Recto - partie 3
Éloïse devant revenir plus tard ce soir-là, Louis se permettait de commencer à préparer un dîner pour Prume pendant qu'elle se reposait.
Prume pensait somnoler mais c'était bel et bien endormie. Et une vague vision chimérique s'imposa dans l'imaginaire vagabondant de l'enfant. Son ange, l'ange à cape. Elle ne parlait plus ? Prume ne réalisait pas vraiment ce qu'elle était, dans son état rêveur, elle ne lui accordait pas plus d'importance qu'a n'importe quelle autre idée... Et puis, autre chose arriva. Quelque chose de froid, dans un mouvement souple, fluide. Des choses élancées s'approchaient en flottant entre d'invisibles couches d'air. Des semblants de serpents blanchâtres de bonne taille s'approchaient. Prume eu peur. Son rythme cardiaque s'accélérant soudainement à leur vue, à la montée instinctive de sa peur.
Prume s'y focalisa suffisamment pour rehausser son niveau de conscience et se réveiller. Elle rouvrit les yeux sur sa chambre.
Louis entendit soudainement Prume hurler. Il courut à sa chambre et la heurta quand il arrivait à sa porte ; elle fuyait. Louis l'aida à se relever et l'emmena avec lui à la cuisine, elle semblait complètement sonnée. Il remonta inspecter la chambre qui n'avait rien de particulier.
Quand elle fut remise, aidée par un chocolat chaud, elle lui expliqua ce qui s'était passé. Louis l'écouta silencieusement en continuant de préparer le repas.
Pru- J'étais dans un rêve avec une ange que je connais quand trois... serpents, sont venus. Ils m'ont fait peur dans le rêve donc je me suis réveillée.
Louis ne répondit pas, la laissant continuer de parler.
Pru- J'ai criée parce que... Les serpents ils étaient là, dans ma chambre.
Louis l'observait, analysant son attitude. Il récupérait des informations en plus de sa parole.
Pru- Ils volaient en s'approchant de moi et ça me faisait trop peur...
Prume tremblotait encore.
Pru- J'étais venue te chercher quand tu es arrivé...
Lou- Ils étaient comment ces serpents Prume ?
Louis prit un téléphone et composa un numéro. Certaines choses n'étaient pas de sa compétence, il appelait Éloïse.
Pru- Tous blanc, avec un seul œil noir sur le front, ils n’avaient pas de bouche. Et il y avait des... trucs, sur leur queues.
Louis avait le téléphone à l'oreille. Il ne prononça tout au plus qu'un mot que Prume ne nota pas.
Lou- Des trucs ? Quoi comme trucs ?
Pru- Des petits dessins gris... ou bleus.
Lou- Ils ressemblaient à quoi ces dessins ?
Pru- Des gribouillis... Mais pourquoi ils volaient ces serpents ?
Lou- ...Ça va aller Prume.
Prume, assise sur un grand tabouret, regardait ses pieds se balancer d'un air songeur. Elle se calmait, mais une inquiétude bizarre venait de la saisir... Une frontière bien connue entre rêve et réalité venait de faiblir, juste au-dessus de ces escaliers, derrière cette porte. Un élément apeurant d'un rêve s'était-il vraiment faufilé dans la réalité ? Prume ne voulait pas y croire, parce que celui-là, cet élément-là lui faisait peur... L'ange ne l'aurait peut-être pas inquiétée, mais cette chose était restée dans le flou, pas les serpents. Prume avait peur, et ressentait d'autant plus subitement le manque de présence de sa famille.
Louis demanda au téléphone si Madame Gains était présente. Il patienta un peu puis raccrocha finalement. Éloïse rentra quelques minutes plus tard, accompagnée d'Elyne. Elles avaient une heure et demie de retard. Éloïse remercia Louis de son sérieux et s'excusa, confuse, de son retard. Les filles partirent dans leur chambre, sous le regard un peu étonné du jeune homme. Louis commençait à expliquer quelque chose à Éloïse quand ils entendirent les jumelles crier. Ils accoururent à leur rencontre, elles se blottirent contre leur mère et pleurèrent des discours incohérents à propos de serpents. Éloïse tentait de les rassurer en les serrant toutes les deux dans ses bras.
Louis entra dans la chambre. Il n'y avait aucun serpent à voir, quelle que soit son apparence. Il ressortit. Les fillettes, réfugiées dans la robe de leur mère, refusaient de rentrer dans la chambre.
Éloïse congédia gentiment Louis. Elle ne doutait pas de lui mais préférait qu'il rentre à son domicile ; d'autant plus qu'il était déjà resté plus que prévu par sa faute chez elle. Louis s'excusa sans tarder, il reviendrait le lendemain matin.
Éloïse fouilla la chambre de ses filles et n'y trouva rien d'anormal. Elle retourna vers sa chambre où les filles s'étaient blotties l'une contre l'autre sur son lit, lui évoquant des lapereaux apeurés. Éloïse s'inquiétait sans vraiment être sûre de comprendre le problème. Elle n'était pas certaine d'avoir compris ce qu'il s'était réellement passé dans leur chambre. Avaient-elles rêvées ces serpents ? Où était-ce autre chose ? Mais ce n'était certainement pas rien, quoi qu'il fut arrivé ; car les enfant semblaient profondément atteintes.
Éloïse leur proposa de revenir regarder avec elle pour voir si les serpents étaient encore là ; mais les filles n'osèrent pas. Pour cette nuit, elles dormiraient toutes les trois dans le lit de la mère. Bien à l'abri sous les plumes maternelles, elles s'endormirent sans se rappeler ce qui les avait effrayées.
Ce qui était arrivé était-il anodin ? La mère s'endormait plus lentement que ses filles, avec une certaine inquiétude pour elles. Si ce n'était qu'un cauchemar puéril qui avait eu lieu, rien ne valait qu'on s'y attarde... Mais peut-être à cause de ce que l'œil d'Elyne pouvait lui rappeler, elle ne parvenait pas à s'en convaincre. La crainte que quelque chose de plus ne se soit partiellement manifesté au travers de cet évènement persistait. Quelque chose qui n'était par définition pour elle que de l'inconnu, et probablement rien de plus qu'une ombre sans consistance, dont l'origine n'était qu'une illusion d'optique. Mais quand elle évoquait ou repensait à cette substance invisible qui entourait, peut-être sa famille, Éloïse ressentait à nouveau ce froid étranger qui l'enveloppait... Une vieille sensation qui avec les années s'était faite synonyme d'angoisse pour elle, mais aussi de doute. Doutes insolubles mais présents. Éloïse avait une peur devenue réelle, que quelque chose d'irréel ne menace ses filles...
