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Solaris Ikizkuz Kardesler  作者: 蕤
Recto
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Recto - partie 4

Les médecins commençaient à être sérieusement intrigués, Samanthine s'inquiétait. Ils invitèrent toute la famille Gains à venir passer quelques examens à l'hôpital. A la fin de l'après-midi, Éloïse et Elyne se présentèrent sans joie, fatiguées. Elles ne dormaient plus beaucoup, elles n'avaient plus l'humeur à grand-chose.

Ils leur firent des prises de sang rapidement. Un oculiste examina un peu les yeux d'Elyne. Il pouvait lui tapoter la cornée de l'œil gauche du doigt, sans qu'elle ne sente rien, mais elle n'appréciait pas. Il ne s'attarda pas plus et rejoignit les autres. Elyne et Éloïse pouvait rentrer ; la discussion risquait de se prolonger encore très longuement, cette fois on n'insistait plus pour sa présence, on la laissait en paix.


Résultats des analyses génomiques d'Éloïse Gains ; Prume Gains et Elyne Gains à leur naissance et à ce jour du seize mai dix-huit : L'ordinateur confirmait avoir reçu six échantillons, mais il contestait la provenance de trois personnes, pour en considérer cinq. Éloïse Gains, Elyne Gains naissance, Elyne Gains actuelle, Prume Gains naissance et Prume Gains actuelle.

Un des médecins ne put s'empêcher de rire devant ces résultats impossibles. Éloïse était la première personne à savoir qu'elle n'avait pas eu des quadruplées. Les archives l’attestaient ; Éloïse avait eue des jumelles, rien d'autre.

Quelles étaient les divergences entre les différents relevés ? L'ordinateur dressa les listes. Les deux filles avaient à leur naissance un génome particulièrement proche de celui de leur mère. Elyne ne semblait pas avoir développée d'anormalité particulière à l'exception de la capillarité plus importante, descendant un peu sur le front. Son œil blanc ne relevait pas d'un problème génétique ; quant à la corne, elle leur était inconnue, rien de clair ne semblant de plus la trahir dans ces relevés.

Prume avait cependant perdue de nombreux caractères liés aux résistances biologiques et à la croissance. Les médecins ne s'occupèrent pas du dossier d'Elyne que Samanthine put aller ranger elle-même dans les archives. Prume restait leur première obligation et source d'interrogations. D'où venaient ces trop nombreuses mutations qu'avait subies Prume ? Comment s'étaient-elles manifestées si vite ? Elle n'avait pas pu être mise en contact avec des produits hautement radioactifs. Et persistait la plus importante des questions ; que faire pour l'aider ? Une thérapie génique était impensable pour autant de gènes à modifier. Le double débat ne put être résolu ce jour-là ; et pour la première fois dans l'histoire de ces colloques, il allait être continué un cinquième jour.


Ce fut ce jour-là, durant cette nouvelle matinée, qu'une stagiaire proposa une idée choquante. Après réflexions, le doyen, un médecin dont l'expérience n'était plus à prouver, allait même soutenir cette proposition froissante.


- Et si... On ne faisait rien ?

La réponse à sa question consistait en un silence choqué général. Le vieux docteur avait cependant instantanément compris le fond de l'idée, jugé sa valeur et tiré des conclusions étonnamment favorables. Il devait cependant lui demander de l'expliquer.

- Développez votre idée mademoiselle.

Sa demande n'étant qu'une formalité ; il avait déjà dans sa pensée trouvé tous les éléments nécessaires pour que cette idée ait au final une certaine valeur.

- Eh bien ; je pensais que peut-être le patient était peut-être à l'origine de ses propres maux.

Le vieux médecin hocha la tête légèrement ; il laissa la parole à d'autres.

- Que voulez-vous dire ? Qu'elle aurait provoqué ces mutations ?

- Eh bien... Tout ce que je connais de la génétique ce sont ces papillons...

Le vieux médecin continua ses explications pour elle.

- Ah oui, l’exemple classique. La phalène du bouleau. Un papillon d'origine gris mais dont une majeure partie de la population était devenue noire quand son milieu l'y incitait il y a très longtemps, puis redevenue grise quand le noir n'était plus la couleur la plus adaptée. Aux époques des changements globaux de cette population correspondaient des changements significatifs dans la biosphère de l'époque. La variation d'un seul gène modifiait la couleur ; grise ou noire. La science de l'époque considérait souvent que cette mutation était due au hasard, et que quand cela s'était révélé être un avantage pour l'espèce dont le milieu de vie changeait ; la population serrait majoritairement devenue noire en quelques années, avec cette mutation précise, apparue chez seulement quelques spécimens. Cette théorie soutenait des principes d'évolution et de sélection naturelle. Les papillons avantagés survivaient et non les autres. Mais on pensait déjà à l'époque, que cette théorie évolutionniste n'était peut-être pas complète. Un modèle mathématique de toutes les mutations possibles de cette population avec les facteurs aléatoires nécessaires et une simulation précise de l'environnement ne donnait pas ces résultats observés. Certes le modèle était incomplet, mais les observations différaient trop...

- Où voulez-vous en venir Monsieur ?

- J'y arrive, patientez encore quelques minutes... Or, si cette théorie darwinienne ne s'appliquait pas complètement, laquelle était la plus juste ? Celle créationniste, d'un dieu qui déciderait consciemment et sciemment de chaque chose ; ou une autre ? Certaines personnes échappèrent à l'histoire mais parvinrent à faire survivre leurs idées... Comme celle de la volonté vivante. C'est une conception de l'évolution restée rare. Pour revenir à la phalène du bouleau, l'idée est que ces papillons, devant les modifications de leur milieu de vie, ont voulu s'adapter. Eux ne pouvaient pas fabriquer d'outils ; mais leurs volontés, aussi primitives fussent elles, ont guidées leurs mutations. Donc, dans une certaine mesure, bornée par des contraintes biologiques évidentes, le papillon guidait inconsciemment ses transformations, qu'il transmettrait ensuite à sa descendance.

- Si je récapitule ; la véritable origine d'une mutation est soit le hasard, soit dieu, soit une volonté inconsciente de l'organisme ?

- Voire même consciente, dans certaines mesure, c'est l'idée. Autrement votre résumé est correct. C’est une façon de compléter les principaux axes de la science de l’évolution des espèces.

- Monsieur, l'influence de l'esprit sur le corps à déjà été prouvée au niveau physiologique global ; comme pour le renforcement des muscles ou l'évolution de la structure cérébrale ; mais rien n'a été prouvé ou même réellement envisagé de ce point de vue pour le génome humain. Une modification de l'expression des gènes c'est autre chose que modifier les gènes eux-mêmes. Je ne connais aucune preuve que cela soit possible...

- Pourtant c'est bien ce que vous soupçonniez, n'est-ce pas mademoiselle ?

La stagiaire était prise de court.

- Euh. Oui ! Si... Si la patiente a été capable de s'infliger de telles mutations ; enfin si cette idée est juste ; alors peut-être pourrait-elle guérir seule ?

Le vieux médecin restait impassible, il ne voulait pas dire à voix haute que cela lui semblait plausible. D'autres jugeaient cela encore particulièrement douteux.

- Mais comment expliquez-vous une telle facilitée et une telle rapidité à muter dans tout son corps ?

Le vieux médecin fit la conclusion.

- Nous ne l'expliquons pas. Pour l'instant nous l'acceptons.

Il se leva.

- Qui est favorable à un suivi psychologique et un soutien médical minime ? Qui accepte l'idée que le patient est premier maître de sa santé, ici à un point exceptionnel ? Cette décision doit être sans appel.

Nombreux hésitèrent, mais lentement levèrent leurs mains. Plus convaincus par l'homme qui parlait que par l'idée que celui-ci évoquait... Tous levèrent la main, sauf la mère de Maya.

Sam- Moi je ne crois pas à ces histoires et je suis persuadée qu'un pas de trop dehors l’achèvera ! Quand sa crise a eue lieu, rien ne l'y prédisposait ! Pourquoi cette fillette de sept ans voudrait-elle consciemment, ou non, se détruire comme ça ? Pourquoi ne voudrait-elle pas grandir normalement ? Ici on sait que la patiente ne cherchait pas à se négliger, ni physiquement, ni psychologiquement. Je connais sa famille, et rien n'y est suffisamment horrible pour lui faire avoir de prétendus tels comportements suicidaires ! Votre théorie est jolie, mais dans le cas de Prume, pardon, du patient ; c'est juste complètement insensé !

Le tribunal entier marqua un silence. Le vieux médecin reprit la parole.

- Que suggérez-vous ?

