Recto - partie 8
Pourquoi était-elle là ? Prume parvint à y réfléchir... Elle extirpait ce faisant, les derniers souvenirs, généralement douloureux, qui étaient restés cachés dans quelques méandres de son être. Elle n’avait pas encore retrouvée beaucoup d’émotivité, et agissait sans beaucoup de considération du coup. Elle réfléchissait pourtant, elle y parvenait...Elle se rappelait, que son corps était trop faible... Trop faible pour vivre ? Trop faible pour quoi ?
D- Trop faible pour supporter ce qu'il conserve en l’état...
Prume redécouvrit subitement l’angoisse et presque la panique. Elle crut trembler, elle crut chercher du regard autour d’elle qui avait parlé. Cette voix... Elle l'entendait jusqu'au plus profond de son être, même dans le coma. Les sons semblaient vibrer dans tout ce qui la constituait, et provoquer une sensation de froid envahissante jusqu’à l’intérieur du corps. Une sensation adjointe à la peur qui se révélait difficile à supporter. Ces paroles la traversaient comme un souffle, sans rien pour les ralentir. La matière, ici fantasmée, n’avait aucune solidité pour la rassurer. Elle se sentait plus faible et vulnérable que jamais. Elle avait une peur pour sa préservation comme elle n’avait jamais connue qui s’était mise à vibrer en elle.
Pru- Qui...est-ce ?
Prume eue pour toute réponse la sensation que la lumière diminuait, comme si elle allait perdre cette faible conscience et retomber dans le néant complet.
D- Je suis...
La réponse ne fut pas perçue, mais l’instant suivant, quelque chose s’abattait sur elle. De la tristesse ; peut-être en réponse, une tristesse l'envahit. La tristesse la plus grande qu'elle n'ait jamais ressentie, et redécouvrait au travers de celle-là qui les dépassait toutes.
Une marre la submergeant brutalement, à en perdre son rythme cardiaque et sa respiration. Une tristesse à en perdre la vie, à pleurer sans bruit tout son être et disparaitre... Une tristesse à être le dernier survivant d’un monde ravagé par un cataclysme n'aurait pas suffi, cette tristesse était trop intense, trop immense...Prume ne la concevait pas, elle la subissait comme quelque chose de trop proche de l’infini pour ce qu’elle pouvait encore concevoir. Comme si tout ce qui avait fait de la vie ce qu'elle était, l’univers entier, avait disparu, des milliards d'années auparavant ; et qu’elle seule avait pu subsister. Quelque chose de trop dur à définir pour trouver des comparaisons plausibles. Sous toute dimension pouvant être utilisée pour la définir, temps, espace, volume, masse, débit, quelque fut celles choisies, Prume ne trouvait rien qui puisse définir l’ensemble. Elle ne l’appréhendait pas plus qu’elle n’aurait pu attraper un océan. Elle se l’imageait comme cela, un océan...Aucun être ne pouvait supporter une tristesse aussi absolue, aucun être ne pouvait contenir un océan...
Prume ne le concevait pas, et elle s’y noyait. Prume ne la ressentait pas directement, mais avait du mal à la supporter. Cette tristesse infinie la submergeait, l'océan de larmes failli l'emporter...
Prume se dégagea de cette neige qui tentait de la recouvrir et remonta sans le réaliser dans un niveau de coma moins profond ; laissant derrière elle ce fantôme et sa tristesse sans fin... Sa nouvelle perception interne était brumeuse. Des pensées et des souvenirs flottaient et se mélangeaient, comme des milliers de spectres se mélangeraient pour former un brouillard très épais. Prume les voyait onduler, nager lentement, se croisant comme des fumées soufflées. Elle repensait aux souvenirs qui la traversaient. Elle en redécouvrit certains qu'elle avait oubliés...Tous étaient probablement là. Elle avait atteint un petit quelque chose où même les accès à la mémoire perdue restaient accessibles ? Ou plutôt les mémoires enfouies, ce qui était perdu ne pouvait par définition plus être retrouvé...
Prume flottait dans un univers flou, changeant, l'ectoplasme de tous les souvenirs de sa vie. Toutes ces fumées changeaient, se déplaçaient, se déformaient comme si des courants imprévisibles les parcouraient.
Prume se demanda ce que gardait son corps ; ce qu’elle avait dans ce corps...Cela fit s'approcher certains souvenirs à elle. Ils se condensèrent et elle y pensa, comme elle aurait regardée des vidéos, les souvenirs liés à cette idée défilèrent...
Insensiblement, pendant que l’image de son corps où elle était s’affermissait, elle revoyait des choses auxquelles elle aurait pensée si on lui avait posée la question une fois réveillée. Sa première crise, à l'école maternelle... Son cerveau la brûlait, ses poumons aussi. Elle toussait sans rien pouvoir faire d'autre, jusqu'à cracher son sang... Une piqûre au bras, l'anesthésie ou plutôt le somnifère. Elle perdait conscience.
Prume était pourtant là spectatrice de ses souvenirs, et ne maitrisait pas leur écoulement ou leurs changements...Ils s’écoulaient à une vitesse qui lui semblait correspondre à la réalité. Prume ressassa cet événement-là, de la maternelle. Elle était déjà troublée de ne pas maitriser l’écoulement de la pensée, mais encore plus de revoir comme un film ce passage au travers de ses yeux, et de sensations, dont elle ne se souvenait pratiquement pas...Elle avait tout enregistrée...Chaque détail, chaque visage dans la classe, la sensation de chaque toux dans tout son corps, jusqu’aux orteils se crispant dans une chaussette un peu mal ajustée...Le visage de l’infirmier, jusqu’au titre de son livre à l’époque...Elle voyait le mot particules...
Prume regarda plusieurs fois ce passage, et si la vitesse d’écoulement ne variait pas, elle voyait des volutes parfois étrangères passer au travers du film, et l’affecter. Des détails changeaient...Une ombre, une petite couleur, un son, une sensation de vibration...Elle regarda jusqu’à voir des couleurs de cheveux changer du blond au brun, subitement...Pendant le souvenir lui-même. Prume réalisa qu’il n y’avait pas de distinction entre imaginaire et réalité dans les souvenirs. Ces informations pouvaient s’altérer même au cours de leur lecture, et la conscience n’était pas dérangée...Les souvenirs n’étaient pas fiables ? Ils changeaient, ils évoluaient aussi, mais dans un cadre, un contexte qui n’était pas concret...Prume au début fascinée par la quantité d’informations retenues, ne comprenait plus leur intérêt, si elles étaient sujettes à autant de mutations qui les décalaient de la réalité passée...
Prume revécut ensuite sa crise de l'été ; avec ce soleil éblouissant. Elle voyait fondre le soleil comme un bloc de glace. Le temps de réaliser que cette vision était anormale, elle avait perdue connaissance. Les souvenirs de rêves faits pendant le coma ne furent pas affichés comme elle s’y serait attendue. Ils étaient probablement ailleurs ; là elle se concentrait sur son corps.
Elle revit donc sa plus terrible crise, la plus grave, qui avait failli la tuer. Celle que certains avaient nommés crise de sang, ou Sclérodermie avec quelques adjectifs variables. Elle revoyait avec une inquiétude involontaire le sang couler de partout tandis qu'on l'emmenait chez le médecin. Son nez, sa bouche, ses yeux et oreilles, puis son entre jambe, et les bords du symbole frontal. Elle s’essoufflait, elle avait froid, le médecin l'adossait au radiateur. Elle voyait à sa droite le lit, et tout le sang qu'elle y avait laissé. Elle réentendait sa pensée d’alors, quand elle se disait qu’elle allait peut-être mourir...
Prume revit le plafond de l'ambulance, où son corps la brûlait, et que la douleur devenait insupportable. Les craquements, sa peau qui se déchirait et ses vaisseaux superficiels qui éclataient tous. Le sang qui giclait, les transfusions, la boue bleue et tiède ; et après une dernière douleur intense, le noir, la perte de connaissance.
Prume se sentait mal. Elle devait continuer, mais ça lui était si douloureux de revoir ses instants ; de les revivre presque comme si c’était réel. Elle ne tenta pas de revoir ses souvenirs là à nouveau. Elle essaya de chercher avant ; avant la toute première crise...
