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Solaris Ikizkuz Kardesler  作者: 蕤
Solaris
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Prologues

Prologues



Mar- Tu ne vois pas le monde tel qu’il est, mais tel que ton corps est capable de le percevoir, et tel que tu es capable de l’interpréter. Ton cerveau, ta culture, ton intelligence, tes connaissances scientifiques, tes croyances, ta psychologie, ta foi. Tout ce qui te définit change ce que tu es capable d’interpréter et comment tu l’interprète. Ce que tu es, définit aussi la réalité que tu habites.


Mar- Il y’aura toujours des faits que la science pourrait t’expliquer, qui t’apparaitront comme magiques. Tu perçois des éléments ponctuels de l’univers. Ton interprétation de la réalité est la façon dont tu choisis de relier ces points que tu perçois, d’une manière qui t’est cohérente. Et il y’aura toujours quelqu’un pour trouver une interprétation qui ne s’accorde pas avec la tienne.


Mar- Tu choisiras de croire ce que tu préfères croire. La réalité n’est que ce que chacun croit qu’elle est.



~


- Le monde


La planète Terre ressemble à un être vivant sur certains détails. De sa formation jusqu’au présent, elle n’a cessé de changer. Même si à l’échelle de l’existence de la planète, l’humanité n’est apparue que dans les plus récents instants, cette espèce est un aspect de la vie de la Terre désormais.

L’histoire de la planète continuera bien après la fin de l’humanité sur sa surface.


Même si les actions humaines devaient parvenir malheureusement à raser toute la biosphère et amener un climat planétaire semblable à celui de Vénus, en tant que corps céleste, la Terre continuerait sa vie dans l’espace. Et quelques bactéries également.


La conscience de l’humanité lui a permis de se développer, et de comprendre son monde avec une profondeur inouïe. L’humanité a réalisé que son monde changeait, de son fait notamment, mais également que l’univers entier évoluait d’une certaine manière depuis ses origines.

Le monde est en changement constant, même si à l’échelle humaine, c’est insensible.


Les lois de la physique ont des domaines de validité au sein desquels elles sont fiables et à priori immuables, à notre échelle. On ne s’attend pas à voir la charge de l’électron ou la masse du neutron changer avant un temps qui dépasse notre entendement. Les réalités de la physique, ses lois, évoluent à une échelle bien supérieure à celle du monde, elle-même évoluant à une échelle bien supérieure par rapport à la vie humaine.


Nous ne verrons pas le Soleil exploser. Nous verrons encore moins les réalités physiques de l’univers changer.


Et pourtant


Un jour le monde a changé. Brusquement.

Un cataclysme invraisemblable a amené l’humanité au bord de l’extinction et irrémédiablement changé la biosphère terrestre.


Malheureusement, il restait trop peu de physiciens pour réaliser que derrière ces évènements, c’étaient des minuscules changements dans les lois invisibles de la physique qui avaient eu lieu, à l’échelle quantique.




Plus que toute autre espèce, l’humanité a grandement contribué à modifier la surface de la Terre. Cette espèce est parvenue à outrepasser ses instincts et ses limites biologiques, pour continuellement enrichir sa culture et ses savoirs.

Celle qui à continûment persévéré dans l'amélioration de la transmission de ses connaissances. Cette espèce parvint à créer une mémoire trans-générationelle supplémentaire à celle de son héritage génétique.


Cette humanité a cherché à créer son bonheur, défini d’une manière ou d’une autre selon les époques et les gens.


Les polémiques autour des religions et entre elles n’avaient toujours pas cessés à l'aube du dernier jour.

Un 18 Janvier. Le sang avait commencé à couler comme la veille. La mort, égalitaire, ce jour-là eut un sursaut inexplicable d’activité.

La quasi-totalité de la population terrestre périssait ce jour-là, sans que rien de simple ne puisse immédiatement l’expliquer.


Une ville ou deux furent entièrement épargnées, la seule certitude étant pour la ville merveilleuse, qui ne remarqua même pas les évènements et abrita ensuite la majorité de la population mondiale.

Le reste du monde fut balayé en quelques heures par une série chaotique d’évènements improbables et tragiques. Des éruptions, des raz de marées, des inondations, des désastres climatiques de toutes sortes, des catastrophes naturelles et artificielles. Tout ce qui était imaginable, et plus encore, qui pouvait arriver spontanément, arriva. D’innombrables armes nucléaires disséminées de par le monde explosèrent spontanément. D’innombrables zones d’activité géologique eurent de violents sursauts, entrainant tout ce qui en découlait. D’innombrables microorganismes de tous genres se sentirent pousser des ailes et dévorèrent un monde soudainement accessible.


Nul dieu n’avait revendiqué ce jugement. Plus étonnamment encore, il n'y avait eu aucune prophétie humaine sur ce jour de la fin des temps. Aucune civilisation ne revendiquerait la chose non plus, et l’humanité n’avait pas eu les moyens de provoquer une telle disruption de la physique. Ce qui avait pu contribuer à provoquer un tel évènement demeurait globalement un mystère.

