi avaient eu le temps de mûrir bien des créations.
Je m’étais libérée progressivement d’un nombre insensé de monstres et rancœurs psychiques, pour laisser pousser quelques herbes plus agréables.
L’impression de filtre ternissant les couleurs à mes yeux s’était aussi dissipé.
Je sentais enfin une nette diminution de ce processus étrange, tandis que ma confiance reprenait ses aises.
Mes rêves étaient redevenus discrets, sans cris ni pleurs.
Je finissais de guérir mon bras comme le reste de moi, et une étrange quiétude prenait place.
C’était la mélancolie qui se manifestait une fois qu’un long malheur ou une longue maladie venait de passer.
Et une nuit, j’ai rêvé pour la dernière fois de cet endroit effrayant et incertain qui m’avait hanté régulièrement.
Des spectres et de l’obscurité se promenaient aléatoirement autour de moi.
Il faisait plus clair, j’avais grandi et j’avais beaucoup moins peur.
Le mauvais rêve récurrent ces derniers mois avait changé dans une forme résolutive.
La peur dissipée, il ne se passait pas grand-chose, à part la sensation de réaliser cela.
Je n’étais plus effrayée.
Je pouvais regarder les spectres autour de moi, et un en particulier.
Un qui retenait mon regard. Un fantôme, translucide, qui restait là à quelques pas. Il s’approchait de moi plus qu’il n’errait aléatoirement. Il ne me menaçait pas.
Il releva son visage transparent vers moi et quelque chose trembla dans ma poitrine.
Je reconnaissais mon amante... Et elle aussi semblait me reconnaître. Elle tentait de m’enlacer et s’évaporait au contact.
Elle se reforma devant moi, comme un petit nuage sculpté et animé, faiblement luisant. Une rêverie de réconciliation. Nous avons parlé avec bonheur, mais je ne me souviens pas de quoi.
Elle posait insensiblement ses mains dans les miennes.
A la fin, elle me murmura à l’oreille de la retrouver. Sa voix résonnait cette fois assez forte dans mon crâne pour que je me réveille en sursaut, comme si je l’avais réellement entendue à côté de moi.
Un rêve étrange, ou pas tellement, qui s’estompait déjà dans ma mémoire. Mais ces quelques mots me restaient à l’esprit.
Plus que le manque de sa personne, j’exprimais probablement là l’envie d’aller fleurir sa tombe comme j’aurais dû le faire peu après les évènements.
Je n’y suis pas allée pour autant.
Mon psychiatre, je crois qu’il a été inquiété par l’autre interprétation que d’aller la retrouver pouvait signifier.
Mais je n’avais pas l’intention de mourir. Bien loin de là.
Avec le temps, mon traitement était redevenu inexistant, ce qui était plus difficile par moments, mais aussi plus agréable généralement. Il y’a un temps pour tout et surtout avec les médicaments.
Cela signifiait aussi que ce rêve inhabituel n’était pas imputable à l’une de ces molécules d’autrefois.
Il n’était qu’à moi et reflétait celle que je devenais réellement.
Je me voyais commencer à exister plus clairement désormais.
Même mon corps me devenait appréciable ces temps-ci, avec moins de douleurs et plus de réceptions aux douceurs organoleptiques.
Je me sentais assez bien désormais et quelques idées nouvelles venaient animer mon esprit.
Des rêveries agréables réapparaissaient.
~
Peut-être une semaine ou deux plus tard, je rêvais à nouveau d’elle, me retrouvant dans une rêverie comme si une clochette avait sonné dans le lointain.
L’endroit était illuminé cette fois comme un jour ensoleillé.
Le lieu et son apparence avaient changé, mais étaient de peu d’importance. Ce rêve partiellement lucide m’intéressait surtout pour elle.
Elle flottait ou marchait, je ne sais pas. Nous parlions agréablement, déambulant dans une campagne que je ne reconnaissais pas.
J’étais joviale et elle aussi.
Avant de me réveiller, elle me répéta les mêmes mots.
D’ordinaire, le réveil après un rêve heureux me faisait redécouvrir avec un peu de mélancolie une réalité maussade et glissante sur les rebords du désespoir. Ce n’était plus le cas.
Je me réveillais joviale après un doux rêve. J’étais contente d’avoir eu un rêve agréable.
Je ne voyais pas de raison d’y réfléchir beaucoup plus que je ne l’avais déjà fait alors et avant.