Quand elle était toute petite, elle en avait tout oublié...Ce qu’elle vit l’étonna. Sa sœur sans corne...Quand elles étaient très jeunes, Elyne n'avait pas de corne ? Prume n’était pas certaine de pouvoir faire confiance à ces vues là...
Éloïse était toujours aussi adorable avec elles, même si l'âge n'était pas encore visible dans ses souvenirs. Elle restait la mère trouvée belle et gentille de tous ses souvenirs. Éloïse portait déjà ses grosses bottes blanches et rigides apparemment à l’époque...
Un nouveau souvenir arriva, remplaçant ceux de sa mère qui étaient venus. Prume vit sa sœur, encore bébé, avec de grosses tâches sombres autour de son œil gauche. Son œil blanc... Prume remonta un peu dans le souvenir et revit Elyne avec ses deux yeux bleus, et toujours pas de corne... Ses deux yeux ? Elle ne l'avait pas eu blanc de naissance ? Que se passait-il quand elle entendait ces deux cris effroyables de sa sœur ? Elle n'était pas au même endroit, elle ne le voyait donc pas.
Prume défia la logique, et tenta de voir. Elle essaya de biaiser le souvenir, de le revivre différemment, de bouger la vue, pour aller découvrir ce qui arrivait. Elle tentait de modifier le cours de l’histoire. Son souvenir vibrait, tout s’agitait et devenait flou, mais elle n’y parvint pas. Elle ne pouvait pas modifier son souvenir pour aller voir dans le passé quelque chose qu’elle n’avait pas vue. Elle ne pouvait pas non plus voir les souvenirs d’Elyne elle-même. Elle tenta, et des formes défilèrent, mais elles ne représentaient rien et elle s’épuisa inutilement. L’impossible restait impossible, même dans cet endroit irréel...
Prume commençant à accorder du crédit à ces vieux souvenirs d’Elyne avec ses deux yeux, comprenait pourquoi Éloïse était si ouverte aux histoires surréalistes qu'elle lui avait rapportée avec les serpents blancs. Elle aussi avait vécu deux choses inexplicables... Indirectement, puisque c’était Elyne qui les avait vraiment vécues, mais Éloïse les avait vues et ressenties. Un œil qui changeait, une corne qui apparaissait...L’œil avait été expliqué par le médecin apparemment, mais pas la corne...Quelle était censée être la suite ? Une paire d'ailes ? Prume était fatiguée, elle en avait marre de ressasser des souvenirs à la qualité douteuse.
Prume essaya de chercher autrement pour répondre à la question qu’elle se posait. Qu’est-ce qu’elle pouvait avoir dans le corps ? Qu’est-ce qu’elle pouvait conserver dans son corps qu’elle ne supportait pas ? Est-ce qu’elle s’était affaiblie à cause de quelque chose d’étranger en elle ?
La voix résonnante revint pour lui répondre, faisant intrusion dans ses souvenirs.
D- Tu n’étais pas encore en vie... Tu ne peux pas encore voir l’origine...
Pru- Qui parles ? Pourquoi tout ça ?
D- Je ne peux pas te donner de nom...
Le fort sentiment de tristesse revint, mais Prume la supporta. Elle se sentait pourtant fatiguée de cette histoire folle. Elle en avait marre, elle s’énervait sans être certaine d’arriver à se contrôler. Cette voix l’angoissait encore terriblement, mais cette fois, dans la panique, elle penchait vers l’agressivité. Elle désespérait.
Pru- Que me veux-tu ?
D- Simplement que tu vives...
Pru- Pourquoi ?
D- J'ai besoins de toi... vivante.
Pru- J'en ai... tellement marre. Les anges, les serpents, les fantômes...Je suis tellement fatiguée de vous tous... Et toi qu’est-ce que tu es ?
Prume soupira en râlant, elle débordait de stress, elle se sentait mal, elle craignait de tomber...Elle désespérait.
Pru- Et si je mourrais, que ferrais-tu ?
D -Ton corps... Tu ne pourras pas le détruire si facilement... Tu vivras, et ta sœur aussi...
Pru- Laisse là !
D- C’est trop tard...Le processus va se terminer...D’abord pour toi, mais elle suivra. Parce qu’elle est comme toi...
Il y eut un silence, et la voix résonna de nouveau, plus sombre, encore plus froide.
D- Jusqu'à votre séparation, j'ignorais qu'une telle chose était possible...
Prume demanda de quoi elle parlait, mais n’obtint pas de réponse...Il n’y avait que la sensation de l’océan tout proche qui s’amplifiait, comme si des vagues venaient s’échouer auprès d’elle. Prume releva la tête.
Pru- Pourquoi veux-tu tellement qu'on vive ? Qu’est-ce que tu cherches à faire avec nous ?
D- Vous... Vous me permettrez d'exister...Vous êtes mon lien vers ce monde...
Pru- Je ne comprends pas...Et si on meurt, tu disparais ?
D- Non. Si vous veniez à mourir avant la fin, je devrais...errer. Jusqu'à la fin des temps... Ou jusqu’à ce que je réessaye de m’en sortir comme avec vous...Mais cela n’arrivera pas. Toi et elle, vous ne pourrez pas disparaitre avant la fin...
Prume ne comprenait pas. Elle n’y arrivait pas dans son état.
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Prume restait avec un sentiment diffus. Elle se sentait minable, et l’océan était si proche, si vaste...Quelque chose de plus fondamental que sa propre existence était présent, là. Cette tristesse qui trahissait la présence de l’autre, l’être ou la conscience dont elle entendait la voix...Cette apparence, ce sentiment...Prume en oubliait qui elle était pendant un instant.
Pru- Pourquoi... tu es si... triste ?
Le sentiment de tristesse s'accentuait à chaque fois que la voix parlait, Prume ne le subissait pas en entier, mais en sentait l'étendue presque infinie...
D- J'ai...
Prume sentit que ce qui lui parlait était en pleine confusion. Ça ne trouvait pas de mots pouvant approcher convenablement sa peine. La conscience étrangère à elle-même ne parvenait pas à s’exprimer, à trouver des comparaisons compréhensibles...
D- Si... à ton réveil... Prume ; il n'y avait plus rien... Si tu ne trouvais que des ruines... désertes...du monde que tu as connue...S’il n’y avait plus eu d’âmes qui n'ait vécue en ces lieux d’autrefois, depuis... des millénaires... Prume, si tu te réveillais d'un coma de vingt mille ans, où irais-tu ?
Pru- Vingt mille ans ?
Quelque chose explosa subitement chez l'autre, la tristesse perça une voûte illusoire et s'effondra sur Prume, comme de l'eau percerait la voûte d'une cité sous-marine. Une éruption inversée mais toute aussi dévastatrice. L'eau emporta tout, les illusions de l'esprit de Prume, l’océan, la voix, les souvenirs douteux et le monde. Tous les aspects de cette fausse réalité où Prume était restée quelques temps s'effondraient sous le poids colossal de ces eaux tristes. L’océan s’était brutalement levé, éclaté, et bientôt dispersé.
Prume se sentit brièvement tourbillonner et plongea soudainement dans l'obscurité. Le sommeil, la nuit, l'inconscience la plus commune. Elle n'était plus qu'en attente de rêves communs ou d'un réveil...
S’il ne restait rien du monde qu’elle avait connue...Si tous ceux qu’elle avait pu aimer étaient morts depuis des âges. S’il ne restait rien qu’elle-même...Où irait-elle ? Prume n'avait pas bien entendue cette dernière question, qui ne lui était pas vraiment adressée... La voix ne lui adressait plus vraiment la parole à la fin...
La chose était repartie, emmenant avec elle sa tristesse colossale. Elle s’était brusquement effondrée...Prume, elle, était remontée à un niveau de conscience supérieur. Ce faisant, peut-être que l’autre n’avait pas pu rester...
Prume retrouvait ses souvenirs normaux et se réveillait.