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Éloïse rêva cette nuit-là de quelque chose d'inhabituel. Elle n'en saurait jamais la raison, mais ses filles, et ce qu'elles avaient vu ce jour-là n'y étaient pas étrangers. La réunion et les craintes avaient ouverts quelque chose chez Éloïse. Et cela laissa quelque chose agir. Une chose minuscule, plus petite que toutes les ombres qui pouvaient planer autour d'elles traversa l'obscurité. Une infime lueur s'était frayée un chemin dans le néant et le froid que Éloïse craignait, pour l'approcher, suffisamment pour que des idées étrangères à elles même puissent émerger.
Elle ne se sentait pas vraiment elle-même dans ces visions ; comme si elle vivait l'histoire d'un autre. Sa vision était troublée, floue, incertaine. Pourtant Éloïse ressentait ce que cette personne ressentait. Il y avait certainement du feu, elle sentait la peau proche de la douleur à cause de la température. Il y avait de la terre autour d'elle, tout était d'abord bien sombre. Des secousses, des ombres, une menace. Une ombre se dessinait devant ses faux yeux ; une image complètement floue, faussée pour les formes et sans doute aussi les couleurs, mais Éloïse ressentit une grande peur qui n'était pas la sienne.
Quelque chose lui perça le ventre, lui trancha la tête ; elle suffoqua un instant puis se calma. Elle se redressa. Ce n'était pas son ventre, et sa tête était toujours entre ses épaules... Un rideau sanglant tombait, la créature qu’Éloïse vivait était en train de mourir, tuée. Elle percevait encore des sensations comme si elles étaient siennes. Elle en souffrait, mais n'agonisait pas pour autant.
Des sentiments violents se succédèrent de plus en plus rapidement, accompagnés d'une douleur de plus en plus éclatante. La douleur augmentant, les formes indistinctes fusionnèrent en se concentrant au paroxysme de la souffrance. Il y eut une sorte d'implosion, et tout avait disparu.
Éloïse ne ressentait plus rien qui appartenait à cet autre, cet inconnu. Il, ou elle, était mort. Elle avait l'étrange impression d'avoir vécu ses derniers instants. Elle se disait peu après que ce rêve était étrange ; prenant alors conscience que toutes ces sensations n'étaient pas vraiment issues de la réalité.
Mais elle se sentait lourde et immobile, comme paralysée. Elle eut la désagréable impression qu'on l'empêchait de se réveiller, comme si l'on voulait la forcer à regarder un film jusqu'au bout...
Car en effet, le film n'était pas fini. Sur l'écran noir de ses yeux imaginaires, Éloïse vit quelques mouvements s'esquisser ; et percevait ensuite quelques ombres. Quelque chose se passait. Elle ne pouvait dire quoi. Elle sentit une autre secousse ; puis une lumière perçante lui attaqua les yeux. Une lumière plus intense qu'un réveil sous le soleil.
La lumière ne s'adoucissait pas, mais ses yeux s'adaptèrent, et les couleurs apparurent. Du bleu. L'image se fit nette pour la première fois. Le bleu du ciel infini. Le bleu de la mer absolue. Elle flottait, invisible à elle-même, au-dessus d'un océan, sous un ciel d'azur. Il n'y avait pas la moindre ombre sur les vagues, Éloïse n'y voyait rien. Tout était bleu. Un océan... Elle n'avait jamais vu d'océan autrement qu'en film, mais celui-là semblait il familier ? Elle ne réagissait pas, elle attendait.
Elle ne ressentait plus cet autre être ; elle ne parvenait pas à trouver le sens de tout ça. Elle descendit malgré elle au niveau de l'eau. À son approche, l'eau sous ses pieds absents se gela. Non tel un iceberg, mais telle une colonne qui émergeait, couverte d'un tapis neigeux. Éloïse avait l'impression d'être debout dessus. Elle crut vouloir faire un pas. De la glace se forma sous l'endroit où arriverait le pied, s'extirpant du néant en doublant ainsi la surface praticable. Un autre pas suivit, et la neige apparut pour l'accueillir. Et Éloïse commença à marcher. Un chemin de glace et de neige se formant au fur et à mesure, sous ses pas inexistants, ne laissant pour seule trace que le chemin gelé lui-même. Éloïse était emportée ainsi, par ces visions étranges, mais elle se détachait ; elle ne sentait déjà plus le froid sous ses pieds.
Au bout d'un moment, elle se retourna. Derrière elle, ce chemin de glace sur l'eau. Petite ligne blanche dans un espace bleu. Rien d'autre. Éloïse murmura dans l'invisible oreille de ce rêve quelques mots sans effets. Une simple question, certainement sur des serpents.
Éloïse fut traînée dans une course. La créature s'était mise à courir ? Éloïse en avait en tout cas la sensation. Et une peur revint. La peur grandissante, démesurément, l'envahissait complètement. La terreur ramena sa vue à un état flou. Éloïse courrait en tremblant, terrifiée, au milieu d'un océan calme comme une flaque. Elle était poursuivie et menacée. Bien que cette menace funeste ne la concerne pas, elle paniquait autant que si cela avait été le cas.
Dans un regard en arrière incontrôlé, elle crut voir des sortes de rubans blancs flotter en l'air. Elle comprit, c'étaient eux les serpents. Des serpents bien épais et longs de plus d'un mètre. Leurs formes étaient approximatives. Leur têtes, ornées d'un œil unique et noir du milieu du front, étaient trop pointues. Éloïse commençait à perdre tout contrôle. Ces serpents la poursuivaient en volant, et suffisamment proches pour qu'elle ait vue l'œil de chacun. Il y en avait plusieurs, mais elle n'avait pas pu les compter. Au moins quatre, mais sans doute plus.
Éloïse fut rattrapée et sentit l'un d'eux se planter profondément dans son omoplate gauche. Elle aurait hurlée si la douleur avait été réelle. Les autres serpents se plantèrent tout aussi violemment dans son dos, la projetant sur la glace se formant devant elle.
Éloïse sentit ce qu'elle crut être du venin se répandre dans sa chair. Le poison brûlant lui faisait perdre connaissance, mais c'était seulement la conscience de l'autre... Elle se retrouvait de nouveau prête à se réveiller, dans un rêve sans décors.
En pensant aux serpents, elle sentit la tristesse l'envahir. En repensant à ses filles chéries, elle sentit une émotion tourmentée qui ne lui appartenait pas... Un tourment étranger qui s'invitait chez elle. Éloïse le refusa, elle commanda à l'autre d'arrêter tout ça. Rien ne se passa pendant quelques instants, mais elle avait été entendue.
Éloïse vit finalement un de ces serpents apparaître dans ce décor obscur. Le serpent ondula en s'approchant doucement d'elle, entre deux couches aériennes, pendant que cinq autres le rejoignaient.