Un jour, j’ai fini par voyager jusqu’à sa ville et sa tombe.
Son nom gravé sur la stèle du caveau familial me laissa un peu étrangère à tout cela.
Mais je regrettais de ne pas avoir pu être là à son enterrement.
Je lui laissais une prière générique et quelques fleurs.
Je n’allais probablement jamais revenir la voir.
Je soupirais en rentrant. Je lui avais fait mes adieux, mais je souriais pourtant.
~
Et pourtant, un peu plus tard, quelques nuits plus tard, elle revint me voir comme si rien n’avait changé.
J’étais surprise de la revoir cette fois-là, vu que j’avais eu le sentiment d’avoir clos mes adieux.
Elle m’expliqua peut-être des choses avec un visage nostalgique, de toute façon je les oublierai au réveil.
Je me souviens lui avoir signifié quelque chose comme quoi elle pouvait partir en paix.
La fin du deuil à priori.
Mais rien n’avait changé pour elle telle qu’elle m’apparaissait.
Et sa présence insensée commençait à vraiment piquer ma curiosité restaurée.
Je ne pouvais pas saisir ce qu’elle était vraiment, ni la croire.
Ce qu’elle pouvait être et représenter dans mon psyché en venait à vraiment m’intriguer.
Comprendre ce qu’elle était et sa persistance devenait un défi à relever qui m’intéressait.
Je me réveillais en l’entendant de nouveau me dire les mêmes mots.
- Retrouves moi.
Cela m’amusait car cela ne voulait absolument rien dire. Cela n’avait pas de sens. Comme je le comprenais, une part de mon esprit voulait jouer à un jeu avec moi consciente. Le but étant de comprendre le sens et l’utilité de ce rêve récurrent et cette présence imaginaire.
Et cela m’amusait beaucoup.
A - D’accord, je vais jouer.
Mon psychiatre, que je voyais plus occasionnellement désormais, était un peu plus perplexe.
J’avais trouvé un jeu de réflexion introspectif un peu étrange, mais qui me plaisait beaucoup. Cela me dynamisait, et chaque nouveau rêve était un nouvel indice tiré pour cette énigme chargée de phantasmes.
Je me découvrais une histoire, mon histoire, avec une intrigue mystérieuse, curieuse, et je l’adorais. Le sentiment était étonnant même pour moi, nouveau même, mais tellement plaisant.
Que pouvait-elle donc bien être ? Je n’étais plus triste désormais.
D’un point de vue pessimiste, elle aurait été un simple délire dut au deuil, mais je n’y croyais pas.
Déjà parce que mon manque était passé, et surtout parce que ces rêves avaient un effet euphorisant et non déprimant. Le morbide et la tristesse étaient désormais bien lointains.
Je croyais donc seulement qu’une part de mon esprit nouvellement restaurée essayait de me dire quelque chose de tout aussi nouveau. Une idée, un désir, peut-être une passion ou un autre rêve.
Je voulais m’écouter. Et ce jeu était à la fois une forme de discussion égocentrique et une forme d’apprentissage avec moi-même. J’évoluais pour pouvoir être heureuse, et il y’avait là un nœud surprenant sur mon chemin, autour duquel je tournais désormais.
Le rêve ponctuait ma vie de sons de clochettes, me rappelant une histoire que je tentais de décrypter.
J’en avais le titre, mais pas encore éclaircit le thème et les idées.
Je voyais de la lumière, et d’autres images incertaines s’associer lentement à l’idée première, comme autant d’indices qu’elle me répétait.
Le nord.
Quelque chose à propos du nord. Cette direction ressassée.
L’envie de partir en voyage, oubliée des années, revenait en moi.
L’idée de voyager, de laisser tous ces paysages derrière moi.
Partir ailleurs.
Rien ne me retenait plus que l’habitude émotionnellement.
Mon contrat de travail allait bientôt se terminer et j’aurai un choix à faire. Un choix ouvert.
Et la direction qui commençait à réellement m’inspirer, était celle d’une longue randonnée, vers le nord.
Des rêves m’inspiraient comme une passion naissante, et me faisaient envisager avec espoir même les moments éveillés.
Pas rêver de la revoir bien sûr. Non.
Elle était morte. Rien n’allait me la ramener ou me permettre de la revoir évidemment.
Non, plus que la personne, c’était un état d’esprit heureux et plus proche du bonheur que je souhaitais trouver ou retrouver.