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Prume se mit à rêver. Des rêves parfaitement normaux, sans faux anges ou vrais fantômes. Des rêves qui jouaient avec ses souvenirs, son subconscient, sa conscience et ses sens. Des rêves normaux. Des rêves qui traduisaient une activité cérébrale redevenue normale, et un réveil proche. Prume ressentait désormais dans ses rêves, la présence parfois très proche de ceux qu’elle aimait. Parfois même leur contact...On lui prenait la main, on lui chuchotait à l’oreille ; on lui caressait le front ou les cheveux. Parfois on l’embrassait doucement. Elle crut sentir qu’on l’embrassait même sur les lèvres parfois. Elle commençait à sentir la présence de ces tuyaux qui la maintenaient en vie. De ces aiguilles...De son cœur...
Elle n'y imaginait pas un seul instant, depuis combien de temps elle n'avait pas ouvert les yeux d’elle-même. Les jours s'étaient écoulés en pluie continue qui n'avait malheureusement pas fait changer son corps...Ce coma avait était le plus long. Et même si la ville ne changeait pas, les personnes qui lui étaient chère avaient beaucoup changées...
L'éternité. Une quantité de temps nécessaire pour que toute chose connue n'existe plus. Prume ne se réveilla pas à la fin de l’éternité ; mais le nombre de saisons passées allait se révéler tout de même plus important qu'elle ne l'imaginerait d’abord à son réveil...
Les jours et les nuits s'étaient échappées par centaines, quand ce jour arriva enfin.
La chambre de Prume était plongée dans l'obscurité. C'était une des salles blanches où elle avait déjà passé beaucoup de temps. Prume ne rêvait plus, elle était en train de reprendre conscience. Elle entendait son cœur, le ronronnement des machines proches. Elle sentait l’odeur aseptisée de la salle blanche d’autrefois. Elle sentait son corps faible comme jamais, pendant que les muscles terminaient de se rappeler à elle...
Le temps qui était passé en accéléré pendant tous ces mois, se ralentissait alors brutalement, dès qu'il y eut ce bruit de pas. Un bruit infime, mais de ceux que l'air retransmettait comme des impulsions.
La silhouette s'avança lentement au sas, seule partie de l'antichambre qui était illuminée. Elle y entra. Le sas se referma. Trouvant un taux de risque acceptable, il projeta sa vapeur brièvement et ouvrit la porte interne. Ces légers bruits de pas s'approchèrent de Prume. A côté de l'endormie, une étagère remplie de fleurs apportées par sa sœur et sa mère. Un paradoxe sur lequel personne ne s’attardait, bizarrement...La personne entrée n'était pas venu voir Prume depuis bien longtemps. Elle se pencha un peu au-dessus de l'endormie, doucement. Le vêtement se froissait contre le drap qui la couvrait.
Nép- Prume.
Les appareils déclarèrent des nouvelles valeurs ; elle réagissait. Prume entendait.
Nép- Il est peut-être temps de te réveiller, non ?
La question ne dégageait aucune agressivité, elle était posée doucement, avec douceur et gentillesse. La personne baissa un peu la tête, laissant passer son visage dans une faible zone de lumière. L'espace d'un instant, Prume aurait pu voir ses yeux, et l'aurait sûrement reconnue.
Elle mit sa main sur le front de Prume, dégageant quelques mèches sur les côtés.
Nép- Debout Prume.
Sa voix était légère, mais fit autant d'effet qu'un coup violent. Prume était en train de se réveiller. Elle entendait, elle se rappelait, elle sentait.
Nép- C'est moi, moi qui te connais mieux que quiconque. Tu peux ouvrir les yeux, je suis là...
Une des machines fit des bruits étranges. La lumière de la chambre s'alluma soudainement. Toute la chambre fut inondée de lumière, et Prume sentit ses pupilles se rétracter douloureusement malgré ses paupières closes. Elle les serras, et une fois la douleur passée, les ouvrit lentement. Elle était réveillée. La jeune fille qui se tenait à côté avait un visage qui lui rappelait quelque chose.
Il lui fallut d’abord le temps de retrouver ses esprits et sortir les tuyaux de sa gorge. La fille souriait en l’aidant à s’en débarrasser. Prume toussa un moment pour reprendre son souffle. Elle regarda ensuite le visage souriant. Elle ressemblait beaucoup à Néphéline...Mais elle était adolescente, pas petite fille de neuf ans...
Pru- Qui es-tu ?
Son sourire disparut, elle était vexée. Elle secoua la tête et fit ainsi tomber ses cheveux roux sur son visage. Ses yeux verts étaient donc cachés. Prume compris qu’elle s’était trompée... Elle ne ressemblait pas à Néphéline avec quelques années de plus. Son cœur s’était serré.
Pru- Néphéline... Mais quel âge as-tu ?
Nép- Celui que tu avais à notre dernière rencontre.
Prume regarda ses mains, les soulevant très mollement, elle n'avait pas grandie apparemment... Ses bras retombèrent.
Pru- Alors j'ai...
Nép- Un peu plus de dix-huit ans, mais tu n’as pas beaucoup changée...
Pru- Dix-huit ans... ça fait quatre ans.
Nép- Ton plus long coma, et j'espère le dernier.
Pru- Où est Elyne ?
Nép- Sans doute en train de dormir chez elle. Mais je suis là...
Prume eu l'exécrable impression que Néphéline voulait prendre la place de sa sœur... Néphéline tourna la tête, un léger sourire au visage.
Pru- Elyne va bientôt arriver...
Néphéline ne dit plus rien à ce sujet, et parla d'autre chose après un moment de calme.
Nép- Prume, que comptes-tu faire ?
Pru- De quoi ?
Nép- De ta vie.
Pru- Je ne sais pas...
Nép- Elyne a pris un appartement, à l'autre bout du secteur, pour être à côté de l'université de sciences... Mais toi, que vas-tu faire ?
Néphéline semblait surtout inquiète. Elle l’était. Mais elle n'avait pas pensée que Prume pourrait être embrumée par son brusque réveil ou mal lunée par son coma de quatre ans. Prume se rappela d’une étincelle.
Pru- En fait...J'ai peut-être une idée...
Nép- Laquelle ?
Prume lui expliqua alors ce qu'elle souhaitait faire... L’idée qu’elle avait eue, même si elle ne savait pas trop comment...Néphéline était ravie en l’entendant, et lui promis de l'aider. Elle ferait tout son possible pour l’aider. Leur discussion sur le sujet continua longtemps. Néphéline avait déjà trouvée quelque chose pour commencer à travailler sur ce projet...
Elles en parlèrent jusqu'à ce que la porte de l'antichambre ne s'ouvre brutalement. L'antichambre étant toujours dans l'obscurité, Elles ne virent pas qui était là, mais savaient bien sûr que c’était Elyne. Il n’avait pas été nécessaire de la prévenir évidemment. Néphéline n’en était même pas surprise.
Pru- Comme tu es belle Elyne !
Et grande, songea-t-elle aussi... Elle était sincère, Elyne devenue presque adulte lui était magnifique. Sa croissance à elle était bientôt achevée. Ses cheveux longs avaient continués de pousser. Elle avait fait une énorme tresse à sa gauche, et faisait tomber ses cheveux en arrière à sa droite. Elle était habillée simplement de ce qu’elle avait trouvé au plus vite, mais reflétait assez bien ses goûts vestimentaires. Un pull-over sombre et un pantalon de sport. Elle gardait toujours son aspect gracieux, presque féerique avec sa corne et son œil blanc, qui la distinguaient toujours.
Ely- 0h...Merci sœurette. Je suis tellement contente de te revoir ! Comment tu te sens ? Tu vas bien ?
Elyne s'était précipitée pour la serrer un peu dans ses bras avant même de la laisser répondre. Après l'avoir embrassée longuement, elle la laissa un peu respirer et s'essuya les yeux. Même le blanc pouvait pleurer.
Pru- Ça va, merci. Je suis si désolée d'avoir dormie si longtemps...
Ely- C'est pas grave Prume ! Ne t'inquiète pas... Maman va bien elle aussi. Je l'ai appelée et elle arrivera bientôt...
Avec l'arrivée d'Éloïse peu après, Néphéline s'en alla, laissant Prume faire ses retrouvailles de famille. Elyne était maintenant plus grande qu'Éloïse. Cette dernière était tout aussi heureuse de retrouver Prume, les retrouvailles furent donc longues.