Il se mit soudainement à fondre en un liquide lumineux. La flaque formée prit forme, monta à sa hauteur, sous une ébauche humaine. L'ébauche humaine se raffermit, se colora, cheveux et visage apparurent. Éloïse s'attendait à voir une copie d'elle-même, mais ce ne fut pas le cas. Elle voulait voir quelque chose de beau, quelque chose de rassurant...
La taille de l'humaine formée diminua un peu. Les cheveux devinrent blonds, presque brillants, et particulièrement fins. Le visage était d'une sublime douceur et les grands yeux couleur herbe contrastaient à merveille avec la peau claire. Elle était l’apparence physique la plus aimable qu’Éloïse pouvait imaginer ; et cette image était bien née de son imagination, de ses goûts... Elle était d'un ravissement angélique à ses yeux...
Éloïse repensa à l'ange dont Prume lui avait parlée quelques années auparavant ; et la fausse humaine tourna doucement la tête pour signifier un non... Éloïse comprenait donc qu'elle n'était pas celle-là. S'en suivit un léger dialogue, où l'apparence de femme hochait la tête pour répondre aux questions.
Élo- Tu lis mes pensées ?
Elle hocha lentement la tête en avant pour répondre un oui.
Élo- Qui es-tu ?
Elle fit un léger sourire et haussa les épaules, comme si elle souhaitait dire qu'elle l'ignorait, ou que c'était sans importance.
Élo- Qu'est-ce que tu es ? Un esprit ?
Elle sembla hésiter, puis fit un non en hochant la tête. Elle pointa son index gauche sur le cœur d'Éloïse qui entendit alors celui-ci battre plus fortement. Éloïse hésitait.
Élo- Tu es un cœur ?
Elle fit un oui net.
Éloïse ne savait pas quoi dire ou demander. Elle était un cœur ? Cela n'avait pas de sens.
Élo- Tu... Enfin, ces serpents, c'est toi ?
Elle hésitât. Ce n'était pas vraiment ça, mais ne pouvant pas en l'état s'étendre en explications sur ce qu'ils étaient, elle fit un oui très lent. Oui, ces choses étaient en lien avec elle...
Élo- Mes filles peuvent te voir c'est ça ?
Elle hésita encore avant de faire un oui. Les jumelles voyaient les choses blanches, pas elle-même. Elle, elle n'était rien de visible, où que l'on aille dans l'univers. Son apparence, tout au plus pouvait être rêvée...
Élo- Tu es une morte ?
Elle hésita, visiblement intriguée. Elle leva les yeux, comme pour réfléchir. La mort, cette conception si simple, que pouvait-elle en penser ? L'apparence angélique ne pouvait pas répondre honnêtement à cette question... Elle était face à des conceptions trop différentes des siennes pour pouvoir traduire sa pensée en un simple hochement de tête... Finalement, elle fit un oui, le regard triste. Elle était morte. C'était ainsi qu’Éloïse la considérerait. Celle-ci ne sembla pas vraiment choquée par l'idée. La mort ne lui faisait pas vraiment peur, c'était qu'un malheur puisse accabler ses filles dont elle avait peur.
Élo- C'est pour de l'aide que tu viens voir mes filles ?
Elle fit un non immédiat. Non, elle, elle n'avait pas besoin de leur aide...
Élo- Pourquoi alors ?
Elle fixa son regard dans les yeux d'Éloïse. Elle ne bougea plus, telle une statue. Éloïse commençait à s'interroger, quand finalement elle ressentit un choc violent dans son ventre. Elle ne sentit pas de douleur mais ressentit une brève terreur. Une terreur comme celle d'avant, quand le venin envahissait le corps.
Élo- La mort ?
Elle fit un oui.
Élo- Tu souhaites les protéger ?
Elle hésita. Elle fit un oui avec un air faussement timide. Éloïse comprenait mal les émotions qui s'affichaient sur ce visage. Elles n'avaient pas l'air bien coordonnées. Elle sourit pourtant.
Élo- Je leur dirais ne t'inquiète pas.
Éloïse commença à s'évaporer, elle était paradoxalement fatiguée du rêve, et allait se réveiller pour se reposer. Elle ne vit pas la fausse femme lui courir après pour la rattraper comme paniquée. Elle s'était mal faite comprendre, c'était beaucoup plus que les seules jumelles qui courraient un grave danger.
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De ce rêve étrange dont une partie majeure n'avait pas été imaginée directement par l'intéressée, peu d'éléments s'ancrèrent en la mémoire d'Éloïse. Qu'elle ne se souvienne pas de ce rêve s'avèrerait peut-être dramatique. Ou peut-être salvateur. Si elle s'en était souvenue, qu'aurait-elle put en tirer de toute façon ? C'était probablement un rêve qui se révèlerait sans la moindre incidence sur sa vie future... Quelle qu'ait pu être l'importance de ce rêve, et la direction dans laquelle il pouvait diriger le destin ; Éloïse ne pouvait ni savoir vers quoi il tendait, ni même plus simplement se le remémorer dans son intégralité...
Elle se souvenait de la glace sur l'océan et que les serpents n'avaient pas de desseins maléfiques, ce qu'elle expliqua à ses filles dès qu'elle s'en souvint. Les petites restèrent tout de même inquiètes, mais avaient confiance en leur mère.
Comme la veille, Éloïse et Elyne partirent à leurs écoles à l'arrivée de louis. Après le long au revoir, la journée d'école put prendre son cours normal. Elyne était redevenue elle-même depuis que sa sœur était de nouveau là. Elle souriait à nouveau, elle se rouvrait à son environnement avec une facilité déconcertante.
Prume travailla de nouveau avec Louis dans une ambiance sereine. Il évita de lui faire lire un livre entier cette fois-là. Il ne lui en fit lire qu'un demi, et pas à vitesse maximale ; maintenant qu'il avait quelques idées de ses capacités, ils travaillaient en conséquence.
Elyne lisait un petit peu aussi, mais pas aussi vite et bien que sa sœur, par encore. Elle ne se sentait pourtant pas un seul instant en rivalité avec sa sœur ; pas plus que Prume vis à vis de sa croissance faible.
Quelques jours s'écoulèrent doucement, sans que les jeunes sœurs ne revissent les serpents cyclopes, qui n'étaient probablement jamais revenus dans leur chambre. Hélas, la fin de semaine arrivée, ils revinrent. Éloïse rentrait avec elles dans leur chambre et sentit soudainement Elyne lui serrer la main plus fortement. Elyne fixait un point du mur, apeurée. Éloïse ne voyait rien, mais sa fille semblait pouvoir. Comment réagir ?