Sam- Je ne peux rien proposer de pertinent dans l'état... Je ne...

Le doyen avait un air bizarrement concerné. Il lui coupa la parole d'un geste autoritaire.

- Écoutez, nous commencerons ce pseudo traitement en salle blanche pour minimiser les risques. Je vous charge de lui assurer le meilleur soutien moral Madame Coppelnheart. Vous la suivrez.

Sam- J'espère que vous ne faites pas de dangereuses erreurs...

- Je peux me vanter de n'avoir jamais causé de mort dans le cadre de mon métier... Ni en dehors bien entendu. Cette patiente est une première, mais nous n'avons pas de meilleure explication que celle-ci improuvée. Si ce traitement correspondant se révèle efficace, nous sauront que ce choix était le bon, même s'il reste inexplicable. Vous savez bien qu’en médecine, tout est possible...


Le tribunal était clos. Le scribe avait le plus gros résumé de tribunal médical de l'histoire de la ville entre les mains. Ils leurs avait fallu cinq jours pour décider de ne rien faire directement. Pour des médecins dans l'âme, cette décision était phénoménale et resterait dans leurs mémoires.

Samanthine Coppelnheart restait inquiète pour la fillette dont on venait de changer les bandes et qui restait inconsciente. Elle n'avait plus qu’à attendre que la patiente reprenne conscience pour lui trouver une aide psychologique, tout en espérant que cela parviendrait à la sauver... A refréner sa prétendue tendance à muter inconsciemment de façon à souffrir le martyr. Elle n'avait plus qu'à attendre...


N'osant pas imaginer ce que ressentait la pauvre Éloïse, elle fit ce qu'elle pouvait pour l'aider, et la rassurait comme elle pouvait. Les visite très régulières de Maya chez Elyne, et inversement leurs permettaient de discuter un peu. Éloïse appréciait le soutient de son amie pour elle-même et du petit garçon pour sa fille. Elle les apprécia tout durant le long temps où Prume allait une fois encore rester inconsciente, ailleurs, comme partie dans un univers lointain et très incertain.


~~~


Prume ne se réveilla pas avant très longtemps. Ces déchirures qui couvraient son corps ne cicatrisaient pas vraiment, comme si elle était devenue particulièrement hémophile. Elle garderait des cicatrices particulièrement visibles à vie. Sa lèvre inférieure semblait avoir gonflée à cause de saignements internes.


Sous les bandes bleutées, son cerveau ne déclarait plus qu'une activité minimale une fois encore ; Prume était dans un coma extrêmement profond. Elle n'était pas morte, mais elle ne pouvait, semblait-il, même pas rêver. Une nouvelle période de patience douloureuse commença chez les Gains. Elyne et Éloïse allaient à nouveau quotidiennement voir Prume au travers d'une vitre, rarement à son réel chevet. On ne leur autorisait que rarement l'entrée.

Prume resta longtemps couverte de bandages, mais sa famille put remarquait tout de même qu'elle grandissait, plutôt vite d'ailleurs... Peut-être qu'elle rattrapait son retard. Les médecins expliquaient qu'en l'état, Prume dévouait toute son énergie à sa guérison, plus qu'à se maintenir éveillée. Peut-être que son développement se corrigeait également...


Elyne s'en réjouissait fortement, Éloïse s'en inquiétait discrètement.


De nouveaux mois s'écoulèrent, des vacances de fin d'année passèrent en sursaut. Elyne les passa avec Maya et Amélie ; Éloïse avec Prume. Elyne était redevenue morne, moins que deux ans plus tôt, mais encore une fois elle avait perdue beaucoup de vigueur. Quand elle revoyait sa mère, la première question devait toujours être les nouvelles de Prume. Elyne ne parvenait pas à s'en détacher l'esprit, Prume représentait quelque chose de trop grand pour elle. Même si elle n'avait pas suffisamment de mots pour exprimer ce qu'elle ressentait, sa mère le comprenait bien ; et son ami Maya ne lui en tenait pas rigueur.


Une nouvelle année scolaire commença. Prume passa son huitième anniversaire sans que son état ne s'améliore autrement que par sa croissance rapide. Un autre anniversaire qui ne fut pas vraiment fêté. Elle restait silencieuse alors que l'activité de l'extérieur continuait, augmentant la crainte de sa Sœur que le temps n'augmente quelque chose de fragile entre elles.


Elyne et Maya étaient désormais dans la classe d’Amélie ; et celle-ci demandait régulièrement à Elyne des nouvelles de sa jumelle. Amélie l'aimait bien, et ne partageait pas l'avis qu'il valait mieux essayer de changer les idées d’Elyne, plutôt que de la faire parler de ce qui lui importait vraiment.


Elyne était contente d'au moins une chose, sa sœur grandissait. En moins de cinq mois, Prume avait grandi de plus de trente centimètre, au point de dépasser Elyne qui en était ravie. L’hormone de croissance était générée en plus grande quantité pendant le sommeil, et Prume grandit donc particulièrement durant cette période. Elle était contente d'avoir au moins un aspect positif sur lequel se raccrocher ; Prume grandissait, ce qui voulait dire qu'elle vivait, et qu'elle reviendrait dans un futur toujours plus proche.


Pourtant, les plaies déchirées ne cicatrisaient toujours pas bien, malgré les mois ; ses déficits en facteur huit et dix de coagulation ne se restauraient pas. Prume était toujours sous respirateur et perfusions pour la nourrir, et son corps déjà naturellement faible semblait chaque jour un peu plus repousser des limites. Les médecins ne savaient plus vraiment quoi penser, elle aurait dut mourir depuis déjà bien longtemps, mais rien ne changeait vraiment à part cela. Une certaine monotonie sinistre était devenue routine dans le milieu médical autour du cas de Prume. Elle n’intéressait plus, elle était un légume sur lequel ils n'allaient rien changer tant que rien ne changeait. Et comme elle persistait à survivre à tout, sans pour autant vouloir guérir plus que ça, le temps s'écoulait démesurément, lassant tout l'entourage.


Elyne termina son année scolaire ; sans que Prume ne se soit réveillé. Un an de coma ; toujours couverte de bandes. Elyne ne se lassait pas, et se sentait le cœur à vif comme au premier jour. Elle continuait toujours d'aller voir quotidiennement sa sœur endormie. Éloïse n'avait le courage d'y aller que trois ou quatre fois par semaine ; ce qui ne l'empêchait pas de penser à elle le reste du temps. Elle ne pouvait simplement pas aller au-delà de ses capacités. Elyne était devenue clairement plus forte qu'elle, à continuer quotidiennement. La fillette borgne était connue dans l'hôpital, elle était une célébrité un peu triste que les gens prenaient en pitié parfois ; mais aucun mot que l'on pouvait lui donner ne changeait rien. Quand elle trouvait un médecin ou un infirmier dans ce couloir menant à la chambre, elle l'interrogeait. La meilleure nouvelle qu'ils lui donnaient durant tous ces mois, c'était la taille sans cesse croissante de Prume. L'ennui qu'ils ne lui avouaient pas, c'était qu'elle s'amaigrissait en même temps. La nourriture par tube et transfusion avait des limites pour une croissance aussi bizarre, la qualité de digestion étant plutôt faible, elle gagnait trop peu de masse par rapport à sa taille. Mais comme chaque fois, ils étaient un peu surpris qu'elle s'accroche à la vie, mais c'était devenu une terrible monotonie...


De nouvelles vacances de fin d'année arrivèrent, Elyne était de plus en plus triste. Cette fois la dépression commençait à grandir elle aussi. Sa sœur lui manquait tellement après une année d'attente ; elle supportait mal l'idée de faire une nouvelle rentrée sans elle. Sa dépression devenait lourde, pesante sur son esprit et finalement son visage.

La rentrée arrivant tout de même, Elyne perdit son sourire délicat pour un visage froid, rongé de l'intérieur par un manque de plus en plus perçant, sa sœur chérie. Elle ne pouvait plus sourire, elle ne pouvait plus rire de temps en temps. La couleur grise s'étendait, l'alourdissait.


Maya comme Éloïse s'inquiétaient pour les deux sœurs et ne savaient pas quoi faire.


La rentrée se passa d'autant plus mal qu'un professeur supportait mal l'extravagance d'Elyne. Que son œil gauche soit naturel, il était prêt à l’accepter ; mais qu'elle arbore une grande corne artificielle comme ça, il le refusait. Quand Elyne lui soutenait que cette corne était naturelle il pestait ; il n'aimait pas les moutons noirs, et ne les supportait pas quand ils faisaient exprès. Pour lui, Elyne profitait de son handicap pour attirer l'attention inutilement.

Elyne qui n'aimait pas ce professeur, ne pensait de toute manière qu'à sa sœur et non à ces réprimandes stupides. Elle se fichait autant de lui que de presque tout le monde. Ils n’avaient pas plus de visage dans ses souvenirs que des gens qu'elle ne connaissait pas.


Un jour d'école, en cette fin de septembre de l'an dix-neuf, Elyne avait accroché quelques breloques à sa corne par simple coquetterie. Une envie d'un peu de couleur, de respirer un peu au travers de quelques sourires que provoquait une apparence avec un peu d'allure et de distinction.

Sa mère lui avait déjà assurée que sa corne repoussait quand on la coupait ; elle ne s'inquiétait donc pas de la perdre, même si le professeur voulait lui couper. Elle ne savait pas que celui-ci n'en avait pas le droit, même s'il ignorait que cette corne n'était pas artificielle.


Il lui demanda ce jour-là, le plus calmement possible, si elle ne pouvait pas défaire cette corne. Elyne lui explique comme elle pouvait le problème que posait sa question. Le professeur contient son énervement. Il lui demanda si elle ne pouvait pas l'enlever d'une manière ou d'une autre.


Ely- Je peux la couper pour l'enlever mais elle repoussera, et puis je l'aime bien.

- Bon, très bien. J'en ai assez d'essayer de te discipliner. Fait ce que tu veux...

Il lui avait déjà expliqué pourquoi la corne était gênante ; elle attirait trop l'attention ou d'autres bêtises qu'elle n'avait pas retenue. Elyne hésitait, elle savait qu'elle devait généralement obéir aux professeurs, mais elle aimait sa corne. Le professeur la regarda d'un air bizarre, un peu comme ces gens qui la prenaient en pitié à cause de ce que sa sœur vivait. Quelque chose se craquela en elle.

Elle fit une grimace particulièrement écœurée en prenant une paire de ciseaux, alors que l'enseignant ne l'avait pas vraiment regardée et s'efforçait de ne plus faire attention à elle. Elyne cala son outil à la surface du crâne et trancha la corne, net. Elle ressentit une douleur et fit rire quelques élèves voisins en ayant l'air d'avoir mal comme si elle s'était piqué une aiguille dans la tête. Elle ramassa sa corne sur la table et passa sa main droite dans ses cheveux, elle eut la sensation de toucher une plaie ouverte. Elle avait du sang sur la main ; en voyant ça, les rires cessèrent. Le professeur vint voir un peu agacé, mais resta calme.

- Tu t’es coupée ?

Il soupira.

- Bon, va à l'infirmerie.


Vu la longueur des cheveux constituant la corne, il se disait probablement qu'une fois coupée, il ne risquait pas de la revoir avait plusieurs années, tout comme Elyne ; mais une plaie était plus importante que cette histoire. Elyne alla à l'infirmerie en tenant sa corne de la main gauche et sa blessure inattendue de la droite.


L'infirmier l'examina attentivement, curieux. Sur une surface d'un centimètre de diamètre, la peau était particulièrement abimée, comme râpée en profondeur. Elyne lui montra sa corne. Il l'examina.

Celle-ci semblait faite de chair. Il se demandait bien ce que c'était. Il la coupa plus haut. Après une couche capillaire externe, la structure interne était un mélange de chair blanche et de cheveux ; il y avait très peu de vaisseaux sanguins dans la corne, mais tout de même quelques un.

Une cicatrice chéloïde hypersécrétante aurait été un début d’explication, mais il ne remarqua pas cela ; il ne considéra pas que cette corne ait vraiment pu pousser naturellement sur le crâne.


Imaginant le plus simple et le plus logique ; il crut que cette fausse corne avait été collée à la peau et que l'ensemble avait été arrachée. Il lui fit un simple pansement et la renvoya. Elyne repartit en ramenant sa corne dont manquait une petite tranche. L'infirmier se demandait même pourquoi il avait fait ça. Il jeta le morceau à la poubelle prévue pour les déchets à risques biologiques au cas où.


Ce jour-là, Elyne avait pris un coup au cœur. Ce qui avait craqué en elle avec ce regard déplaisant, pas méchant, mais horriblement désagréable à subir, et la perte de sa corne qui lui troublait complètement l'équilibre. Elle n'y aurait pas cru, mais avec sa résistance et son élasticité particulière, Elyne s'était habituée à en percevoir des informations, comme des souffles d'air ou des vibrations. Maintenant que sa corne était perdue, elle avait l'impression de se déplacer sur un sol qui aurait eu tendance à pencher vers le côté opposé. Elle se sentait un peu perdue.


Elle alla voir Prume une fois l'école terminée, comme à son habitude. Elle traversa les couloirs, descendit les pentes, traversa les couloirs des niveaux inférieurs, avec beaucoup moins de portes à croiser. Au fond de l'un d'eux, quelques portes s'ouvraient automatiquement au besoin, et l'une vers laquelle elle s'approchait en particulier. Derrière, la baie vitrée sur la chambre, a droite puis à gauche le couloir donnant sur le petit sas, toujours vitré. Prume était toujours sur ce lit au milieu de la chambre...