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Après quelques jours en chambre normale, permettant à Prume de se réhabituer physiquement à être autrement qu’allongée, elle serait autorisée à rentrer. Il lui fallut bien ces quatre jours pour arriver d’abord à se redresser, ensuite à s’asseoir, et enfin à se lever. Elle avait l’horripilante impression que de forcer au maximum ne lui permettait qu’à peine de bouger.
Une fois capable de déambuler, sa sœur était prête à l’accompagner autant que nécessaire, et elle pouvait sortir.
Le vingt-deux mai de l’an vingt-neuf, Éloïse et Elyne ramenèrent finalement Prume à sa maison, mais l’ambiance avait changée, pour quelque chose de plus sinistre. Autour d’elle, pendant qu’elle restait silencieuse, Prume constatait que tout avait changé...
Éloïse avait reçu la consigne de garder la maison extrêmement propre, pour préserver la santé fragile de Prume. L'organisation interne avait donc un peu changé, même si elle s'y retrouvait encore. Prume était tout de même chez elle.
Quand les émotions furent calmées, elles allèrent dormir. Les filles avaient toujours la même chambre pour deux, mais Elyne passait plus de temps à son appartement que la maison de sa mère depuis déjà plus d’un an. Cela s’en ressentait. Et Elyne n’avait plus grand-chose de l’adolescente qui était encore si proche de sa sœur autrefois, la différence de stature entre elles deux était clairement douloureuse pour Prume. Prume avait ratée sa croissance...C’était irréversible.
Prume n’y pensait pas encore clairement, que sa chance de devenir adulte était perdue. Prume ne se rappelait pas de tout ce qu'elle avait vécu dans son coma ; mais l'image de sa sœur encore bébé, les deux yeux normaux et sans corne restait en sa mémoire... Une image qui était pour elle anachronique ou illogique, qui la gênait. Avant de dormir, chacune dans leur lit, elles discutèrent un peu.
Ely- Tu as vu une des anges cette fois-ci Prume ?
Pru- Non... Enfin je ne crois pas, je ne me souviens pas de tout.
Ely- De quoi te souviens-tu ?
Pru- Une profonde tristesse...
Prume regardait au loin, vaguement. Qui pouvait être aussi triste ? Qui devait vivre avec de telles chaînes accrochées à soi-même ?
Ely- Tu étais triste ?
Pru- Je le suis maintenant...Mais ce n'était pas la mienne. Cette personne m'avait dit quelque chose mais je ne me souviens pas bien... Je me souviens d’un regard perçant ; et d’une lumière violette...
Elyne ne répondit pas immédiatement. Le mal être du réveil de Prume était évident, et elle le partageait aussi bien qu’avant...
Ely- Et... les serpents ?
Pru- Je ne les ait pas vus. Tu les as revus ? J’ai un souvenir bizarre...
Ely- En fait, je ne les ai pas revus depuis, non. Je ne les ai toujours pas revus, mais...
Elyne baissa la tête. Elle ralluma et montra à Prume dans le miroir de la chambre son propre dos. Elyne lui expliqua ce qu’elle avait vu, ce qu’elle avait même touché...Finalement, Elyne montra son dos à elle. Derrière l'épaule gauche, en symétrique de son dos, Prume pouvait voir trois taches noires. Malgré la différence de taille entre les sœurs, les taches rondes avaient la même surface, d'un petit verre de montre. Prume à droite, Elyne à gauche.
Pru- Tu... Toi aussi...
Ely- Je n'ai jamais rien vue ou sentie...J'ai juste découvert ça un jour... Rien n'a changé depuis. Au début j’avais vraiment peur, mais quand j’ai vue ça, j’ai compris que s’y était déjà depuis longtemps...
Pru- Ils sont peut-être partis ? Peut-être que c'est avant ça qu'ils étaient prisonniers de nous.
Ely- Possible... Vu comme ils étaient étranges, c'était peut-être ça. Comment savoir ? On patauge et on élabore des théories, mais rien ne s’éclaircit...
Pru- Elyne... Est-ce que tu te souviens de quand ton œil gauche était normal ?
Ely- Euh... Non. Il me semble que j'ai toujours été borgne, même si je perçois quelques détails parfois avec... Tu t’es rappelée quelque chose ?
Pru- J'ai un souvenir bizarre...Je te vois bébé et tu as tes deux yeux, et ta corne n'est pas encore là... Mais tu ne devais pas avoir deux ans, donc je ne comprends pas. D’habitude, je n’avais pas de souvenir de cette époque.
Ely- On demandera demain à maman si tu veux, d'accord ?
Pru- Oui...
Elyne éteignait à nouveau la lumière et se recouchait ; mais les deux sœurs restaient soucieuses.
Pru- Elyne...
Ely- Oui ?
Pru- Je crois...Que ça va être dur, dorénavant, pour moi...Alors restes avec moi, s’il te plait...
Ely- Évidemment. Je serais toujours là pour toi.
Prume s’endormit en se promettant quelque chose. Un remerciement qui viendrait plus tard...Après une courte nuit, car elles étaient rentrées tard, la famille entama une nouvelle journée. Elyne et leur mère avaient toutes deux quelques jours avant de retourner travailler pour bien accueillir Prume.
Au petit déjeuner, Elyne demanda à sa mère la question qui touchait un sujet sensible fut posée. Éloïse, pas encore coiffée, laissait apparaître le gris étendu de ses cheveux. Elle ne s’en souciait pas encore trop, elle était trop contente d’avoir retrouvée sa fille dormeuse.
Ely- Maman, est-ce que mon œil gauche a vraiment toujours été blanc ?
Éloïse était visiblement étonnée. Elle se rasseyait surprise, mais un peu fragile aussi.
Élo- Que...Tu t'en souviens ?
Ely- Non justement.
Élo- Eh bien...
Éloïse s'installa plus confortablement et soupira.
Élo- Tu allais bientôt avoir deux ans quand c’est arrivé...Tu t'étais crevée l'œil sur le coin d'une table...
Pru- Crevé ?
Élo- Oui, complètement. J'avais trouvée des... morceaux, quand j'ai nettoyée après.
Ely- Mais...
Élo- Je ne sais pas non plus... Ça m'avait déjà choqué à l'époque, et je n’ai pas plus de réponse aujourd’hui. L’oculiste m’avait dit que c’était une sorte de petite tumeur que tu avais de naissance. Normalement, il aurait fallu t’enlever l’œil un peu plus tard, mais ça n’a jamais été nécessaire.
Éloïse avait facilement devinée la question ; elle s’était posée la même dix-huit ans plus tôt, et répétée suffisamment longtemps pour jamais l’oublier.
Pru- Maman ?
Élo- Oui Prume ?
Pru- Et sa corne ?
Élo- Oh... C'était quelques mois après, un jour vous vous êtes cognées la tête, et la corne poussait déjà le lendemain. Je ne peux rien vous apprendre d’autre.
Éloïse était toujours partagée entre l'inquiétude de ces deux choses qu’elle ne connaissait toujours pas, et l'amusement que ces événements pouvaient provoquer. Ses filles faisaient des visages incrédules qui l’amusaient.
Pru- Finalement...Je ne suis pas la seule à avoir des bizarreries médicales...Ça me rassure un peu.
Ely- J’aurai préféré que ce soit mieux partagé...Maman, Il y a déjà eu des choses comme ça dans la famille ?
Élo- Moi et mon père n'avons rien eu de tel. Ma mère non plus je crois. Ma grand-mère maternelle avait peut-être quelque chose mais je ne l’ai pas connue donc je ne sais pas vraiment... Est-ce que...Ça ne vous a jamais ennuyés, de ne pas avoir de père ?
Les sœurs se regardèrent avant de répondre en même temps.
- non.
Élo- Vous êtes vraiment très fortes mes chéries...
Éloïse les prenait dans ses bras. Elle pensa que c'était sans doute parce qu'elles étaient jumelles qu'elles n'avaient pas souffert de cette absence. A deux, elles avaient toujours eu quelqu'un avec elles.
Les jumeaux n’étaient jamais seuls, car dès leur départ dans la vie ils avaient un compagnon. Elyne et Prume n'étaient pas les premières jumelles sans père, mais sur ce sujet, leur jeunesse fut relativement paisible.