Ely- Il... Il est là !
Elyne voulait partir, Éloïse la retint.
Élo- Il ne te veut pas de mal, essayes juste de lui parler.
Elyne serrait les dents, elle palissait, elle paniquait. Éloïse la laissa sortir. Elle se tourna vers Prume qui observait le vide qui encombrait l'espace entre les murs et le plafond, là où elle avait vu quelque chose avant.
Élo- Prume ça va ?
Pru- Je ne les vois plus ?
Élo- Je ne sais pas. Ils ne reviendront peut-être pas... Viens, rejoignons Elyne.
Pru- Oui...
Elyne s'était réfugiée au salon. Elle refusait de jamais ré-entrer dans cette chambre... Elle en avait vu un, elle avait peur. Une peur viscérale, presque instinctive qu'elle expliquait mal, mais n'avait pas imaginée.
Chaque soir durant les semaines suivantes, si Elyne découvrait un serpent, la mère et les filles échangeaient leurs chambres. Éloïse avait choisi de procéder ainsi, ne voulant pas laisser Elyne, et encore moins Prume, dormir seules.
Selon les jours et soirs, Elyne ne trouvait pas de serpents, parfois un, parfois deux, et plus rarement, elle en voyait trois. Prume ne les voyait plus depuis ce jour de mars. Elle les avait vu deux fois la même soirée, après l'effort de lecture, mais ensuite plus aucun.
Le temps passa plutôt sereinement malgré la présence régulière des serpents invisibles. Prume continuait de travailler avec un certain plaisir en compagnie de Louis. Elyne à l'école s'amusait bien aussi. Sa corne ne choquait bientôt presque plus personne, ce n'était qu'une mèche de cheveux après tout. Éloïse avait eu le cœur alourdi par la présence régulière de cette chose invisible qui changeait leur vie de façon concrète. Cela la fatiguait, mais elle s'était résignée depuis déjà longtemps à accepter ce qui entourerait ses filles. Elle espérait que ces évènements étaient dus à ses filles, provenaient d'une part d'elles qu'elle ne pouvait pas comprendre. Elle l'espérait, pour que ce ne soit pas quelque chose d'étranger, dont pour le coup, elle ne connaissait rien... Ses filles, elle les connaissait très bien, et les aimait inconditionnellement.
L'année scolaire se termina en paix. Louis avait réussi à donner goût aux études, à la lecture et à avoir un certain esprit critique à Prume. Bien plus que ce qu'il avait pu penser pouvoir inculquer à une fillette de six ans et demi. A l'école primaire, au collège, quel que soit le futur, il n'avait aucune inquiétude pour elle sur le plan intellectuel. Prume était clairement très intelligente, elle manifestait des facilitées déconcertantes sans arrêt. Il lui souhaitait d'en profitait et de pouvoir faire de longues études...
Les nouvelles vacances ne furent pas passées à la plage cette année-là. La famille passa quelques semaines à la montagne. Comme l'un des dômes de la ville contenait un lac, celui à l'opposé contenait une montagne. Elle n'était pas très grande, mais remplissait une bonne part du dôme, presque jusqu'au sommet invisible. De ce sommet, on pouvait voir tout la ville ; sans distinguer les murs qui en faisaient un milieu clos. On voyait les secteurs bien ronds de la ville, qui flottait majestueusement sur une mer brumeuse. Une mer de nuage à perte de vue...
Un jour de juillet, la famille en entreprit l'ascension par l'un des flancs les plus aisés. Elles ne parvinrent pas au sommet, Prume trop épuisée après la moitié du trajet. La vue de cette hauteur lui plaisait tout de même beaucoup. Elles passèrent une journée dans cette nature stable, qui cachait bien être artificielle. Le paysage de la ville océanique était beau. Le monde était beau. Leur monde.
Prume grandit beaucoup cet été là. Elle ne combla pas le retard important vis à vis de sa sœur, mais le diminua un peu. Malgré ses six ans et demi, elle ne semblait autrefois âgée que de trois à quatre ans. L'été fini, elle en paraissait bien cinq. Le compte n'y était pas, et Elyne était-elle un peu plus grande que la moyenne ; mais le progrès était bon. Une croissance qui avait été bien rapide, peut-être un peu trop. Le soleil estival faisait bronzer à nouveau la peau des fillettes, leur donnant des teintes qu'Éloïse n'avait jamais connue. Leurs peaux ne brûlaient pas, mais s'assombrissaient bien plus que l'année précédente. Une couleur caramel dont elles s'amusèrent.
Éloïse remarqua que la corne d'Elyne avait un peu grandit aussi... De environ huit centimètre pour la première part, entre la racine et le premier repli, elle avait dut passer à une dizaine de centimètres. Comme une tige métallique fine repliée sur elle-même par trois fois, la corne souple gardait cependant la même consistance ; elle ne tombait pas plus qu'avant sous son propre poids. La rigidité s'ajustait donc, pour garder les mêmes replis, la même forme ?
Éloïse ne lui proposa même pas de la tailler ; Elyne semblait beaucoup apprécier cette corne contrairement à sa mère. Cette corne lui avait permis de vite sympathiser avec beaucoup d'enfants, et c'était une différence élégante à laquelle elle prenait goût, même si elle ne la comprenait pas. Pour Elyne, cette corne était naturelle.
Il lui arrivait d'y accrocher quelques breloques ou y glisser des bagues pour la décorer ; sa mère était partagée là-dessus, mais au final appréciait qu'elle ait envie de mettre en valeur quelque chose d'original. Ce qui n'était au final peut-être bien qu'une difformité anatomique pouvait être rendu jolie.
La corne n'était pas plus épaisse qu'un auriculaire et n'avait pas vraiment changée autrement qu'en taille depuis son apparition, quatre ans plus tôt. La proportion relative à la tête semblait se conserver. Quant à l'œil aveugle, il n'avait pas changé et Elyne ne se souvenait de rien.
Un vent léger les atteignait la haut, pendant qu'elles profitaient du paysage et du soleil. Elles y étaient retournées, elles profitaient. Les passants étaient absents de ce petit coin de la montagne ce jour-là, elles étaient tranquilles. Un vent léger et tiède d'été pendant que la journée s'estompait. Leur bonheur planait, vaporeux, indéfinissable mais vaste.
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Éloïse était heureuse avec ses jeunes filles. Elle allait bientôt avoir quarante ans et se préparait à organiser une grande fête à cette occasion. Elles s'y préparèrent toutes les trois avec beaucoup d'attention. Éloïse était un peu impatiente que son anniversaire arrive, sachant que le cadeau ayant le plus de valeur était qu'il allait être suivit peu après par celui de ses filles adorées.