~~~



Elle était toujours allongée sur son lit, couverte de bandages presque comme au premier jour. Ne voyant personne aux alentour, Elyne décida d'entrer dans la salle blanche malgré l'interdiction habituelle. Le sas n'avait pas été verrouillé et l'analysa volontiers. L'ordinateur calcula un taux de risque de 2,87 pour cent, un risque amplement acceptable. La porte se ferma, des jets d'air envahirent le sas quelques instants, puis la deuxième porte s'ouvrit et laissa entrer Elyne.


Il y avait une odeur indéfinissable qui régnait. Un mélange de sang frais et de produits pharmaceutiques ? C'était désagréable en tout cas. Elyne alla s'asseoir à côté de sa sœur dont on ne voyait que les cheveux, plus ternes que jamais. Elle pouvait deviner une lèvre sous un tuyau et des bouts de doigts sous des bandes mal serrées.

Les appareils ronronnaient doucement, régulièrement ; c'était une forme de silence... Elyne discuta un peu avec ce visage bandé, elle lui manquait, sa voix douce, son visage, sa présence. Elle lui manquait terriblement... Elyne lui posa sa corne sur la tête en lui disant qu'elle lui donnait ; se rappelant que des fois, Prume était envieuse de sa corne. Elle lui offrait volontiers si elle la voulait, elle lui offrirait même la prochaine si elle devait bien repousser.


Elyne défit quelques bandes pour voir son visage, le cœur serré, pincé. Un mélange de sang et de crème bleue couvrait la majeure partie de son visage. Seuls son menton et sa lèvre inférieure ressortaient de cette gangue. Cette lèvre était toujours légèrement retroussée apparemment, mais elle avait peut-être grandie aussi.

Elyne tapota la tempe droite de Prume, ce qui provoqua une réaction sonore chez un des appareils, faisant quelques bips à cause de cette perturbation. Elyne dégagea doucement l'oreille droite de Prume. Celle-ci était maculée de la même bouillie bleue, qui était bien plus savamment appliquée qu'elle ne pouvait en avoir l'air. Un petit tuyau translucide ressortait du canal auditif. Elyne pencha la tête vers l'oreille.


Ely- Prume, est-ce que tu m'entends ?

Seuls quelques appareils répondirent, par quelques sons et nombres variables aux sens obscurs pour elle.

Ely- Cela fait si longtemps sœurette ; réveille-toi s'il te plaît !

Un sifflement légèrement strident se fit entendre, faisant sursauter Elyne. Elle vit un écran s'allumer et de nombreux graphiques multicolores s'affichèrent, des nuées de nombres défilèrent à côté. Elyne crut comprendre ce qui se passait ; elle se retourna vers sa sœur. Elle comprenait ce qu'elle rêvait de voir depuis plus d'une année.

Ely- Prume ? Prume, c'est moi Elyne ! Réveilles toi ; tu peux te réveiller, je suis là...

Certains graphiques changèrent de couleurs. Des valeurs décollèrent, d'autres tombèrent à zéro. La lumière de la pièce et du couloir s'éteignit soudainement. Elyne se leva et regarda autour d'elle, apeurée.

Ely- Il y a quelqu'un ?

Seuls certains écrans affichaient encore des représentations de valeurs inconnues. Elyne entendit comme un léger souffle derrière elle.

Ely- Prume !


Prume semblait toujours inanimée, dans la presque obscurité de la pièce, Elyne ne voyait que sa silhouette. Un bruit sourd et résonnant se fit plus ressentir qu'entendre, comme si une personne avait cogné un bureau de l'autre côté d'un mur ; Elyne cria de peur. Elle paniquait et crut entendre des bruits d'explosions tout autour d'elle alors que rien ne se passait. Elle était terrorisée.