Elle symbolisait dans mes rêves je crois plus l’espoir d’être heureuse désormais, que la personne qu’elle avait été.
Elle avait incarné un concept maléfique avec moi pour les autres, pour la société qu’ils composaient. Elle incarnait de nouveau le meilleur pour moi, sous une autre forme.
En m’aidant à espérer ; à regarder au loin, et à me donner envie d’aller plus loin, au loin, ailleurs.
L’envie de migrer hors de cette civilisation usée qui m’avait tant blessée. Peut-être bien pour en découvrir d’autres.
L’espoir réapparaissait au travers de chaque rêve. C’était l’espoir qui me demandait de la retrouver, sous les traits qui m’étaient familiers et associés à un bonheur passé.
Je rêvais de paysages bientôt. Des endroits tranquilles et réalises, jamais bien fantastiques mais qui me plaisaient. Des vues qui me donnaient envie d’aller les visiter.
J’avais l’envier grandissante de partir en voyage et plus rien pour la refreiner.
~
Mon travail me freina un peu étonnamment. Quand la dame commença sa reprise en ma compagnie à la bibliothèque, elle se trouva trop fatiguée pour assumer le rythme associé à cela et à sa vie de famille.
On me proposa donc de rallonger mon contrat de quelques mois, avec un temps de travail légèrement diminué, pour qu’elle puisse retrouver progressivement ses marques et son rythme.
Cela me convenait, car j’avais désormais un projet pour lequel je voulais moi aussi commencer à me rythmer.
Elle revenait au travail doucement, moi je me préparais tranquillement à partir.
D’abord, il y eut l’été et sa période de vacances. J’étais en congés quelques temps.
Plutôt que de les passer à travailler ailleurs, cette fois je les ai dépensés à quelque chose d’insensé pour celle que j’avais été.
Je rêvais clairement de faire de la randonnée, mais je n’étais pas du tout sportive, ni vraiment débrouillarde. Je n’avais jamais vécu en dehors d’une ville ni vraiment campé même.
Je ne pouvais pas juste décider de devenir forte, endurante et débrouillarde. Je n’étais pas capable d’une telle transformation. Je pouvais envisager de m’entrainer et de faire du sport, mais je n’étais pas capable de m’entrainer seule avec efficacité et discipline déjà. Il me fallait de l’aide pour me préparer physiquement, et je suis allée la chercher.
J’ai beaucoup regretté de ne pas avoir fait plus de sport dans ma jeunesse. J’ai vraiment souffert cet été là.
Mais je n’ai pas regretté d’avoir choisi ça et d’y tenir.
C’était l’un des avantages de vivre dans un pays en légère déliquescence économique et sociale.
On trouve des loisirs qui sont peu onéreux et très terre-à-terre ; parfois emprunts d’une nostalgie culturelle ou pragmatique.
Je me suis engagée pour un séjour d’entrainement pratiquement militaire. Ce genre de structures était très populaire.
Les familles n’avaient pas grand-chose à payer, et les jeunes se trouvaient à l’aventure et au sport, dans un cadre discipliné et fraternel.
Ce genre de colonies de vacances pour adolescents s’était démocratisé pour tous les genres ou presque. D’anciens militaires remettaient en forme des adultes et entrainaient les plus jeunes aux sports, à l’estime et l’entretien de soi-même.
Si l’armée est le niveau le plus brut de ce qu’une société peut-être pour une population nombreuse, et souffrait donc historiquement de tout ce que cela implique de brutalité et d’obscurantisme ; les à priori d’autrefois sur l’armée et les prisons s’étaient petit à petit évaporés quand ce genre d’offre s’est adoucit et diversifié en dehors de ces clichés et limites passées.
Le spectre de l’offre entre la prison, le camp disciplinaire, le camp d’entrainement sportif et les stages d’aventure et camping ; s’était tellement diversifié que les clichés du fondamental n’avaient plus lieu d’être.
Les entraineurs avaient aussi compris quel profil de superviseur s’adaptait mieux à quel public et quelle offre.
Cependant même si l’on pouvait trouver de tout dans le pays, j’étais restreinte sur ce que ma localité proposait.
De surcroit, 95% de la population de ces stages para-militaires restait la jeunesse aux familles sans le sou, la délinquance et la jeunesse qui voulait devenir plus forte pour quitter leur famille. Cette statistique simple biaisait beaucoup l’offre disponible pour moi.
J’ai trouvé un centre pour filles et j’y suis allée malgré tout.
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