Les vacances de cette année-là furent douces à souhait et se terminèrent ainsi. La famille rayonnait de son merveilleux bonheur.
Elyne fut inscrite en première année à l'école primaire et Prume en deuxième année. Elles passèrent les derniers jours avant la rentrée à leur maison, tranquillement.
La rentrée à l'école arriva. Elyne et Prume furent accompagnées à l'école primaire par leur mère, qui alla ensuite au collège voisin trouver sa nouvelle classe, redevenue enseignante en collège pour continuer avec un autre cycle d'élèves comme les premières années.
Prume se retrouva avec la même professeur qu'elle avait eu deux ans auparavant. Toute la classe se présenta à ce premier cours, Prume comme les autres. Tandis que tous ses camarades découvraient le nom de leur nouvelle maîtresse, Prume la retrouvait. La femme souriante se présenta en tant que Mademoiselle Coppelnheart. Et un des garçons de la classe d'Elyne avait le même nom ; il s'agissait de son petit frère. Elyne n'était pas assise à côté de la petite tête blonde et ne le connaissait pas encore...
La professeur Coppelnheart était contente de retrouver Prume ; elle fut également contente que celle-ci n'ait plus le tic de fermer les yeux. Il lui aurait fallu remercier Louis pour ce changement, mais elle ne le connaissait pas plus qu'elle ne savait que c'était grâce à lui.
Prume avait lu beaucoup de livre pour enfants pendant les cinq mois passés ; sa lecture et son écriture s'en ressentaient ; en plus de l'aide apportée par les cours de Louis. Et malgré les changements entre le professeur particulier et l'école publique, Prume s'y sentait tout aussi bien. Elle était même d'autant plus contente qu'elle retrouvait sa sœur le midi, et la demoiselle Coppelnheart pour beaucoup de cours.
La nouvelle année scolaire se présumait encourageante pour la famille Gains. Tout se déroulait pour le mieux, elles étaient confiantes. Éloïse espérait de tout cœur que cet état de sérénité durerait le plus longtemps possible. Ces jours précédents l'anniversaire de la mère furent rapidement passés, et la santé de Prume n'avait pas fait de nouvelle chute. Sa constitution allait tenir jusqu'à la fin de l'année. Ce corps en formation de cet âge, gardant encore des traces fortes de médicaments lourds ne pourrait pas tenir plus. L'accoutumance à ces drogues salvatrices associée à une croissance de petite enfance avaient dissolu les effets dans son corps, les inhibant lentement. Cette fragile physiologique ne retirerait plus aucun effet bénéfique du traitement après trois années à l'ingurgiter. L'échéance d'un organisme atteignant ses limites conceptuelles approchait inéluctablement.
Peu après le début de cette nouvelle année scolaire, Éloïse fêtait enfin son quarantième anniversaire. Elle avait invité la plupart de ses connaissances, collègues professeurs, amis peintres et même son médecin. Tous ceux qu'elle aimait étaient invités chez elle ce jour-là.
La plupart vinrent avec leurs enfants, ce qui permit aux jumelles de profiter à leur façon de cet événement, entre jeunes de leur genre. La grande festivité s'étalant sur toute une journée, elles purent jouer plus que jamais. Elyne et Prume oscillèrent entre le jardin et leur chambre en compagnie des autres enfants joviaux. Éloïse accueillait les invités adultes et profitait de la fête en son honneur en leur compagnie.
Prume était un peu vexée et attristée d'être toujours considérée comme la petite sœur d'Elyne par les autres enfants et même parfois les adultes. L'ambiance conviviale était cependant trop joyeuse pour qu'elle ne s'attarde dessus. Elle pouvait continuer de jouer et rire avec les autres une fois les brèves tristesses passées. Elle impressionna les autres enfants avec la grande cape brune que sa mère avait confectionnée quelques mois plus tôt. Un vêtement rare.
Éloïse était contente d'entendre des rires provenir de la chambre. Cette journée d'anniversaire était un événement particulièrement heureux. Elle retrouva avec bonheur son amie Samanthine qu'elle appréciait particulièrement. Elle était venue avec son mari. Un peu après arrivèrent la fille ainée Amélie et son jeune frère. Le petit s'appelait bien Maya Coppelnheart, son nom n'avait pas changé au dernier moment. Les jumelles se lièrent d'amitié avec ce petit garçon blond dont les parents étaient des amis de longue date d'Éloïse.
Une amitié forte se construisait à partir de ce jour entre les trois enfants. Ils s'entendirent si bien qu'ils ne se quittèrent plus de la journée, et allaient se revoir aussi souvent que possible.
Ce jour marquait autant les membres de la famille Gains que celle Coppelnheart. C'était un jour heureux pour tous, l'anniversaire d'Éloïse se terminait aussi bien qu'il avait commencé. Ils se quittèrent ce soir-là, mais le lendemain ils pourraient se retrouver à l'école.
Elyne avait la chance d'être dans la même classe que lui. Prume avait sa grande sœur pour professeur, mais les différences d'âges étaient trop importantes entre elles pour qu'elle puisse se lier tout aussi bien. Les jumelles avaient tout de même trouvée une autre personne que leur mère ou l'autre sœur pour les faire sourire ; Maya.
Maya vivait avec ses parents seulement ; sa grande sœur avait déménagé quand elle était devenue professeur. Sa mère était médecin, elle travaillait dans un laboratoire du ministère de la Santé, mais elle faisait plus de l'administratif et de la gestion que de la médecine concrète. Son père était un professeur qui y travaillait aussi. Le ministère de la Santé était l'organisme qui gérait tous les aspects médicaux de la ville. Il ne se chargeait pas de la formation des médecins, mais gérait tous les aspects matériels imaginables.
Le ministère de la Santé et le corps médical étaient deux organes qui travaillaient en symbiose pour assurer la bonne sécurité sanitaire et médicale de la population. Les parents de Maya étaient donc des médecins, mais qui travaillaient derrière les rideaux du décor, ce qui n'était pas toujours facile pour le jeune garçon à expliquer. La difficulté d'avoir un travail dont les gens ne réalisent l'importance que lorsqu'il est mal fait aurait été d'une banalité affligeante dans la ville dont plus de la moitié de la population devaient travailler dans les souterrains gorgés de machineries titanesques, mais la population entière était consciente que comme en médecine, même si on ne remarque les parties internes de son corps que quand elles vont mal, elles sont bel et bien vitales et efficaces quand on ne les remarque pas. Ces métiers qu'on ne remarquait pas étaient tellement courants, que l'état d'esprit général ne pouvait pas aller en les dépréciant naïvement. Maya avait juste un peu de mal à s'expliquer à ses camarades à cause de leur âge ; les adultes ne souffraient en rien de cette situation.