Des alarmes retentirent peu après, hurlant dans ses oreilles, lui coupant le souffle. Elyne assista avec stupeur à l'arrivée de deux médecins qui se criaient des choses trop vite, des lampes accrochées au front. L'un deux jura en voyant l'obscurité présente jusque dans la chambre et fit quelque chose pour rallumer. L'autre enfilait une combinaison pour entrer.


Quand le premier vit Elyne à l'intérieur de la chambre, il se mit à hurler avec fureur, il lui ordonna de sortir immédiatement. Elle n'osa pas bouger, tremblante, dans ce noir éclairé par ce seul cône lumineux. Le deuxième entra précipitamment quand la lumière revenait brusquement. Il découvrit Elyne et lui ordonna de sortir, puis en voyant les écrans, eu l'air horrifié et ne s'occupa plus d'Elyne ; trop affairé à entrer des ordres aux appareils. Un bruit s'accélérerait, l'homme envoyait des lignes de commandes à l'ordinateur global de plus en plus vite. La cadence s'accéléra encore et le bruit devint alors continu. L'homme jura et s'approcha de Prume. Il semblait hésiter. Il s'apprêtait à appuyer sur un bouton qu'il venait de déverrouiller quand la lumière de la pièce se reteignit soudainement. Les deux hommes se remirent à hurler.


- Vince ! Mais qu'est-ce que tu fais ? Ça ne va pas non ?

- Je n'y suis pour rien ! L'ordinateur de sas est en train de lâcher ! Sors de là avec la gamine !

- Petite il faut que tu sortes de là ! Vite avant que je m'énerve ! Vince ! Remet la lumière merde ! Les appareils indiquent des problèmes sérieux !

- J'appelle de l'aide ! En attendant sors cette fichue gosse de là !

Le dénommé Vince s'en alla en courant, la porte automatique grésilla derrière lui avant de se refermer.

- Petite sort d'ici tout de suite ! Tu mets la malade en danger de mort !

Il s'approcha rapidement du sas pour lui ouvrir. La porte ne s'ouvrit pas. Elle fit un son bizarre qui ressemblait à un déchirement métallique.

- Mais qu'est-ce que ?

Les dernières lumières du couloir, du sas et des appareils s'éteignirent, plongeant la pièce dans un noir silencieux absolu.

- Vince ! Vaïnce !

Il tambourinait à la porte en appelant son collègue partit chercher de l'aide. La porte restait bloquée.

- Bon sang, la gamine !

Avec un respirateur éteint sur le visage, Prume risquait de mourir étouffée ; il tenta de lui enlever. Elyne entendit des bruits d'appareils renversés, des jurons, puis un soupir. Quelques bruits d’agrafes étant défaites suivirent. L'homme lui prenait le pouls à tâtons. Il était extrêmement rapide, lui évoquant une mitrailleuse. Il tenta de trouver un relaxant cardiaque dans le placard et renversa tout. Il poussa un autre juron.

- Une coupure de courant dans l'hôpital... Mais qu'est-ce qu'ils ont foutu ?

Elyne était toujours apeurée et ne bougeait pas de son coin, les yeux grands ouverts. Elle avait l'impression de voir bouger des ombres dans ce noir. Quelque chose de sombre s'approchait d'elle, elle en était sûre. Elle écarquilla son œil droit, elle avait cru voir un trait remuer dans ces ténèbres...

Ely- Les serpents !

- Quoi ?

Ely- Pas ici ! Non ! Laissez-nous !

Elyne couru comme elle put, trébucha brusquement sur des appareils renversés. Une main froide comme du métal la rattrapa et la redressa avant qu'elle n'atteigne le sol. Elyne avait eue l'impression de tournoyer, d'être bousculée, sans avoir vu par où. Elle s'essoufflait en cherchant les serpents du regard quand toutes les lumières revinrent.

L'homme était entre le lit de Prume et elle ; presque tous les appareils étaient à terre. Elyne tombait assise au milieu. La combinaison blanche du médecin éblouissait Elyne durant un instant. Il ne s'occupa pas d'elle mais de Prume ; redressant quelques écrans, rebranchant des fils. Sans se retourner, il s'adressa à Elyne.

- Écoute fillette, je ne sais pas si c'est à toi qu'on doit ce bazar mais c'est plus le problème ; maintenant, il vaut mieux pour tout le monde que tu rentres chez toi ; d'accord ? Tu vas rentrer chez toi ?

Ely- ...Oui monsieur...

Il se retourna et la regarda d'un œil sévère.

Ely- Toi je te connais maintenant... Je te conseille de ne plus désobéir ici.


Elyne se releva et repartit en courant dès que le sas la laissa s'échapper. L'homme venait de décoller la corne d'Elyne pour la jeter. Elle l'avait collée sur le crâne avec la pâte bleue... Il n'osait pas imaginer quelles saletés la gamine avait pu ramener de l'extérieur avec ce truc.


Elyne rentra chez elle un peu bouleversée. Dans la ville, les coupures de courant étaient extrêmement rare, et encore plus si elles étaient imprévues. C'était la première fois qu'elle en découvrait une, qu'elle avait découvert le vrai noir et le vrai silence d'un sous-sol... Elle était sûre d'avoir aperçue un serpent... Elle l'avait immédiatement reconnu.


Cette mauvaise journée se termina en douceur dans son lit douillet. Après l'avoir bordée et embrassée ; Éloïse descendit et appela l'hôpital pour avoir des détails sur ce qui s'était passé ce jour-là. L'histoire d'Elyne se révélait vraie dans les détails concrets. On lui confirma la coupure de courant de l'hôpital ; Elle avait même été précédée par des coupures répétées dans certains secteurs. Des électriciens étaient sur place depuis la matinée, ils n'avaient pas pu l'empêcher. Ces petites coupures duraient depuis une semaine environ avant ce jour... Quand Éloïse lui rappela la raison première de son appel, la personne correspondant avec elle cessa de parler des mésaventures de l'hôpital pour lui répondre plus précisément. Pour l'état de Prume, d'après les rapports, malgré les «chocs accidentels» reçus, sa santé n'était, à priori, pas en danger. Beaucoup d'incertitudes dans les termes employés, en fait, il semblait que rien de particulier n'ait été changé par l'évènement. Au moins, elle fut rassurée que l'état de Prume n'ait pas empiré ; elle n'avait pas espérée qu'une amélioration puisse découdre de cet évènement.


Il semblait cependant y avoir eu des changements dans son état. Elle put en apprendre plus avec le médecin en charge de Prume, lors de sa visite du lendemain. Ce matin-là, la corne d'Elyne pointait déjà vers le haut d'un demi-centimètre à son réveil. Elles ne s'attardèrent pas dessus, et pendant qu’Elyne allait à l'école, sa mère alla à l'hôpital pour en apprendre plus sur ce qui était arrivé à Prume.

Un matin un peu froid, mais la météorologie et les couleurs des décors étaient atténuées autour d'elle. Tant qu'une de ses filles dormait et que l'autre n'était pas à côté d'elle, le monde devenait particulièrement insipide autour d'elle. Une marche un peu hors du temps qui s'éclipsait hors de sa mémoire dès qu'elle était terminée.

Éloïse arriva à l'hôpital ce matin-là avec l'impression de flotter légèrement. Les souffles d'air frais la quittèrent dans le hall, après quoi elle descendit sans s'arrêter vers la chambre habituelle pour avoir les nouvelles et voir sa fille.


En arrivant dans le couloir de la salle blanche, elle vit des travaux imposants ; on changeait le sas. Prume n'était plus là mais dans une chambre voisine. Elle la retrouva dans un lieu similaire, un peu plus loin. Elle y vit deux infirmiers en train de lui mettre de nouvelles bandes. Un médecin supervisait oralement les opérations de l'extérieur de la chambre stérile. Éloïse l'interpella, lui demanda de lui expliquer ce qui avait vraiment changé chez Prume.


Cet homme était le nouveau médecin directeur du secteur médical où Prume était. Il était peu loquace et souriait très rarement, cependant, il restait très habile médecin. Comme à son habitude involontaire, il regarda Éloïse comme si elle venait de proférer devant lui les plus minables des complaintes. Éloïse considéra ce regard comme une recherche de sa part pour se rappeler qui était en face de lui, elle n'avait pas complètement tort, mais ils n'avaient jamais été présentés.


Votre fille va très bien Madame Gains. Les incidents d'hier soir lui ont fait le plus grand bien ; venez, regardez là.