Mais les interrogations sur le passé furent très rapidement mises de côté. Le cataclysme brutal s’était rapidement terminé. Les survivants eurent ensuite à découvrir une nature qui avait profondément changée, et tentèrent de survivre dans un monde nouveau qui ne leur était plus aussi logique et compréhensible qu’autrefois.

Les soucis du présent enterrèrent rapidement et sûrement les doutes concernant le passé.

Certains survivants vécurent de terribles expériences dans les ruines fantomatiques d’un monde détruit en moins d’une journée.

Quelque chose avait clairement changé autour d’eux et corrompu le sens même de la vie. L'essence la plus profonde du vivant avait été bouleversée par cette hécatombe, ou plutôt par ce qui l’avait provoqué.


La science aime la causalité, que tout événement arrive parce qu’un autre événement l’a provoqué. Ce principe est tout aussi absolu que démontrable. Mais pourtant il s’appliquait bien pour cette hécatombe. Ces morts par milliards étaient bien réelles, et l’origine de ces bouleversements était concrète.

Concrète, mais inconnue de la ville épargnée comme des autres survivants. Et pour des raisons différentes, ni la première ni les autres ne s’en soucièrent beaucoup.


Ceux qui cherchèrent des réponses ne dépassaient par la dizaine au cours des trente années qui suivirent ce changement de calendrier. De ceux qui suivirent des présages fous et partirent en quête insensée de vérité, on ne revit personne revenir d’où ils avaient commencés leurs folles aventures.


Tous avaient sans doute rejoint les trépassés du cataclysme dans le ventre du monstre invisible qui avait consumé beaucoup d'espèces ce jour-là. Car l’être humain avait peut-être bien frôlé l’extinction, mais même sans la ville merveilleuse, il aurait survécu.

Des survivants vivaient encore de ci de là, dispersés sur la grande sphère. Cependant, ils étaient si rares et dispersés, que l'espèce était très certainement promise à l'extinction sur la Terre. Dans la ville, il n’y avait pas vraiment d’inquiétude.


De nombreuses espèces animales furent aléatoirement ravagées par le même malheur. La majorité des espèces d’oiseaux furent amenées au bord de l’extinction mondiale. Il en allait de même pour la majeure partie des mammifères, des poissons et particulièrement des insectes.

Les reptiles étaient généralement moins proches de l’extinction, mais avaient également bien été mis en danger. Etonnamment le genre infiniment plus vaste des insectes ne s’en était pas sorti le mieux. Globalement, la faune mondiale avait été réduite à ses limites. Les prochaines décennies allaient être déterminantes pour l’ère du vivant et son basculement éventuel vers un nouvel âge, possiblement dénué d’animaux.


Les animaux survivants, projetés comme les humains dans un nouveau monde incompréhensible firent de leur mieux pour s’adapter et survivre. Certains n’y parviendraient pas. D’autres s’y trouvaient mieux qu’avant. Des poissons changèrent leurs habitudes pour remonter des cours d’eau, certaines espèces de mammifères se mirent à coopérer, et des crocodiles se mirent à migrer au travers des océans. Beaucoup de migrations invraisemblables se mirent en marche au cours des années qui suivirent le bouleversement. Malheureusement, personne n’était là pour les observer.


Les animaux eux-mêmes ne comprenaient pas forcément les raisons derrière leurs propres comportements, mais ils agissaient et ils s'adaptaient. Ils survivaient, et ils allaient continuer d'évoluer.


La flore avait réagi différemment. La quasi-totalité des espèces végétales et fongiques du monde fut apparemment épargnée par les changements initiaux. En réalité, s’il n’y eu pas de changement clair dans la mortalité immédiate, il y eut un bouleversement global des comportements.

La plus grande majorité des végétaux entra dans une ère étrange où le temps semblait s’enliser. Les comportements ralentissaient à l'extrême, et pire encore, les sautes involontaires se corrigeaient. Une branche cassée se devait de repousser à l'identique désormais, tandis que la partie tombée se devait de disparaître rapidement.


Malgré les années, la majeure partie des champs sans propriétaires ne se couvraient pas de mauvaises herbes ou de ronces. Presque tout le règne végétal, comme pétrifié par ces événements, ne bougeait plus. Les saisons passaient, mais le temps n’avait plus d’impact et les décors étaient devenus pratiquement immuables.


Malgré près de trente ans d’absence d’entretien, les paysages où les survivants ne vivaient pas n’avaient pratiquement pas changé. Les feuilles mortes se décomposaient tellement vite qu’elles semblaient fondre, et disparaissaient maintenant dans la terre comme si elles ne l’avaient jamais effleuré. Le bois coupé ne devait plus être laissé à sécher en extérieur, ou il pourrissait à très grande vitesse également.

Au grand soulagement des survivants, les fruits repoussaient encore chaque année et les arbres abattus repoussaient presque normalement, et à l’identique. Les coupes repoussaient donc rapidement.