Quelques semaines plus tard, Elyne et Prume fêtaient leur septième anniversaire et avaient chacune invitées quelques camarades de leurs classes respectives ; et tout naturellement leur cher ami commun Maya. Prume avait invité un peu moins de camarades ; son an de moins par rapport à eux et l'apparence de deux bonnes années plus jeune ne l'aidait pas à nouer des premiers liens facilement. Quelques élèves avec qui elle s'entendait bien étaient tout de même venus très volontiers.
Ce double anniversaire se déroula tout aussi bien que pour celui de leur mère. Maya était très ami avec les deux sœurs qui restaient toujours très étroitement liées, même si leur âge continuer d'augmenter.
Les trois enfants restèrent très proches. Malgré la présence d'Elyne dans sa classe et donc l'absence pendant la plupart du temps de Prume ; Maya semblait toujours impartial entre les deux sœurs. Prume l'aimait d'autant plus, tout comme Elyne. Le jeune garçon n'avait pas bien saisi la définition de la gémellité, surtout qu'elles ne ressemblaient à rien qu'on pouvait lui expliquer, mais cela lui importait peu. Il était gentil, et il ne cherchait rien à part jouer avec ses amies.
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L'année du calendrier de la ville se termina. Les habitants entrèrent donc en l'an dix-huit de la nouvelle ère de la ville. La fin des effets des médicaments de Prume commencèrent à se manifester sérieusement à cette époque.
Au cours des mois qui suivirent, la santé de Prume périclitait doucement vers l'irrattrapable. Alors que les fantomatiques serpents avaient mystérieusement sombrés dans l'oubli au cours de l'été précédent. Les choses blanches à œil unique, mais central contrairement à Elyne, n'avaient plus été aperçues par personne depuis longtemps, et avaient été oubliés depuis.
Pour Prume, ce fut d'abord le sommeil qui s'allégea. En quelques semaines, des cernes importants apparurent sous ses yeux. On pensait qu'elle se mettait un trait bleu de maquillage sous les yeux, mais ce n'était pas le cas. Les cernes se gorgeaient de petits vaisseaux sanguins bien proches de la surface, colorant cette peau d'une teinte bleuâtre sur quelques millimètres.
Elle pâlit un peu, s'enrhuma régulièrement et ses mains commencèrent à trembler. Elle ne toussait pas souvent, et cela n'était encore que des toux bénignes, mais leurs fréquences étaient croissantes. Ses tremblements insensibles au début devenaient parfois de légers spasmes dans des muscles divers. Parfois seulement un orteil, mais vers la fin, cela se rapprochait des organes internes.
Un jour, peu avant la fin de l'année scolaire, où elle jouait chez Maya avec sa sœur et celui-ci ; elle fut prise d'une toux assez longue. Une toux qui rappela des très mauvais souvenirs à Elyne, l'incitant à tout de suite appeler à l'aide. Ce qui les fit vite partir chez le médecin avec Éloïse. Au cours du trajet, Prume devint presque blanche de pâleur. Elle avait froid et mal au ventre, elle se sentait comme si quelque chose débordait dans son ventre.
Quand le médecin la vit, elle venait de cracher du sang dans un mouchoir. Elle saignait du nez également. Le médecin appliqua des règles d'urgence ; afin de la maintenir en vie le temps de l'arrivée de l'ambulance, car il fallait manifestement la prendre en charge.
Prume était en train de hoqueter du sang dans l'évier. Du rouge s'écoulait bientôt de ses yeux, de ses oreilles et de ses ongles. Prume vacilla, elle perdait l'équilibre. Sa mère et le médecin l'assirent sur le lit d'examen, laissant Elyne tremblante devant le spectacle sinistre. Du sang apparaissait partout et teignait les vêtements de Prume comme de ceux qui la touchaient.
Si le médecin connaissait des troubles comme l'hémophilie, et d'autres maladies capables de faire suinter du sang au travers de la peau, c'était la première fois qu'il assistait à ces symptômes en aussi peu de temps. Et le sang coulant des oreilles était un particulièrement mauvais signe...
Il pansa du mieux qu'il put toutes les sorties de sang le temps que l'ambulance n'arrive. Le visage presque entier ainsi que les mains et les pieds furent bandés. Éloïse dut mettre une serviette épaisse dans la culotte de sa fille qui se remplissait aussi de sang.
Prume n'osait pas essayer de parler, elle ne souffrait pas particulièrement, mais sentait la chaleur de son corps s'échapper d'elle et tremblait de peur. Ses lèvres étaient encore rouge vif, entrouvertes, elle hésitait à parler, à se laisser pleurer, à bouger.
Le médecin la souleva et la fit s'adosser au radiateur qu'il monta au maximum pour lutter contre le froid qu'elle ressentait. Il s'éloigna pour aller préparer une perfusion pour redonner un peu de sang à Prume. Celle-ci, bien que les yeux bandés, commença à pleurer. Sa famille essaya de la rassurer autant que possible. Sa mère commença à changer avec une certaine inquiétude la plupart des pansements, déjà trop imbibés de sang. Le médecin revenu avec la poche de sang qu'il était allé chercher ; les brancardiers entrèrent quand il commençait une transfusion importante à la petite.
Les brancardiers le traitèrent d'abord de fou en voyant le débit et les dosages de la transfusion. En remarquant la flaque de sang à côté de lui et aux pieds du radiateur une fois Prume levée, ils se ravisèrent et s'excusèrent avant de repartir en emportant Prume. Ils ne perdirent pas de temps.
Éloïse et Elyne virent l'ambulance partir à toute allure, encore sous le choc de la situation. Le médecin, la blouse maculée de sang, essaya de l'expliquer à la mère de la blessée. Éloïse se sentit déjà mal rien qu'en voyant sa blouse ou les flaques. Son explication la fit pleurer d'inquiétude.
L'homme demanda à un assistant quelconque de le remplacer, il allait ramener Éloïse et son autre fille chez elles. Ce qu'il fit après avoir jeté sa blouse dans une poubelle. Elles se laissèrent faire sans beaucoup réagir, le cauchemar recommençait...
Pendant ce temps, Prume commençait à ressentir de la douleur. Sa peau se déchirait sur le long de ses membres et de son corps. Sans être particulièrement hypertendue, des déchirures apparaissaient dans la peau comme autant de fissures dans un mur qui se lézardait sous une contrainte trop forte. Elle gémissait avec plus d'impressions de brûlures que de froid désormais. Les ambulanciers ne savaient pas quoi faire ; le sang sortant de trop d'endroits à la fois.