Il lui montra du doigt l'écran où s'agitaient des cercles multicolores. À côté du lit. Éloïse ne comprenait pas ce que c'était sensé représenter. Apparemment c'était bon signe ?

- C'est son activité cérébrale qui est illustrée. Si la mort est à zéro et la conscience éveillée est à dix-sept ; elle est repassée de deux à quatre. Cela veut dire qu'elle a recouvrée des capacités. Elle est en voie de se réveiller.

Éloïse soupira de soulagement. Elle n'avait pas les poumons assez larges pour pouvoir soupirer autant qu'elle le voulait, mais il y avait un soulagement impressionnant. Ce petit plus la réjouissait particulièrement.

Élo- Vous ne pouvez pas savoir comme cela me rassure docteur...

- Les bonnes nouvelles ne sont pas finies vous savez. Son sang recommence à coaguler normalement, ses plaies vont enfin cicatriser correctement.

Élo- Mais c'est formidable ! Que s'est-il passé hier soir pour qu'il y ait de tels changements ?

- Hier, sa sœur... Elyne, est venu la voir ; le sas était verrouillé mais son ordinateur a été abimé par les coupures de courant. Les derniers rapports qu'il envoyait au réseau faisaient état d'un visiteur de plus de deux cent soixante kilos et autres aberrations. Inutile de préciser que personne dans toute la ville ne fait un tel poids... Quoi qu'il en soit, malgré les risques que l'attitude d'Elyne soulevait, elle à eue un contact avec sa sœur qui l'aurait aidée à passer un cap. Cette visite ayant finalement été bénéfique, il serait sans doute judicieux qu'elle revienne lui parler à l'avenir.

Élo- C'était vraiment inattendu... Très bien, je lui dirai.

- Je vous préviendrai s'il y a du nouveau.


Il ne lui dit pas au revoir et quitta le couloir. Éloïse regarda Prume quelques instants. Elle lui lança quelques mots doux au travers la grande fenêtre, souriante, avant de s'en aller.

Quand sa mère lui en parla, Elyne accepta avec grande joie d'aller aider Prume à se réveiller. Elyne avait retrouvé une certaine jovialité en retrouvant le droit de visiter sa sœur. Si en plus cela pouvait l'aider, elle en était d'autant plus ravie. Si elle pouvait lui être utile en étant simplement près d'elle, Elyne allait revenir aussi souvent que possible, avec même le sourire aux lèvres.


~~~



Passant désormais ses journées à attendre de rejoindre sa sœur, le désespoir de son professeur concernant sa corne qui repoussait vite ne l'intéressait plus le moins du monde. Elle rejoignait sa sœur un peu plus vite qu'auparavant une fois les journées finies, et ne rentrait chez elle que plus tard. Elle faisait toujours ce passage pour voir Prume avant de rentrer, mais cela durait plus longtemps depuis qu'elle pouvait et devait lui parler. Éloïse voyait sa fille revenir plus tard mais plus guillerette que quand elle n'avait pas le droit de rentrer dans la chambre. Cela la rassérénait tout de même ; Elyne n'était peut-être pas aussi heureuse que si sa sœur était éveillée, mais c'était tout de même largement mieux.


Elyne lui parlait aussi près du creux de l'oreille que possible, chaque soir pendant une heure environ. Celles-ci avaient bien vite été nettoyées de la pâte bleu, les chairs cicatrisant progressivement de partout. Elyne lui racontait ses journées, à quel point elle l'attendait, ou comment leur mère allait. Celle-ci passait toujours à son rythme, moins soutenu qu’Elyne, mais son humeur s'adoucissait un peu pour elle aussi. Elle aussi venait lui parler et lui tenir un peu la main ; elle pouvait à nouveau lui caresser la tête et l'embrasser. Se dire, si Prume ne pouvait pas encore vraiment entendre, qu'au moins cela lui était un peu utile, en plus de les réconforter, leur apportait un bonheur léger, déjà bien supérieur au temps où elles n'avaient pas le droit de l'approcher. Ce n'était pas aussi heureux que si elle était éveillée évidemment, mais le mieux était déjà réjouissant.


Quelques semaines s'écoulèrent, Prume remontant lentement, du point de vue de l'activité cérébrale, vers l'éveil. Sous le regard bienveillant de l'équipe médicale et des sourires grandissants de sa famille, l'état de Prume s'améliorait à bon rythme.


Petit à petit les bandages étaient enlevés, les déchirures finissaient enfin de cicatriser, laissant des grands traits blancs sur sa peau. Son ventre et ses jambes en étaient particulièrement striés. Finalement, les bandes et la pâte bleue disparurent. La maigre enfant n'avait plus qu'un drap épais pour la couvrir quand son anniversaire arrivait.


Elyne fêta avec Maya les neufs ans d'elle-même et sa sœur. Malgré les plus de dix-huit mois passés sans elle ; Elyne avait été cette fois d'accord pour fêter l'anniversaire malgré l’absence de sa jumelle.


Elyne était toujours un peu plus petite que Prume. L'écart avait changé pendant cette année ; mais ce n'était qu'une fois les bandages enlevés qu'elles en apprécièrent la valeur. Prume avait rattrapée ses quatre ans de retard physique et plus au cours de cette année, mais elle ralentissait désormais. Le reste de cette année ne l'a vit guère grandir plus.

Prume ne semblait à nouveau rien de plus qu'endormie, cet hiver naissant. La corne d'Elyne avait complètement repoussée depuis longtemps alors. Elyne venait toujours la voir quotidiennement, patiemment, consciencieusement.


La mère de Maya, elle, ne partageait pas l’optimisme général et était toujours inquiète à l'idée que Prume quitterait l'hôpital presque sitôt qu'elle en serrait capable. Et elle voyait ce jour arriver avec crainte. Elle n’avait pas effectuée le travail qu’on lui avait demandé, à savoir de trouver un soutien psychologique pour Prume...


Sam- Un soutien moral... Pour Prume Gains ? Quelle connerie... Comme si son environnement avait pu être malsain.


Un jour du début de janvier de l’an dix-neuf où il neigeait abondamment, Elyne arriva à l'hôpital en trottinant sous un parapluie. Elle était accompagnée de Maya, ce qui était rare, il n’aimait pas spécialement rendre visite à Prume comme Elyne et Éloïse, et celles-ci ne l’invitaient que rarement avec elles.

Elyne replia le parapluie une fois dans le hall et se secoua les cheveux pour enlever la neige. Sa corne s’agitait. Malgré son pull long et sombre, elle frissonnait. Elyne commença à aller vers la chambre, suivie docilement par Maya. Les deux enfants passèrent en silence la série interminable de couloirs et arrivèrent à la porte automatique finale.

Elle s’ouvrit, Elyne fit un pas dans l'antichambre, et s'arrêta. Maya bloqué derrière elle, comprit ce qu’elle découvrait.


Elle voyait Prume assise sur le lit, leur tournant le dos nu où de longues traces blanches se dessinaient. Elle tenait quelque chose dans ses mains qu'elle regardait avec attention. Elyne entra sans avoir été remarquée, bien qu’elle se fut précipitée, et lui sauta dans les bras. Prume, surprise, lâcha l'objet. Il tomba au sol en provoquant un tintement. Elle était serrée contre sa sœur qu’elle redécouvrait.


Pru- Elyne ? Comme tu as changée !

Ely- Toi aussi Prume !

Prume ramassa le miroir et se regarda au travers sous divers angles. Elle s’examinait avec quelques doutes. Elle était maigre et reconnaissait mal son visage. Elle lui trouvait des ressemblances à ce dont elle se souvenait, mais ça restait différent, pas très réconfortant.

Pru- C'est bien moi ? A part mes yeux, j’ai l’impression d’être si maigre et trop différente...

Ely- Oui, oui c'est toi, tu à beaucoup grandit pendant ton sommeil, et tu es déjà moins maigre que ces derniers mois. On a neuf ans maintenant !

Pru- J'ai dormit pendant...deux ans ?

Ely- Un peu moins. Mais je suis tellement contente que tu sois réveillée !

Pru- J'ai encore... Rêvée d'un ange...

Ely- Tu sembles triste ?

Pru- Ces anges sont un peu comme les serpents... Je ne me sens pas bien avec elles ; ça fait comme mal au cœur... C’est peut-être parce que c’était si long cette fois...

Ely- On va aller dire à maman que tu es réveillée d'accord ?

Pru- Oui !

Prume fit un large sourire. Aidée d'Elyne elle passa une robe et se leva. Elyne voulut commencer à marcher, mais Prume ne put pas immédiatement. Elle avait le vertige et les jambes trop faibles. Après un moment, elles marchèrent lentement vers la sortie, Elyne soutenant largement sa sœur. Le médecin arrivé derrière les empêcha de repasser le sas.

- Où allez-vous comme ça ?

Ely- A la maison ?

- Tu as oubliée en quelle saison nous somme ? Tu tiens à achever ta sœur ?

Ely- Non !

- Restez au chaud, j'ai déjà appelé votre mère. Elle va bientôt arriver.

Il repartit comme il était arrivé, presque instantanément et sans bruit. Elles sortirent ensuite de la chambre, avançant lentement.

Pru- Qui est-ce sœurette ?

Ely- Notre nouveau médecin. Tient, regarde, Maya est là !

Prume jeta un regard vague dans la direction pointée, ce regard s'anima en reconnaissant la personne.

May- Coucou Prume !

Pru- Bonjour Maya! Ça me fait drôle d'être plus grande maintenant ; vous êtes a la même hauteur, mais le sol est bien plus loin...

Elyne soutenait toujours sa sœur qui semblait sans forces. Elle ne réalisait pas bien à quel point elle pouvait être dénuée de puissance musculaire après cette durée d’inactivité. Ils discutèrent un peu tous les trois en attendant Éloïse. Ils entendirent finalement un bruit de course, et Éloïse entra brusquement dans l'antichambre.

Élo- Prume chérie !

Éloïse serra Prume contre elle et l'embrassa longuement sur les joues et les cheveux.

Élo- Comment tu te sens ? Tu vas bien ?

Pru- Hi hi, oui, ça va maman, j'ai juste un peu de mal à marcher.

Élo- Je t'ai apportée des vêtements chauds ; c'est l'hiver dehors. Des que tu seras habillée on pourra rentrer ensemble.

Pru- D'accord maman !

Élo- Je suis si contente que tu sois réveillée !

Prume se changea et la famille commença à repartir avec Maya. Prume avait encore besoin d’être soutenue par Elyne pour marcher, mais semblait aller bien. Elle n'était pas habituée à marcher d'une telle hauteur encore.

En arrivant devant la porte principale, la mère de Maya leur barrait le passage. Elle regardait fixement Prume durant leur approche, encore indécise. Éloïse la regarda avec étonnement.

May- Tient, bonjour Maman !

Sam- Bonjour mon cœur...Bonjour les Gains.

Élo- Bonjour Samanthine.

La mère de Maya hésita encore une seconde. Elle se baissa à la hauteur des enfants, forçant sa blouse blanche à s’étirer aux articulations. Elle posa une seule question, face aux grands yeux indigo sombre.

Sam- Comment tu te sens Prume ?

Pru- J'ai les jambes un peu faibles, mais je vais bien.

Prume avait un sourire innocent. Samanthine se releva et leur ouvrit la porte.

Sam- Rentrez bien.