Tous les maux qu'elles avaient subies n'étaient pas dus à ce manque relatif de père. Éloïse était un peu soulagée de l’entendre.
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Éloïse réfléchissait, pendant que ses filles passaient la journée à parler. Le lendemain, il fut cependant bientôt l'heure pour elle et Elyne de partir étudier. Prume resta donc seule. Elle n'avait pas grand-chose à faire, et elle s'ennuya vite. Elle remarqua que seuls ses cheveux avaient un peu poussés pendant ces quatre ans. Elle les attacha en arrière en simple queue de cheval. Ils lui arrivaient encore bien au bas du dos cependant. Elle n’avait pas l’habitude de cette longueur, mais elle n’avait pas envie de les tailler seule.
Il lui fallait trouver quoi faire pendant ses journées. Elle était complètement seule jusqu'au retour de sa mère. Pour sa sécurité, il fallait qu'elle sorte le moins possible de la maison. Elle n’était pas enfermée heureusement, mais n’avait de toute façon rien de particulier qui l’attirait dehors.
A contre cœur, elle se remit à lire. Elle regarda des films, lu des livres à nouveau par dizaines, puis par centaines... Les semaines passèrent dans cette ambiance la plus froide. Elle ne voyait sa mère que les matins et les soirs. Mais surtout, elle ne retrouvait Elyne que les fins de semaines. Prume s'ennuyait tellement. Elles étaient désolées. Prume serait réinscrite au lycée si elle le souhaitait, mais il fallait encore attendre la fin de l'année scolaire. En attendant, il était préférable qu’elle ne sorte pas trop...
Ses rares visites de journées étaient de Néphéline, qui lui apportait le plus souvent des livres de sa bibliothèque. Mais Néphéline aussi avait changée, plus que physiquement...
Néphéline n’inspirait pas confiance, et faisait même un peu peur. La jeune fille traînait toujours derrière elle une aura malsaine et légèrement écœurante. Une sorte d’ambiance invisible qui l’accompagnait, sans être une odeur particulière, mais dans laquelle les gens l’entourant se sentaient rapidement mal à l’aise. Seule Margarette semblait épargnée ou immunisée contre cela. Cette aura sombre...
Elle parlait moins qu'avant avec Prume, qui était elle, de plus en plus mal à l'aise en sa présence...Néphéline avait grandie seule. Elle n'avait eue pour grandir ses dernières années que des contes et des livres. L’école, le collège, Néphéline y allait complètement détachée d’elle-même...Elle faisait acte de présence, répondait éventuellement, mais n’était élève que par mécanismes réflexes. Sa personnalité et son esprit n’y étaient pas, au point qu’elle ne gardait même pas les souvenirs de ce qu’elle faisait et apprenait pendant les cours. Elle ne vivait pas...
Margarette était trop fatiguée pour parvenir à faire quoi que ce soit. La petite fille avait donc évoluée dans un monde artificiel qu'elle formait par ses rêves et désirs. N’apprenant pas vraiment à penser ou réfléchir, incapable d’assimiler des principes sociaux, moraux, éthiques ou légaux, elle évoluait dans le monde qu’elle devinait, et vaguement, qu’elle se construisait. Comme si elle ne parlait pas la même langue que ses comparses, elle tentait de s’adapter à des principes externes à elle-même qui n’avaient rien de logique ou compréhensible aisément. Il y’avait donc un décalage énorme qui s’était construit entre le conformisme, fut il intelligent, et sa manière de penser, d’appréhender le monde et la vie...
Néphéline lisait toujours lentement, mais faisait parfois des efforts étranges. Elle était parvenue à finir de lire l’un des livres qu’on lui avait demandée de lire en première année de collège, quand elle arrivait en troisième année. Au cours des trois années, les autres élèves s’étaient peut-être moqués de son apparente stupidité, elle n’en savait rien ; elle ne s’en souvenait pas. Sa psychologie ne lui permettait pas de se faire des souvenirs des temps de classe. Margarette recevait évidemment des avis peu élogieux concernant sa petite fille, mais aussi parfois des compliments devant un sérieux et un calme imperturbable. Un sérieux qui forçait un respect, mais une attitude qui faisait peur...
De ce qu’elle avait lu, de ce qu’elle avait entendue et perçue du monde, à sa conception manquait quelque chose d’essentiel. De sa façon de vivre et d’exister, d’aussi longtemps qu’elle se souvenait, il lui manquait quelque chose de vital...
Ce qu'il lui manquait n'était pas un prince charmant, mais parvint à considérer que c’était une amie. Elle entendit un jour parler de Prume, et l'incorporait dans son conte chimérique. Dans son développement de fille humaine, tout s'était brouillé depuis plus tôt qu’elle ne pouvait se souvenir. Son esprit pensant n'étant plus accordé à aucune logique apparente pour l’extérieur, la fillette était devenue une personne au comportement anormal. Elle se souvenait que Prume l’avait attirée, et plus encore, l’avais soulagée de cette marre d’encre qu’elle générait en permanence, sans parvenir à le contrôler plus qu’une simple transpiration.
Néphéline était devenue parfois incapable de comprendre ce qu'elle pensait, ce qu'elle faisait ou ce qu'elle ressentait. Son pauvre esprit avait été comme absorbé par l'ectoplasme de ses rêves et de ses histoires inventées par elle ou d'autres... Tout son être avait pris un mode de vie complètement étrange depuis trop longtemps. Elle ne pouvait plus pleurer, et à peine sourire. Se trancher un bras ne lui aurait pas permis de souffrir normalement. Elle se serrait demandée très vaguement comment réagir. La folie ? Peut-être bien... Elle gardait inconsciemment un regard terriblement hostile envers ceux qui la regardaient ; mais elle ne percevait plus rien ; à part Prume.
En Prume, elle avait trouvé une chose pour laquelle son existence avait un semblant de raison d'être. C'était un fait inconscient, mais on ne pouvait plus dire, et depuis longtemps, que cette enfant avait encore une vraie conscience. Elle était plus devenue une sorte de machine hasardeuse qui aurait avalé son créateur pour s'en nourrir, qu’une adolescente saine d’esprit. La base de sa vie de monstre, c'était devenu l'infortunée Prume. Cette dernière saisissait plus ou moins la situation. Prume avait manquée à Néphéline, beaucoup manquée...La jeune fille qui avait eu un semblant d’équilibre grâce à Prume autrefois, avait passé ces dernières années à entreprendre un développement d’autant plus anarchique et monstrueux, que le manque de Prume et la solitude s’étaient vus auparavant calmés...
Néphéline avait un regard sinistre, une démarche banale, des vêtements moins souvent roses, mais ne semblait plus être humaine au regard de ceux qui la croisaient. L’aura qu’elle avait involontairement développée donnait à toute sa personne, tous ses gestes, un aspect sinistre et éventuellement malveillant. Une impression désagréable l’entourait, et touchait les gens proches.
Elle n’était pas fondamentalement mauvaise, mais mal construite, et la seule chose distincte en elle-même qui avait de la valeur, c’était Prume Gains.
Prume ne comprenait pas tout ça, mais sentait que Néphéline était bizarre, qu’elle lui tournait autour...Ce dont elle avait peur, c'était que Néphéline se mettent soudainement à agir différemment envers elle. Sans que ses faux sentiments ne changent, sa manière de les exprimer aurait tout aussi bien pu être différente...Plus agressive par exemple. Prume frissonnait à cette idée, et espérait de tout cœur qu’au moins, Néphéline ne change pas sa façon de faire, d’agir, pour une autre pire.
Car si elle changeait, cela pouvait devenir n'importe quoi, absolument n'importe quoi. Pour une personne qui appréhende à peine sa propre existence, ce n'était pas quelques lois qui pourraient la ralentir. Dans quel cas bien réel, Prume pourrait être en danger de mort, ou d'autres qui pouvaient éventuellement être pires.