Mais quelque chose de plus incongru arriva. L'implant frontal de Prume prit une teinte noirâtre, comme si le diamant se colorait, et un instant plus tard du sang gicla de l'interstice éclatée entre le diamant et le crâne. Prume hoqueta sans comprendre ce qu'elle sentait tenter de s'échapper brutalement de sa tête. Les infirmiers l'attachèrent au brancard avec les bandes de mousse pour stopper ses agitations et la mirent sous diverses transfusions de tout le sang compatible dont ils disposaient, Prume en répandant de partout. Ils entreprirent de changer les pansements de tout son corps en serrant le mieux possible. Prume gémissait sans cesse en se tordant, suintant son sang.
A l'hôpital, ils l'emmenèrent en urgence en salle de soins intensifs. Les vêtements de Prume avaient été jetés depuis longtemps, elle était presque entièrement couverte de bandes devenant roses. En quelques minutes, les ambulanciers étaient parvenus à bander l'ensemble de son corps, mais le sang continuait de suinter et Prume avait perdu connaissance. Entre la douleur des déchirures et le manque de sang, elle n'avait pas pu rester éveillée plus longtemps.
Les chirurgiens arrivés entreprirent une opération particulièrement longue. Pourtant ce n'était pas une transplantation cardiaque ou pulmonaire. Ils commencèrent tout d'abord par examiner certains détails. Si les vaisseaux sanguins avaient éclatés, simplement éclatés en masse, elle était perdue. Si ce n'était que l'épiderme qui était couvert de coupures et déchirures, ils pouvaient probablement les guérir et donc l'aider. Leur rapide diagnostique révéla des pressions sanguines aberrantes en certains points, provoquant les déchirures. C'était des effets très localisés, et la majeure partie de la peau n'avait rien subie, mais les déchirures pouvaient évoquer des lignes de Blaschko sur certaines parties de son corps. Les déchirures ne dessinaient cependant pas des courbes sur le torse mais principalement des lignes verticales.
La partie longue de l'opération fut finalement abordée. Ils entreprirent de désinfecter et sceller toutes les plaies avec une pâte particulière. Chaque plaie saignant devait être soigneusement engluée par cette pâte bleue, qu'ils utilisèrent en grandes quantités, puis recousue, puis recouvert de nouveau. La pâte était un composé organique artificiel, très neutre pour le corps humain, qui aidait à restaurer la circulation et les cicatrisations. Et si du sang s'échappait encore ou que la plaie se rouvrait, cela permettait de maintenir les tissus et les composants du sang dans un environnement qui diminuait leurs pertes, la plaie étant englobée dans cette matière.
Une fois toutes les plaies, aussi petite fussent-elles, méticuleusement crémées et resserrées ; ainsi que le reste du corps lavé ; plusieurs heures étaient passées. Ils lui avaient également nettoyée la gorge et les sinus où du sang s'était accumulé. Enfin, ils la couvrirent une nouvelle fois de bandages propres et la mirent dans une chambre stérilisée et sous surveillance d'un infirmier. Son état était trop grave pour être laissée sans surveillance ; et en consultant son dossier médical, les médecins avaient choisi de prendre ces précautions, en plus de comprendre avec stupeur ce qui avait dut provoquer cette crise.
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Ce soir du neuf mai, les chirurgiens avaient compris l'origine de cette crise si grave en terminant l'opération de Prume. La médication qu'elle avait prit durant des années était bien trop lourde et dangereuse pour une enfant qui ne pesait pas encore vingt kilos, masse relativement faible par ailleurs. Ils allèrent trouver le médecin qui avait prescrit des telles choses pour l'incendier. Ils le convoquèrent finalement à un tribunal médical pour faute médical grave.
Trois jours plus tard, Éloïse fut priée d'assister au procès en tant que victime indirecte, dans son cas cela signifiait représentante de la victime, Prume, qui ne s'était pas encore réveillée. Elle n'avait pas voulue y aller, l'état de sa fille étant encore jugé instable. On lui assura de l'importance de la situation, sans vouloir s'attarder encore sur les dangers que les décisions du tribunal pouvaient répercuter sur sa fille, elle fut priée d'y aller. Éloïse avait fait confiance à un médecin de famille qui avait peut-être fait une erreur grave concernant Prume, et était jugé pour cela par ses confrères.
Éloïse avait acceptée finalement, mais se retrouva accompagnée dans une salle adjacente à celle du tribunal, derrière une vitre teintée. Éloïse ne pouvait pas directement intervenir, et les gens de la salle ne pouvaient pas directement s'adresser à elle. Cela permettait d'éviter que des débordements n'aient trop de répercussions sur l'une ou l'autre des deux parties.
Ce tribunal constitué de docteurs et chirurgiens uniquement, déciderait si l'accusé pourrait conserver son statut de médecin. On reparla donc de l'état de Prume dans le passé, ils reparlèrent de chaque évènement connu. Ses insuffisances immunitaires, son hyper allergie ayant provoquée un œdème cérébral, son insolation ayant provoqué le ; et enfin cette dernière anomalie où elle avait failli se vider de son sang. Il lui avait été diagnostiqué une sclérodermie accompagnée d’un déficit important en facteur huit de coagulation du sang. Avec le déficit en hormone de croissance déjà manifeste, ces nouveaux symptômes relevaient très certainement d’une maladie auto-immune. Peut-être bien la même qui l’affligeait déjà, mais tout n’était pas encore déterminé.
Le traitement qui avait été préconisé alors que l'enfant n'avait pas encore quatre ans revint régulièrement dans la discussion, étant le cœur du problème. Avait il était globalement plus néfaste que bénéfique ? Laissait-il un espoir de survie à la gamine ? La santé générale de Prume étant cependant délicate à appréhender, les avis restèrent tout d'abord mesurés.
Le médecin accusé soutenait avec une lassitude naissante avoir voulu préserver la vie de l'enfant le plus possible, en gardant espoir sur la possibilité de durée ; tout en espérant un peu aveuglément pouvoir diminuer le traitement au fur et à mesure qu'elle grandirait et se renforcerait... On lui reprocha de ne pas avoir prévu l'effet d'accoutumance et même de mithridatisation pour des drogues aussi puissantes sur un enfant si jeune. Sans parler d'effets secondaires nocifs, ils n'omettaient pas de rappeler le fait qu'à ces doses, les effets auraient même pu s'inverser.
Laissant temporairement la conclusion de ce sujet pour plus tard, ils réfléchirent aux nouveaux soins qu'il fallait prodiguer à Prume. Les avis différèrent, et il leur fallait s'accorder. En hommes cultivés et éduqués qu'ils étaient, le débat se déroula dans le plus grand calme, chacun écoutant attentivement l'autre. La parole faisait le tour de la table, et la ferrait autant de fois que nécessaire. Le scribe chargé de noter l'essentiel de la discussion, l'intitula comme un résumé du colloque sur le traitement et suivi médical de Prume Gains, fille de sept ans et demi. Le résumé devint rapidement long. Les avis étaient très partagés.