~~~



Dehors, régnait une impressionnante tempête de neige où s'engouffrèrent les Gains accompagnées de Maya. Prume put redécouvrir le froid une nouvelle fois. Un tenaillement intense du ventre, les doigts brûlants, le souffle tiède, les tremblements involontaires et cette sensation d'avoir la peau piquée doucement. Elle en riait en souriant ; car ce monde réel était bien plus merveilleux que ceux dont elle faisait des rêves...


La maison n'avait heureusement guère changée durant son absence. Comme pour elle, ce coma n’avait durée qu’une très longue nuit, les différences étaient perçues brusquement. Mais ce qu'elle connaissait n'avait globalement pas changé ; sauf pour ce qui vivait. Sa famille, ses amis, tous avaient changés pour elle ; et même son propre corps ne lui était plus très familier.

Ses cheveux légèrement bouclés avaient dépassés ceux de sa sœur en longueur. Elle avait maintenant les cheveux longs, de longs bras, de longues jambes, un buste fin, une taille mince, des épaules et un visage de son âge, d’une fillette d’environ dix ans. Elle était extrêmement mince, mais on ne pouvait plus vraiment la qualifier de maigre ; son régime de transfusion et de nourriture par tuyau avait été sans doute mieux digéré sur la fin.


Quand elle s’examinait à la salle de bain, elle découvrait sa peau couverte de cicatrices blanches, comme autant de traits aux bords dentelés irrégulièrement qui auraient été peints avec souplesse. Les longues et nombreuses cicatrices qui le parcouraient lui donnaient un aspect étrange, une sorte de maquillage ? Elle était surprise d’en voir jusqu'à ses chevilles et dans son dos. Sauf sur le ventre et torse où les traits étaient tirés comme des coupures bien rectiligne, la plupart étaient légèrement courbés. Au moins, elle n’en avait pas sur la tête et dans le cou, mais son visage avait quand même changé aussi, autrement.

Ses yeux avaient encore des cernes légers, mais plus important, sa lèvre inférieure avait plus de doublée de volume. C’était une cicatrisation particulière dont elle n’avait pas retenue le nom exact qui avait provoqué cette hypertrophie. Au moins, la lèvre était uniforme, mais cela lui faisait bizarre de l’avoir ainsi, bien plus épaisse.


Prume se sentit un peu seule au cours des jours suivants ; comme revenue dans un corps qu’elle ne connaissait pas. Il lui fallut prendre du temps pour connaître à nouveau ses proches et elle-même. A son rythme, elle redécouvrait ses proches, se concentrant d’abord sur les lignes qui n’avaient pas changées. Maya avait gardé le même tempérament jovial qu'autrefois ; Elyne, outre les particularités physiques inimitables, était toujours sa sœur jumelle chérie. Elles savaient toujours ce qu'elles ressentaient l’une et l’autre, et parler était presque superficiel. Sa mère n'avait pas vraiment changée ; elle restait souriante et heureuse d'être elle-même, accompagnée de ses deux petits cœurs. Elle avait les cheveux teints en châtain un peu plus sombre, mais son visage souriant était toujours aussi réconfortant. Prume passa au final beaucoup plus de temps à redécouvrir son corps que ses proches.


Elle n'osa cependant pas beaucoup montrer ses cicatrices qui s’étendaient également sur ses bras, elle se mit à porter des vêtements très longs, découvrant le moins possible ces raies blanches. Sa sœur les trouvait jolies, mais cela ne suffisait pas, Prume en avait quand même honte.


La semaine suivant son retour ; Prume put repartir à l'école avec sa sœur. Éloïse avait réussi à l'inscrire dans la même classe qu’Elyne. Elles allèrent à l’école un peu lentement, car même si Prume se rétablissait à une vitesse impressionnante, elle ne pouvait pas encore se déplacer avec autant d’aisance que sa sœur.

Le professeur se désespérait ; Elyne, bien qu'elle fut plus joyeuse, avait retrouvé sa corne déjà depuis longtemps, mais parachevait son excentricité en imitant la tenue vestimentaire de la nouvelle élève ; sa propre sœur. Prume ne laissait voir que ses mains et sa tête, même si le cou et les poignets n'avaient aucune marque, elle n'osait plus les montrer.


Les infrastructures de la ville disposaient toutes d'une climatisation des plus efficaces ; et les vêtements d'intérieur étaient donc communément légers. On se couvrait d'épais manteaux descendant très bas en hiver ; mais on portait dessous les vêtements habituels ; ceux de saisons douces et d'intérieurs. Maillots de corps sans manches étaient donc, le plus souvent avec des jupes ou des shorts, les habits conventionnels des écoles, quelle que soit la saison.

Elyne et Prume étaient vêtues de pantalons longs et sombres, et leurs maillots étaient des chemises amples ; sans doute prises à leurs mère de sa garde-robe d'adolescente. Le professeur qui n’appréciait pas les singularités essaya de leur parler, en vain. Elles restaient campées dans leurs différences.


Elyne n'était plus la princesse de glace terrifiante d’un temps ; au contraire, le retour de sa sœur semblait l'avoir embrasée, enflammée pour quelques choses. On aurait juré sentir des flammes dans son regard ; nom qu'elle ne haïsse ce qu’elle regardait, mais plutôt qu'une force vive et ardente ne l'emplissait désormais. Un œil droit vit, un œil gauche inchangé, mais plus chaleureux que glaçant. Elyne était pleine d’enthousiasme et d’énergie. Sa sœur pouvait au contraire émouvoir. Prume, de ses grands yeux bleutés légèrement violets et sa lèvre inférieure plus épaisse dégageait une aura poétique délicate. Une enfant charmante et une brûlante. Leurs attitudes rendaient les autres admiratifs ou mal à l'aise en leur présence.