Fort heureusement, Néphéline ne changea pas à cette époque, et même si elle dégageait une aura des plus néfastes, elle se comportait comme une amie des plus normales, aidant Prume comme elle pouvait. Elle tournait autour de Prume parce que son propre monde intérieur faisait de même, mais son sentiment s’approchait plus d’une amitié profonde, que d’un désir égoïste ou pervers. Prume était ce qui comptait, et son envie n’était pas de se l’approprier, elle était donc prête à faire tous les efforts du monde pour rester une amie convenable, et se préserver de devenir une menace pour Prume. Devenir quelque chose de néfaste pour Prume était le pire pour elle, et faisait donc tout son possible pour l’éviter. Cependant, même si Néphéline faisait des efforts énormes pour paraître normale et amicale avec Prume, elle trainait toujours cette aura qui trahissait une conception difforme, et clairement très mal adapté à la situation. Paraître normale lui coûtait une énergie aberrante, ce qu’elle était devenue ne lui permettant pas vraiment de simplement être normale.
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Un jour, Néphéline apporta un vieux livre à Prume. Celui-là aussi venait de la Terre avant l'hécatombe virale. Un livre qui avait été emmené à Solaris, et non édité dedans. Néphéline avait vue en celui-là quelque chose qui l’avait intriguée, et avait attendue une journée de libre à passer avec son amie pour se pencher à deux dessus.
Ce qui intrigua Prume à son tour, et piqua sa curiosité, comme Néphéline s’y était attendue ; c'était le nom de l'auteur. Un nom qu'elles connaissaient bien...
L'auteur était Amna Wolframite. Le prénom ne leur rappela d’abord rien.
Ce livre datait de la fin du vingt et unième siècle. Néphéline ne l'avait pas lu, évidemment, et découvert par hasard, caché derrière d'autres livres en langues étrangères. Le Livre s'appelait les morts derrière moi. Il avait été traduit de l'allemand par un inconnu. Prume était excitée, Néphéline amusée d'avoir trouvée un livre d'un ancêtre. Un ancêtre des siècles précédent ; mais elles ne pouvaient pas situer la date, le calendrier ayant changé avant leurs naissances.
Margarette n'était pas au courant que le livre était sorti de la bibliothèque, peut-être n’aurait-elle pas voulue ? Prume le lut dans la matinée même en compagnie de son amie. Elle tournait les pages avec seulement quelques secondes d’intervalle entre chaque. Que pouvait bien raconter cette histoire d’une ancêtre de Néphéline, à une époque lointaine ?
C'était un bête roman sentimental qui ressemblait à une tragédie. L'héroïne, Ahouen, rencontrait de nombreuses personnes ; se liait à beaucoup d'entre elles. Malheureusement pour elle, toutes mourraient peu après. Tous ceux qu'elle aimait la quittaient, ses maris, ses jeunes fils, ses amis ; tous... L’histoire retraçait une trentaine d’année où la pauvre Ahouen ne cessait jamais de perdre ceux qu’elle aimait, très rapidement dès que le bonheur semblait s’installer...Ses maris et enfants ne vivaient pas plus de quelques années avec elle, avant d’être emportés par des causes toujours différentes, mais toujours funestes.
Le roman n'était pas bien gros, et écrit à la première personne comme une autobiographie. Ahouen expliquait et décrivait sa souffrance continue, que la mort emportait tout et tant, et si vite...
Il y avait une petite note du traducteur à la fin. Il était écrit que l'auteur, Amna Wolframite, de son nom de jeune fille Amna Ankhi, s'était inspiré de la vie de sa mère pour écrire son livre. Une femme qui était morte à cette époque, à cent vingt-neuf ans. Elle aurait enterrée trois maris, sept enfants et dix-sept autres membres de sa famille. Ses derniers mots auraient été ;
- Il y a trop de morts derrière moi...
Amna s’était donc inspirée de sa vie et ses paroles pour écrire ce livre triste.
Prume ne se rappelait pas bien d’abord, où elle avait entendu parler d'Amna Ankhi, mais ce nom lui rappelait quelque chose tout comme à Néphéline. Mais ce fut Elyne, avec qui elle en discutait en fin de semaine, qui s’en rappela.
Ely- Amna Anqui ? Voyons... Ce n'est pas la vampire de la Commedia ?
Pru- La Commedia dell’arte...Ca me rappelle quelque chose. Ah oui ! Il y avait bien une Amna Ankhi dedans. Mais... Hum, non...
Ely- Un problème ?
Pru- Elle a écrit le livre à environ soixante ans, en l'an deux mille nonante deux.
Ely- La Commedia n'était pas au dix-septième siècle ?
Pru- Je crois bien oui...C'est le problème... Et elle était allemande quand elle a écrit son livre, pas italienne...
Ely- Tu devrais aller chercher au centre historique avec Néphéline demain, si elle est libre. Vous trouverez probablement des renseignements sur son ancêtre tout au moins.
Le jour suivant, Néphéline et Prume allèrent donc au centre historique, qui était conjoint à la grande bibliothèque Al-Khawarizmi. Aussi incroyable que cela ait pu paraître, Néphéline avait donnée rendez-vous à quelqu’un d’autre pour les accompagner dans leurs recherches. Prume le découvrit avec un étonnement franc en arrivant sur les lieux. Mais sa question ne concerna pas le rendez-vous lui-même...
Pru- Tu t’es faite une amie ?
Nép- Si on veut...Elle te ressemble un peu...
Néphéline et Prume rejoignirent une terrasse. À une table, une jeune femme au visage dissimulé sous les cheveux patientait. Néphéline l’appela en approchant. La jeune fille qui se leva et arriva vers elle avait une démarche mal assurée et était plutôt chétive. Elle ressemblait à Prume dans la couleur des cheveux et la tendance à les laisser tomber sur le visage, mais pour elle, c’était relativement différent.
Avant de partir commencer les recherches, elles se présentèrent. Prume la salua, tentant vainement de voir les yeux de la jeune femme sous les cheveux qui cachaient complètement son visage.
Che- Bonjour Prume. Je m’appelle Cheryl...Je sais que tu n’as que quelques mois de moins que moi donc ne t’inquiètes pas...Je suis contente de te rencontrer, Néphéline m’avais parlée de toi, et nous étions faites pour nous rencontrer.
Pru- Ah...Ah bon ?
Che- Hi hi. Je t’expliquerais...Par contre, est-ce que tu me permets de toucher ton visage ?
Prume ne comprit pas immédiatement. Elle se rappela que Cheryl était venue avec une démarche mal assurée jusqu’à elles, et que ses yeux restaient cachés.
Pru- Tu es mal voyante ?
Che- Je suis complètement aveugle depuis quelques années...Tu me permets ?
Elle se permit de toucher le visage de Prume en entendant sa réponse, et d’en effleurer les contours pour se le représenter. Prume se laissa faire. Cheryl eut un mouvement de tête pendant un instant, trahissant la surprise quand elle effleura la grosse lèvre inférieure, croyant d’abord que Prume avait tiré la langue.
Che- Tu as une lèvre drôlement charnue...Alors, la peau crème, les yeux bleus trop foncé pour qu’on remarque que c’est du bleu et les cheveux châtains clair, tendant sur le gris...Tu es plutôt jolie.
Prume ne s’attendait pas à entendre cela. Malgré son apparence encore juvénile et sa lèvre hypertrophiée, elle était jolie ?
Pru- Euh...Merci...Cheryl...Dis, comment tu es devenue amie avec Néphéline ?
Cheryl se tourna vers la fille aux cheveux roux.
Che- Tu me considères comme une amie Néphéline ?
Nép- Non. Mais tu m’avais aidée à faire quelques recherches ici. Et c’est toi qui avais voulu que je te recontacte si j’avais une recherche à faire...
Che- Voilà tout. Je suis douée pour récupérer des informations, même si elles sont vieilles ; mais je n’ai pas beaucoup l’occasion de me rendre utile.
Pru- Merci à toi...
Che- Remercies Néphéline d’avoir pensée à me recontacter !
Nép- Je ne me souviens pas t’avoir recontactée maintenant que tu le dit...Tu m’as juste dit ce matin que tu venais.
Che- Oh, ne nous attardons pas sur des détails insignifiants ! Je suis juste curieuse... Si vous voulez bien m’accompagner, je vous promets qu’ensuite vous n’aurez qu’à récolter ce que je vous trouverai...