Pour donner une base, le médecin accusé, accepta de camper sur sa décision quoi qu'il advienne, en considérant que son traitement ne devait pas changer. Cette attitude très in-professionnelle à priori, de rejeter toute idée d'erreur, permettait en fait au débat d'avoir des bases réelles. Quoi qu'il ait pu penser, il jouerait le mauvais rôle autant que nécessaire, cela faisait partie de ses obligations du moment.
Certains considéraient que les défenses et résistances du patient étant anéanties, il fallait donc les régénérer progressivement, en commençant par un séjour en salle blanche et des entraînements progressifs et précis. C'était un traitement sur long terme qui, selon eux, devrait sans doute pouvoir la guérir, et au moins la renforcer. Cette idée permettait aussi que d'autres approches restent abordable à tout moment. D'autres préconisaient en premier lieu un sevrage progressif aux drogues utilisées, puis une médication plus adaptée au patient, car elle avait accumulée des produits particulièrement lourds, et son organisme en souffrirait encore des années très certainement.
Il y avait des avis mitigés, beaucoup d'hésitations. Tous étaient conscients que la dernière crise l'avait presque tuée, et que sans le réflexe de sa sœur elle serait certainement morte en route pour le médecin ou l'hôpital.
La vie de Prume ne tenait plus à grand-chose et ils n’avaient pas le droit à l'erreur. Entre expositions et médicaments, les idées évoquées avaient toutes une part importante de risques, et ils n'avaient certainement pas le droit de réfléchir très longtemps. Ils ne savaient pas quoi choisir.
Après plusieurs heures de débats, ils relevèrent l'accusé de sa fonction de médecin jusqu'à nouvel ordre, en attendant de revenir conclure une fois prochaine. Éloïse alla voir Prume aussitôt cette perte de temps terminée.
Elle était allongée sur un lit, complètement momifiée, de nombreuses électrodes médicales accrochées un peu partout, sous transfusion et respirateur. On ne pouvait pas distinguer de peau, à peine les cheveux qui étaient sous un plastique. Six écrans divers donnaient des rapports permanents sur des valeurs clefs de son état. Éloïse se contraignit à rentrer après l'avoir observée encore une fois au travers de cette baie vitrée désespérante. Elle laisserait Elyne dormir une nouvelle fois chez Maya.
Ces débats médicaux où le patient était sa fille l'avaient épuisée. Ce qu'avait eu Prume semblait bien résulter de son état habituel, combiné à un état proche d'une overdose critique de produits dont l'effet pouvait changer brutalement du tout au tout. Le résultat en avait été très impressionnant ; particulièrement sanguinolent exactement. Les médecins reconnaissaient dans ce phénomène que Prume avait subi une sclérodermie particulière. Ce terme n’aida pas vraiment les membres de sa famille à surmonter ce qui était arrivé ; en voyant Prume se vider littéralement à leurs pieds...
Jusqu'à ce que son état soit considéré comme stable, dans la salle blanche, la quantité de sang qu'elle avait reçue en transfusion avait dépassé les quatre litres. Elle serait morte exsangue si elle n'avait pas été prise en charge assez rapidement...
Le lendemain, Éloïse resta chez elle. Elle n'alla pas à la conclusion du tribunal, elle avait besoin de se reposer, pas de voir et écouter ce débat... Elle n'apprit donc que plus tard que le médecin accusé avait finalement été destitué ; et ne pourrait plus jamais être leur médecin de famille, ni médecin pour quiconque à part lui-même. Quant au nouveau traitement de Prume ; le débat devait continuer encore pour une autre session.
Pour améliorer leurs discussions et envisager d'autres possibilités, ils prirent les avis écrits de tout le personnel médical de l'hôpital. De nombreuses idées s'avéraient forcément irrecevables et naïves ; mais le tri était rapide, et les dernières feuilles leurs ouvrirent de nouvelles possibilités auxquelles ils n'auraient pas forcément pensés aussi vite.
Les rapports du matin indiquaient que l'état du patient était apparemment stabilisé ; et que les déchirures commençaient leurs guérisons plus en profondeur. Une des idées qu'ils lurent était déplaisante mais était la moins risquée, bien qu'ils ne puissent pas vraiment la considérer comme une solution. Cette idée était simple ; c'était la salle blanche à vie.
Malgré le temps qui passait, aucun membre du tribunal n'abandonna tout espoir de guérir le patient, ils rejetaient tous cette solution facile pour différentes raisons. Cependant, même si les avis évoluaient, ils ne s'accordaient toujours pas. Ils gardaient à l'esprit le risque que désormais le moindre traitement risquait de la tuer ; que même les plus pacifiques des médicaments comme de faibles antalgiques présentaient un risque important de l'achever.
On convoqua un chercheur de la Santé pour envisager la fabrication de produits doux, sans pour autant être des placebos. La Santé envoya le docteur Coppelnheart qui était apparemment déjà renseignée sur le sujet. Prume était la fille de son amie, elle avait demandée à se charger de cette affaire. Samanthine découvrit donc le dossier médical réel de Prume, présentant des informations pas toujours vraisemblables vis à vis de l'enfant qu'elle connaissait.
Son avis était plutôt défavorable à ces médicaments légers fabriqués sur mesure. Même si les molécules étaient moins nombreuses, leurs effets seraient les mêmes. Une allergie n'était pas un phénomène quantitatif mais qualitatif, sinon c'était de l'intoxication. Ce qui n'était pas non plus impossible...
Sur l'ordre de Coppelnheart, un médecin préleva quelques cellules du patient et fit analyser son génome. Le caryotype se révéla normal, mais le résultat de l'analyse génomique que l'ordinateur donna de prime abord fut simple ; le patient était inapte à vivre. Après vérification, l'ordinateur ne se révéla pas en panne ou pris d'une soudaine crise de pessimisme, il allait falloir examiner plus en détail. La sois disant mort-née ayant déjà fêtée sept anniversaires ; il y avait une erreur quelque part. Il fallait trouver où.
Une analyse du relevé génomique pris à la naissance du patient fut extrait d'une archive ; examiné, puis comparé à ce dernier relevé prétendument sorti d'un organisme incapable de vivre.
Le génome du patient à sa naissance était plutôt normal, les risques majeurs étaient de stérilité et d'un vieillissement un peu prématuré qui était hérité de la mère. Les deux analyses à sept ans et quelques mois d'intervalle donnaient des résultats bien différents ; mais l'ordinateur ne le voyait pas ainsi ; lui considérait que ces deux analyses provenaient de personnes différentes.
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