Pour leur professeur, le changement d'attitude était désagréable. Les deux sœurs étant bonnes élèves, il n'eut jamais rien à redire. Prume parvenait à travailler malgré son long temps d’inactivité et de retard. Elle suivait aussi bien que les autres, et profita avec bonne humeur d’être dans le même groupe que sa sœur, un de son âge. Elles étaient contentes. L’école, les récréations, les soirées. Les petits déjeuners en famille, les nuits. L’accoutumé, elle l’aimait. Comme beaucoup des gens qui se savent fragiles, Prume n’avait pas d’ambition démesurée, elle aspirait à profiter de ces journées banales telles qu’elles étaient.


Éloïse retrouvait au cours de l'année les joies d’une vie de famille heureuse. Prume avait conservé ses cernes bleutés, mais ce léger maquillage naturel était sans dangers. La mère de Maya et celle des jumelles étaient surprises et soulagées, mais Samanthine surtout restait étonnée ; Prume continuait à aller bien. Prume jouait avec sa sœur et leur ami sans se soucier de sa santé qui semblait bien aller.


Le tribunal avait poussé l’idée jusqu'au bout en ne préparant même plus de contrôle régulier à l'hôpital. Pour l’enfant, aller régulièrement à l'hôpital pouvait facilement avoir un effet nocebo. Si leurs théories évolutionnistes étaient vraies et voyaient en Prume un spécimen étonnement réactif à sa propre volonté ; alors mieux valait la rasséréner. Laissant les mères, et même les médecins, bouches bée ; ces idées folles, semblaient pourtant se confirmer. Malgré ce qui semblait être une maladie extrêmement grave, Prume sortait et vivait librement sans en souffrir ; sans aucun traitement. Prume put même faire du sport. L'école en faisait faire, et elle n'était pas dispensée. Elle y arriva sans incidents ; et Éloïse en était tellement ravie ! Et elle n'allait pas en cachant sa joie.