Elles y allèrent, Néphéline aida Cheryl à contre cœur à se déplacer. Une fois dans une salle qu’elles avaient réservée, Cheryl s’installa devant un large ordinateur et commença à tapoter le clavier. Elle brancha son clavier pour aveugle dans la connexion prévue à cet effet et commença à tapoter les touches avec aisance. Des images diverses défilaient sur l’écran.
Cheryl gardait la tête droite, mais ne regardait évidemment pas l’écran. Elle avait des images projetées directement dans son cerveau par un appareil prévu pour cela au-dessus d’elle.
La bibliothèque majeure de la ville, avec plusieurs millions de livres et des banques de données encore plus conséquentes étaient accessibles, physiquement et numériquement. Si Cheryl n’avait aucune chance de parvenir seule à trouver quoi que ce fut physiquement, devant un ordinateur, elle devenait quelqu’un d’autre, et démontrait une efficacité redoutable.
Prume et Néphéline lui indiquèrent les détails qu’elles avaient sur Amna Anqui et Amna Ankhi. Après quelques secondes, plusieurs pages de textes et fiches s’affichaient. Cheryl laissa Néphéline et Prume lire.
Nép- Amna Ankhi et ses variantes sont des faux noms d'auteurs utilisés un peu partout dans le monde depuis au moins l'an mille trois cent...Et peut-être même avant ? C’est encore plus vieux que la Commedia ça...Chaque nouvel auteur d'un livre particulier signant sous ce nom à contribué à enrichir le nombre d’ouvrages attribué à Amna Ankhi...La plupart de ces livres étaient des romans historiques, ou des essais historiques...Là ça dit qu’à certaines époques, c’était courant que des auteurs se regroupent derrière un faux nom pour aider leurs affaires...Hum. Quelles sont les variantes du nom qui ont existées ?
Cheryl fit bouger quelques images par des mouvements de poignets.
Pru- Anchi, Anci, Ancci, Anki, Ankhi, Anqui, Anqi... Je ne sais pas lire les autres écritures...Tout ce qui est possible mais phonétiquement proche on dirait. On prononce souvent pareil ou similairement.
Nép- Mais... Le livre que tu as lu n’était pas signé Amna Ankhi mais Amna Wolframite.
Che- Wolframite ? Un ancêtre de Néphéline ?
Pru- Probablement.
Cheryl relança la recherche. Une petite liste fit son apparition peu après. Cheryl fit basculer quelques images et se mit un peu de musique dans les oreilles, en attendant qu’elles lisent.
Nép- Trois réponses ; les morts derrière moi, deux mille nonante deux. Autrefois, mon pays, deux mille septante et un ; mais peut-être écrit avant. Enfin, Solaris, publié en deux mille cent quarante, mais certainement écrit avant, vu qu’elle est morte en nonante neuf...
Pru- Ils sont en rayons ces livres ?
Nép- Alors...Autrefois mon pays il y en a un seul, dans la bibliothèque du secteur seize. Les morts derrière moi n’est pas disponible et Solaris a été imprimée en édition très limitée à l’époque, et tous les exemplaires ont disparus...
Cheryl coupa sa musique. Elle avait eu un frisson en devinant un son.
Che- Solaris ? Le titre du livre d’Amna c’est Solaris ?
Pru- Il est écrit que c'est un descendant d'Amna qui l'a publié après l'avoir trouvé, bien après la mort de celle-ci.
Nép- Margarette ?
Pru- Impossible, le livre a été publié sur Terre, et Margarette n'y est pas née.
Nép- Peut-être l'un de ses parents alors. On peut déjà aller chercher l'autre...
Pru- Merci Cheryl.
Che- De rien Prume. Si tu as un jour besoin de trouver des informations rares, contactes moi.
Pru- J’ai peut-être une idée, mais on verra ça dans quelques temps...
Dans l’après-midi, une fois Cheryl quittée, et la bibliothèque du secteur seize atteinte, Prume et Néphéline trouvèrent le vieil ouvrage. Autrefois mon pays. Le livre avait été écrit dans une autre langue que l'allemand. Un responsable leur expliqua que c'était du russe. Il leur fournit un module de traduction du russe peu après à leur demande.
Prume put donc le livre dans la soirée sans être gênée par la langue inconnue.
L'histoire qui était là racontée était celle, d'une certaine Alena, qui n’était pas mélancolique de ses proches morts, mais de son pays perdu. Son pays d'origine, disparut par les changements que le temps lui avait infligés, avec les politiques qui s'étaient succédées dans une certaine forme d’anarchie. Comme l'autre, ce livre n'avait pas de fin franche, ce qui déplaisait toujours à Prume. L’héroïne ne retrouvait pas son pays évidemment, et même si elle n'en retrouvait pas d'autre, rien ne se finissait. A la fin, elle partait. Elle quittait à pieds son village de l’Altaï pour son pays disparut depuis des années. Autant dire qu'elle mourrait, qu'elle se suicidait. Encore une histoire navrante et sans intérêt si on ne partageait pas le goût du mélancolique de l’auteur. Celui-là était moins morbide que l’autre, et moins écœurant que les pièces de la commedia dell’arte, mais ce n’était pas un bon livre non plus. Prume était déçue et agacée d’avoir encore lu un livre déplaisant.
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Pru- Cheryl Rough ?
Che- Oui. Tu saisis le jeu de mot avec ton nom ?
Pru- Non.
Che- Ça viendra...Avec ta mère peintre je m’attendais à ce que tu le trouve vite. Enfin, qu’y a-t-il Prume ? Je ne pensais pas que tu me recontacterais aussi tôt.
Pru- En fait je voulais savoir...Comment tu fais pour supporter Néphéline ? Tu es la seule avec moi qui supporte ce...malaise, qui l’entoure. Mais tu ne la connais pas depuis aussi longtemps que moi...
Che- J’entends bien de quoi tu parles...Elle n’est pas méchante, donc je ne m’inquiète pas pour elle vis-à-vis de moi. Je le supporte assez bien parce que moi aussi je suis consciente que ça vient d’elle. Je sais qu’il faut seulement parfois la mettre devant les choses accomplies, au lieu de lui laisser un choix qu’elle ne comprendrait pas...Et, Prume, je sais qu’il y’a beaucoup de choses bizarres dans ce monde, mais Néphéline n’en fait pas partie...Toi, en revanche...Toi tu es vraiment bizarre...Et pas que biologiquement...
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Prume sorti donc un matin d’avril, seule, pour aller vois Margarette. Néphéline était partie au lycée, elle ne rentrerait pas avant le soir. Pour une raison indéfinissable, Prume n’avait pas envie de parler de cette Amna avec Margarette devant elle. Elle préférait lui raconter après coup ce qui se serait dit. Elle savait aussi que Néphéline n’aimait pas parler avec sa grand-mère...
En sortant, Prume ne ressenti aucun problème particulier. Pas plus que la fois précédente avec son amie, à la rencontre de l’étrange aveugle capable de marcher seule, ou les rares autres avec sa sœur. Sortir de temps en temps ne devait pas être dangereux, mais plus qu’une inquiétude abstraite pour sa santé, c’était son esprit pour lequel elle s’inquiétait... Sans se sentir en mal mental, elle se sentait fragile, elle avait peur de se blesser, de déprimer, et de souffrir dans des proportions ingérables. Dans ces angoisses diffuses, une occupation, quelle qu’elle soit, était toujours un soulagement. Pour combler un peu ce vide qui donnait l’impression d’être un gouffre où elle pouvait tomber, elle s’amusait à penser à Amna. Penser à autre chose qu’elle-même lui plaisait et soulageait un peu. Ce mystère, elle avait envie de le résoudre.
Le portail du petit parc a l’avant du manoir restait constamment ouvert. Personne ne venait de toute façon, même si seule une vieille femme habitait la bâtisse. L’impression étrange de quelque chose de grandiose qui n’était plus que l’ombre de son passé, comme un château abandonné, vidé de toute la vie qu’il abritait, hantait les lieux. Le vent dans les feuilles, et rapidement le silence qui entourait la bâtisse et ses arbres. Tout était différent de chez elle avec cette famille...Prume prenait son temps pour rêvasser en avançant vers la porte principale. Elle rattachait ses cheveux en marchant, se rappelant l’envie qu’elle avait eue de les raccourcir comme avant.