Prume commença enfin à découvrir différentes formes d'expressions artistiques. Avec sa sœur, elles essayèrent un peu de tout au cours des mois qui suivirent. Et quand il s’agissait de peinture leur mère était ravie de pouvoir leur faire découvrir plus en détail son travail. Les jumelles étaient curieuses et intéressées ; elles allaient mieux.


~~~



Un peu de peinture, avec leur mère ou pas, quelques dessins, d'autres modelages divers et même de la cuisine. Des instruments à vent, des cuivres, des cordes et des percussions ; elles avaient l'occasion d'essayer un peu de tout à l'école.

Prume aimait bien le violon, Elyne n'aimait pas trop les instruments. Elle préférait les sports, même si ceux-ci effrayaient Prume dans la mesure où elle aurait souvent à dévoiler des parties de sa peau griffée.


Prume se remit à lire pendant quelques temps. Avec Louis, quelques années plus tôt déjà, elle avait pris goût à ce passe-temps efficace et plaisant. Pourtant, les livres l'attristaient toujours un peu à cause de leurs courtes durées. On lui répétait qu'elle lisait à une vitesse extraordinaire, mais elle ne s'en rendait pas bien compte ; et ces livres lus en quelques heures lui paraissaient toujours trop courts. Elle regrettait les limites des livres.


Pru- Même un souvenir est plus intéressant. Chaque fois il change ; il n'est pas figé. Mais dans les livres, le début est fixé bizarrement, et quand son histoire se fini, même si elle est belle ; elle est conclue si arbitrairement. La vraie fin n'est qu'à la mort, non ? Pourquoi y a-t-il si peu de vraies histoires ? Qui commencent vraiment au début et finissent quand leur sujet ne peux vraiment plus rien faire ; quand il est mort. Presque tous les livres se terminent comme une simple anecdote, sans queue ni tête. Vraie un peu partout. Mais toujours un peu fausse aussi... Après la dernière page, il reste tellement d'avenir dont on ne sait rien...

Élo- Mais ma chérie, les histoires sont faites pour ça ; si elles ne sont pas bien ancrées, c'est pour permettre aux lectrices comme toi de rêver. Toutes ces romances sont belles et on peut s'imaginer à les vivres si on ne les précise pas trop. Et si elles ne racontent qu'un évènement en particulier, qu'un morceau de la vie des personnages, c'est parce que ce sont ces moments-là qui sont les plus intéressants.

Pru- Mais maman ! Entre le mariage des amoureux qui conclut le livre et leurs morts ; il peut se passer tant de choses ! Pourquoi devrais-je tout imaginer moi-même ? Je sais que depuis toujours, la mort est considérée comme un malheur absolu ; c'est pour ça qu'ils n'y vont que rarement ; mais c'est comme si Elyne et moi disparaissions un jour subitement. Ce serait la fin de notre histoire non ? Pourtant, tant que nous sommes vivantes, il se passera des choses. Tu comprends ? C'est désagréable de lire ces histoires sans fin réelle. C'est pour ça que quand je choisis un livre je regarde toujours d'abord la fin ; pour être sure qu'il soit vraiment fini...

Élo- Tu as raison mon cœur. Sur tous les livres qui existent, tu en trouveras toujours des qui te conviendront. Et puis tu sais, une histoire ne finit pas non plus à la mort de son personnage. La mienne ne finirait pas à ma mort, ni la vôtre si vous disparaissiez.

Pru- Pourquoi ça ?

Élo- parce que tant qu'il y a quelqu'un qui se souvient de toi, ton existence et ton histoire peuvent avoir encore une forme d'existence. Comme tu disais, les souvenirs changent, ils vivent en fait. Pour vraiment finir, il faut disparaître pour les autres et pour soi-même, pas l'un ou l'autre, il faut les deux... Donc pour vous ça ne se finira pas de sitôt, parce que je suis là ! Et je ne laisserais jamais mes trésors finir dans l'oubli !

Elle commença à chatouiller Prume qui se débattait vainement en riant aux éclats. Elle implora pitié mais Éloïse redoubla de vitesse, ne lui laissant aucun répit. Finalement vaincue, Prume accepta de dormir.

Pru- Bonne nuit maman.


Elyne et Prume se souhaitèrent bonne nuit et s'endormirent paisiblement cette nuit-là. Elles partageaient toujours la même chambre, mais cela ne les gênait pas. Elles ne voyaient plus ces serpents depuis longtemps de toute façon. Leurs sommeils étaient tranquilles. Toute la famille profitait du formidable bonheur de vivre.


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La scolarité des enfants se déroulait sans encombre durant les mois suivant. Leur professeur avait abandonné toute idée d'imposer aux sœurs une normalité, somme toute assez relative à lui-même. Les sœurs étaient jolies dans leurs longues robes ou pantalons ; mais elles étaient les seules à en porter. Cela ne les gênait pas, et personne ne leur faisait remarquer méchamment. Cette dernière année de primaire allait tranquillement vers sa fin.


Un jour, quelques mois après ce retour de Prume qui avait été tant attendu, il y eut un événement rare à l'école où allaient les filles. Pour assister quelques étudiants en psychologie et sociologie dans leurs recherches, le directeur de l'école avait accepté d'organiser un «concours de rêves». Tous les élèves ferraient une rédaction de quelques-uns de leurs rêves. L'étude recherchée par les organisateurs était juste la recherche de points communs généraux entre les rêves des enfants, en somme une étude statistique. Il s'agissait d'une introduction aux recherches d'un groupe plus large auquel ils appartenaient qui faisait des recherches sur la noosphère ; réseau insensible qui relierait les êtres vivants de par le monde. C'était une théorie soutenu par d'illustres inconnus dont seule cette idée avait survécut au temps. Le groupuscule de ces quelques étudiants faisait une étude qui ferait partie d'un tout ayant l'espoir de devenir probant.


Ils souhaitaient comparer les rêves, voir si certaines généralités pouvaient en ressortir. Le concours demandait donc à tous les enfants de décrire de deux à quatre des rêves qu'ils avaient fait aussi récemment que possible. Le concours était obligatoire, mais tous les élèves s'y prêtèrent avec joie. Cela les amusait, ils étaient donc dociles.


La semaine suivante, les étudiants avaient plusieurs centaines de pages à débiter en caractéristiques et à classer. Les journées suivantes furent longues pour eux. En plus du long travail que représentait leur étude, ils devaient tout de même choisir quelques vainqueurs pour la fête de l'école. De toutes les données statistiques qu'ils obtinrent, une rédaction était aberrante et au-delà de ce qu'ils avaient imaginé. Bien évidemment, celle de Prume Gains. Outre une écriture soignée pour son âge, le contenu des lignes n'avait aucun semblable. Les anges. Prume parlait des trois anges qu'elle avait rencontrés dans ses rêves passés. Elle y décrivait succinctement des jeunes filles, les situations et leurs comportements.


Pru- La première ange, je l'ai rencontrée dans une immense prairie ; à perte de vue. Des gens bizarres venaient de passer et elle arrivait. L'odeur de cendres n'était plus là avec elle. Cette fille devait avoir quinze ans. Elle avait des grands yeux, des cheveux un peu courts et légers et une immense robe toute blanche. La robe partait de son ventre, son corps était normal, sauf ses jambes qui étaient deux fois trop grandes, mais on ne les voyait pas avec la robe. Ensuite elle me disait quelque chose, sa voix était fragile et je ne sais pas ce qu'elle me disait. A mon réveil, maman m'a dit qu'elle était sans doute un ange.

Une autre fois, une autre ange est venue me voir. Je ne me souviens pas du lieu, je sais juste qu'il était différent et que je ne le connaissais pas. Elle devait être la grande sœur de l'autre car elles se ressemblaient. Elle ses jambes était normales elle portait un pantalon, plusieurs maillots usés et une grande cape marron qui couvrait ses épaules. Elle avait les cheveux longs qui faisaient des grosses mèches. Elle aussi me disait quelque chose mais je ne sais pas quoi, sa voix était trop faible. Je ne sais toujours pas si elle voulait que j'appelle quelqu'un ou autre chose.

Récemment, une troisième ange est venue me voir. Elle était très différente. Ses yeux étaient différents, mais ils restaient grands, et son regard était imposant. Elle, elle pouvait avoir n'importe quel âge, on ne pouvait pas vraiment dire. Elle avait un gros cœur dessiné sur le ventre. Ces cheveux étaient très longs et rigides comme du bois. Elle portait probablement des plaques de métal sur elle, comme des vêtements, parce que ça brillait de la même manière. On voyait qu'elle était très forte ; je pense qu'elle pouvait casser des murs à mains nues si elle le voulait ; mais je ne l'ai pas vue faire. Avec elle j'étais dans une sorte d'hôpital tout gris et tout abîmé. Elle aussi me disait ces choses que je ne comprends pas.

Finalement, ces trois anges étaient très belles, elles étaient gentilles avec moi et patientes. Au début j'étais contente de les voir, mais après, j'ai gardé un sentiment de malaise. Quand je repense à elles, je ne sais plus quoi en penser. Mais elles n'avaient pas d'ailes. Signé: Prume Gains neuf ans.


Le petit groupe travaillant sur ces centaines de rédactions restait un peu étonné. Ils ne voyaient pas où classer cette feuille parmi les autres.


- Vraiment inhabituels comme rêves. Elle a peut-être plus brodée que les autres ?

- Je ne pense pas, il y'a une certaine récurrence logique, mais avec des changements, et irréguliers en plus... Je pense à leurs apparence notamment ; difficile à dire si c'est une expérience qui évolue où autre chose. Est-ce qu'il y'a une logique sous-jacente aux changements dans l'apparence de l'ange ?

- Les trois ont la peau de couleur blanche je suppose mais bon... Impossible de conclure avec si peu de choses.

- Au moins on a plus à se fatiguer pour trouver un gagnant. Cependant si on fait ça, on sera obligés de prendre ces rêves en compte dans nos études ; et à elle seule elle pourrit toutes nos belles statistiques !

- On fait quoi ?

- Je crois que c'est s'il n'y avait pas d'exceptions que ça serait le plus douteux. Surtout vu la méthodologie de l'étude qu'on fait ici. On devrait se renseigner sur cette élève ; si on trouve quelque chose comme un problème de santé qui peut justifier ces rêves originaux, on aura plus de souci avec nos résultats. Si l'élève est déjà singulière ailleurs, on peut sans trop d'appréhensions y voir un lien.

- D'accord, allons demander au directeur.


Et ils trouvèrent aisément des certificats médicaux qui confirmaient l'instabilité physique de Prume. Son mental devait forcement avoir été un peu atteint, et il ne leur en fallait pas plus pour conclure ce qu'ils avaient prévus de conclure. L'explication la plus simple était généralement la plus logique et probable.


Arriva le jour de remise des prix, le quatre mai de l'an vingt. Dans la vaste salle des fêtes de l'école. Les parents avaient étés conviés à venir avec les proches. Le concours des rêves n'était pas le sujet principal mais un détail de la fête de l'école.


Éloïse était donc venue avec ses deux filles, et s'installèrent dans les rangs du fond. Cette cérémonie accompagnait en fait la fête organisée à l'occasion des petites vacances qui commençaient le jour même. La grande salle était très animée et divers spectacles qui ne passionnaient pas vraiment la famille Gains se succédèrent. Commença finalement la remise des prix du concours de rêves. Un prix spécial pour un petit garçon aux cheveux très longs. Un troisième pris pour un autre garçon plus jeune. Le deuxième prix pour deux fillettes qui, sans se connaître, avaient fait les mêmes rêves. Finalement, Prume fut appelée, pour le premier prix ; gagné par ses rêves d'une originalité étonnante. L'animateur lui posa quelques questions destinées à animer la fête.


- Alors Prume, quel âge as-tu ?

Pru- Euh... J'ai neuf ans...

Prume n'était pas détendue, elle serrait ses mains derrière son dos, visiblement mal à l'aise. Sa longue robe noire contrastait fortement avec les décors du lieu. Éloïse était un peu honteuse de l'avoir laissée porter celle-ci, mais elle s'amusait beaucoup des réactions surprises qu'elle voyait autour d'elle.

- Est-ce que tu aimes lire ?

Pru- Hum... Et bien... Plus ou moins. Pas beaucoup...

- Voyons, combien de livres as-tu lu depuis le début de l'année ?

Pru- Ah..., Euh... environ quarante.

Il y eut quelques bruits d'étonnements et d'amusement dans la salle.

- On peut donc dire que tu aimes bien lire en fait ! Pense-tu que tes rêves si orignaux viennent un peu de toutes ces histoires lues ?

Pru- Oh... Non, je ne crois pas...

- Ah ? D'où te viendrait cette imagination débordante alors ?

Prume baissa la tête, murmurant. Sa réponse ne put être entendue que par l'homme qui animait.

Pru- Ce n'est pas de l'imagination...

-...Tu ne sais pas ? Ce n'est pas grave ! Dis-moi, voudrais-tu lire tes écrits à tout le monde ?

Prume devint toute rouge à cette idée.

Pru- Non, non !

- Tu es timide hein ? Et si je la lisais ta rédaction ? Je suis sûr que tout le monde a envie de l'entendre.

Prume cria avec une voix particulièrement puissante, laissant tout le monde surprit.

Pru- Non !

- D'accord, je te demande pardon... Merci et félicitations Prume ! Nous allons alors passer à la suite maintenant, messieurs, dames.


Prume sortit dans la cour sans retourner à sa place, elle était essoufflée, elle avait trop chaud. Elle s'assit sur un banc à l'ombre et souffla longuement. Elyne arriva peu après avec des boissons dans les mains. Prume avait déjà la tête en arrière, elle s'était endormie presque instantanément. Elyne l'allongea délicatement sur le banc et resta à côté d'elle pour boire son jus de fruit.


Ely- Prume ?

Pru- ...

Ely- On dirait que ton passage sur scène t’a épuisée...

Pru- ...

Ely- Je peux lire ta rédaction ?

Pru- ...

Prume dormait apparemment profondément, les yeux clos, la lèvre épaisse légèrement entrouverte pour respirer. Elyne attrapa la pauvre feuille froissée entre les mains de sa sœur et commença à la lire.

L'écriture de Prume était presque celle d'un ordinateur. Les lettres s'enchaînaient doucement, mais elle avait une écriture extrêmement régulière. Elyne lut la rédaction entièrement ; redécouvrant les deux premières anges. Elle était surprise que Prume n'ait pas parlée des serpents. Les serpents...

Ely- Était-ce des rêves ou juste mon imagination ? Ces serpents blancs ont bien existé, non ? Je ne les ait pas vus depuis longtemps, je ne suis plus sûre de leurs souvenirs. De telles choses n'existent pas... Hein Prume ?


Des petits enfants venaient d'arriver pour jouer avec des ballons. Elyne les regarda avec un air absent en restant assise à côté de sa sœur. L'air était frais sous cet arbre qui les laissait à l'ombre. Regarder des enfants plus jeunes qu'elles jouer lui donnait une impression de nostalgie un peu étrange. Elle mit un peu de temps à comprendre pourquoi. Elle n'avait pas pu jouer comme ça après un ballon avec Prume au même âge qu'eux. Elle en était un peu triste quand même, bien que le plus important était qu'elle soit là, avec elle.


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