Elle entra comme si elle était chez elle, et traversa machinalement le salon, puis le hall, pour aller vers le jardin par une porte laissée ouverte. En sortant d’une pénombre légère, la lumière du jour dans le jardin l’éblouissait un peu. Pendant qu’elle habituait sa vue, une main devant le front, elle devinait Margarette qui était allongée un peu plus loin à sa droite.
Margarette lisait sur une chaise longue dans le jardin, alors qu'il n'y faisait pas encore bien chaud. Prume s'approcha en la regardant. Margarette n’avait pas encore levée les yeux derrière ses lunettes fines. Elle avait probablement entendue marcher cependant.
Pru- Margarette ?
La vieille femme était un peu bronzée, mais avait toujours les cheveux entre gris et blanc, devenus plus clairs que la peau plissée elle-même. Elle leva la tête en souriant légèrement.
Mar- Bonjour Prume. Une belle journée n’est-ce pas ?
Pru- Encore un peu froid à mon goût. Tu n’es pas frileuse ?
Mar- À mon âge, on ne sent plus grand-chose j’ai envie de dire ; mais normalement on à plus facilement froid. Apparemment ce n’est pas mon cas.
Margarette riait doucement. Prume regardait un instant le ciel blanc qui s’étendait. Il y avait beaucoup de lumière, mais quelque chose d’abstrait qui lui déplaisait ; quelque chose qu’elle n’arrivait pas à distinguer. Elle rabaissa son regard vers la vieille femme. Margarette n’aimait pas ce regard-là. Derrière la couleur, elle devinait une pensée sinistre, une pensée qui avait quelque chose de similaire à la sienne... Un désenchantement profond qui s’approchait dangereusement du nihilisme...Margarette le devinait qui naissait dans ce regard...
Pru- Je...
Mar- Néphéline rentrera vers six heures, Prume...Pourquoi est tu venue me rendre visite ?
Pru- Je me demandais, si tu avais connue... Amna Wolframite ?
Margarette ne souriait plus du tout après avoir entendu ce nom.
Mar- Tu as trouvé un de ses livres ?
Pru- Oui... En fait, je me demandais, car j'ai lu que son nom de jeune fille était Ankhi...
Mar- Ankhi ?
Pru- Il y a eu beaucoup de personnes qui se sont appelées Amna Ankhi pour signer des livres ; mais elle, elle s'appelait Amna Ankhi et à signée sous un autre nom, celui de son mari...
Margarette l’écoutait en silence, réfléchissant à quelque chose que Prume ne pouvait pas deviner. Elle ne laissait rien transparaitre. Quand Prume eut terminée, elle baissa brièvement le visage puis le releva pour demander à Prume ;
Mar- Et qu'en penses-tu ?
Pru- Je pense qu'il y a eu des vraies Amna Ankhi, et qu'elles voulaient faire quelque chose au cours de l’histoire. Et que ensuite, Amna Wolframite a voulu faire ainsi car son vrai nom a été utilisé par trop d'usurpateurs. Mais ce qu’elle voulait...Je ne sais pas.
Mar- C'est presque ça Prume. Mon ancêtre Amna à signée ses trois livres sous un autre nom, pour qu'on ne l’associe pas aux autres... Elle voulait surtout que Solaris soit associé au nom Wolframite, et pas Ankhi...
Prume réalisait que Margarette avait déjà entendue le nom Ankhi...Elle avait les livres de son ancêtre, et au moins un où une Amna avait participée à l’écriture...Elle n’avait peut-être pas réalisée avec la Commedia dell’arte que le nom y était.
Pru- Et...Tu sais pourquoi ? Tu sais ce que cette Amna voulait ?
Mar- Non. Je n’ai pas connue mes grands-parents, donc je ne sais pas si c’est vrai ; mais mon père me racontait parfois, que le sien lui disait, que toutes les réponses étaient à Solaris...Tu sais, cette Amna était là bien avant mes arrières grand parents, c’est très vieux tout ça...
Pru- Mais ce livre, Solaris, il n'y en a plus à la bibliothèque.
Mar- Malheureusement, nous n'en avons pas non plus ici.
Pru- Alors...On ne saura jamais qui a inventé ce nom ? Ni pourquoi tant de personnes l'on reprit ?
Mar- Effectivement, on ne le saura jamais. On ne saura jamais pourquoi Amna a signé ces trois livres sous son nom de mariage... C'est un mystère qui ne peut plus être résolu. Solaris n’est plus qu’un nom sans rien derrière...
Pru- C'est tellement dommage...J'avais le sentiment d'approcher de quelque chose d'important...
Le secret d’Amna caché dans Solaris...Cela avait peut-être été qu’un autre roman triste comme les deux autres en réalité. Mais si toutes les réponses concernant Amna y étaient ; c’était dommage de devoir s’arrêter là...Prume avait l’air un peu triste. Margarette rajusta ses lunettes pour la regarder dans les yeux.
Mar- Prume, même si tu avais pu tout découvrir et connaître d’Amna, qu'aurais-tu fais après ?
Pru- Euh...Je ne sais pas.
Mar- Avoir un but ne signifie pas qu'il ne faut pas voir plus loin tu sais ? Toute quête à une fin, et notre vie continue au-delà d’une simple quête...Il faut envisager plus large qu’un simple objectif.
Pru- Je m’en doute bien...Mais je n'ai plus de quête...
Mar- Tu n'as pas quelque chose que tu aimerais faire ?
Prume réfléchissait et se mit à rougir. Margarette fut un peu surprise.
Pru- Je ne sais pas trop...
Mar- Tu as le temps de trouver Prume, tu es jeune.
Pru- Mais... je ne grandis pas... Est-ce que je vais enterrer tous ceux que j'aime moi aussi ? Comme Amna raconte dans ses livres ?
Margarette crut d’abord à une triste blague, mais voyait sur le visage de Prume que l’angoisse était sincère.
Mar- ...Prume, c’est vrai que tout être vivant, aussi unique soit-il, peut-être certain qu'un jour il mourra. C’est vrai qu’on rappelle souvent aux gens que ce qu’ils aiment, un jour aussi finira par mourir...Mais tu t’inquiètes d’une souffrance qui est trop loin de toi. Dans le cas très improbable où tous tes proches te quitteraient, il est-certain que tu souffrirais ; mais tu pourrais très bien y survivre et t’en remettre...Prume, pourquoi tu t’inquiètes autant ?
Pru- J’ai peur...Mais ce n’est pas clair, je ne peux pas vraiment définir de quoi. J’ai peur de la fin ; peut-être de la mort et ce qui suivrait.
Mar- C’est parce qu’on ne peut pas savoir la suite que beaucoup en ont peur...Mais avoir peur de la mort, c'est comme avoir peur de la naissance. C’est une peur qui ne doit pas devenir envahissante.
Pru- La naissance ?
Mar- L'inverse de la mort ce n'est pas la vie, c'est la naissance. Même si l'un ne va pas sans l'autre au sens général... Ce qui a été obligé à naître sera obligé de mourir. Et c’est aussi vrai pour ce qui n’est pas vivant en général...
Pru- Margarette...Tu n’as jamais peur ?
Mar- J’ai seulement la peur de ne pas avoir été suffisante pour Néphéline...Même si toutes les mères doivent connaître ça, cela n’empêche pas la peur d’exister et d’être importante...Souffrir d’une peur connue ne la diminue pas forcément pour autant.
Pru- Tu ne crains pas la mort ? Tu n’as plus d’objectifs dans ta vie ?
Mar- Tu n’as pas besoin d’une quête à accomplir ou d’un combat pour te sentir exister Prume. Ceux qui croient ça, c’est qu’ils en ont besoin pour survivre, pas pour vivre...Si tu veux appeler cela un objectif, j’ai celui de continuer d’aider Néphéline à s’envoler jusqu’à ce que ma mort arrive. Après ma mort, je pense que ce sera le néant pour moi. Je sais que c’est l’idée qui ne rassure presque personne, mais moi elle me rassure bien plus qu’une autre forme d’existence. Et pour Néphéline, quand je ne serais plus là...Je crois qu’elle aura longtemps une bonne amie du nom de Prume pour l’aider dans les moments difficiles...
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