Mais le fait que les plantes cherchent à se maintenir à tout prix dans leur état actuel avait une terrible contrepartie ; créer de nouvelles terres cultivées devenait extraordinairement difficile. Les plantes ne cherchaient généralement pas à se propager au-delà ce qu’elles avaient été au jour du cataclysme, et il était devenu anormalement ardu de créer de nouvelles pousses et plants.


La nature semblait être entrée dans une sorte d’âge de glace invisible. Elle laissait les ruines des villes pour ainsi dire comme au jour du drame, plutôt que de les couvrir et les faire oublier. Seules les poussières, certains champignons et mousses essayaient de cacher ces ruines d’une vaste société qui n’était pas préparée à une si soudaine extinction.

Les villes et ruines qui n'avaient pas été oblitérées ou enterrées restèrent donc vides ; la nature ne cherchant pas à reprendre ses droits.


Était-il envisageable que l’espèce humaine, ayant par la science, réussi à s’affranchir de la nature, soit en une seul journée, anéantie, par un phénomène qui, fut il compréhensible, n’en restait pas moins entièrement inconnu ? Un phénomène qui au final devait se révéler naturel, puisque aucune civilisation ne l’avait revendiqué, ni n'en avait même fondamentalement eu les moyens.




- La ville merveilleuse


Bien avant la catastrophe entrainant une remise à zéro du calendrier par les survivants, une ville très particulière avait été construite.


Si l’humanité avait de tout temps tenté de créer son paradis, hors du temps et des contraintes de la vie sur Terre, c’était avec cette ville qu’elle s’était le plus rapproché de son rêve.


Est-ce que cela avait été la poursuite d’une chimère inutile ?

Pour de nombreuses personnes lors des débuts des chantiers, et même des concepts initiaux de la ville, son projet était une mégalomanie pharaonique. Des polémiques fortes et des conflits naquirent autour des prémices du projet. Avec le temps ils s’amenuisèrent et au fil des générations que dura le chantier, ils disparurent.


Au terme de générations d’efforts et prouesses technologiques ce monument de science-fiction fut réalisé. C’était bien plus qu’une simple ville.


C’était l'accomplissement des plus grandes prouesses dont l'humanité avait été capable, forte de plus de dix millénaires d'histoire. Cette ville était la plus merveilleuse, la plus aboutie que l'espèce humaine ait pu concevoir.


C’était une ville capable de vivre entièrement seule, en autarcie illimitée.


Les connaissances scientifiques les plus formidables furent requises pour la créer, mais pas seulement. Son financement ne fut possible qu’en abandonnant le système économique mondial du passé, dans la seule fin de cette création. Comme l’ancien système avait atteint les limites de ce qu’il pouvait permettre, pour l’évolution de l’humanité et l’emploi de ses technologies les plus impressionnantes ; il céda sa place à autre chose.


Une économie mondiale différente fut fondée pour fabriquer une ville plus riche que le monde entier des années précédentes.

De par sa stature, par son architecture invraisemblable et ses technologies nécessaires embarquées, on parlera d’accomplissement de l’industrie et de la technique jusqu'à son paroxysme.


On parlera aussi un temps d'une mégalomanie inégalée, et du reflet d'un comportement instinctif qui n'avait peut-être jamais été dépassé.


La ville n’allait pas être parfaite. Elle aurait quelques lacunes dans son architecture, des zones vides, des zones d’ombre, des ratés et des failles. Mais elle allait disposer de tout le pouvoir, toute l’énergie et tout le savoir nécessaire à sa vie durant de très longs siècles.


Une population invraisemblable passa toute sa vie et carrière sur ce titanesque chantier. Les fondations de la ville étaient enfoncées sur plus d’un kilomètre de profondeur dans un haut plateau rocheux très dense. Ses toitures les plus élevées dépassaient de plus d’un kilomètre également ce plateau, dépassant de loin les niveaux nuageux courants de la région.

Enfin, son sol n’était pas celui de la Terre. L’humain quittait pour la première fois la Terre à jamais. Préférant vivre dans ce vaisseau céleste plutôt que sur un sol que toute créature terrestre connaissait, le sol de la ville était une part de l’architecture construite. L’humanité s'émancipait là d'un aspect primordial de la vie qui l'avait accompagné depuis la préhistoire.


Le ciel de la ville merveilleuse était artificiel. De gigantesques dômes couvraient chaque quartier. Ceux-ci étaient généralement transparents mais pouvaient au besoin, et sans qu’aucun œil humain ne puisse le remarquer, faire apparaître un faux ciel. L'intérêt principal était d'empêcher que ne soient aperçus les drones de nettoyage pour le côté extérieur, mais permettait aussi occasionnellement l’affichage d’informations ou de spectacles.

Du côté intérieur, le climat était entièrement contrôlé. Cette ville complètement fermée sans le laisser paraître était parfaitement maitrisée par ses concepteurs et futurs occupants, sous le moindre de ses aspects. L’humain avait créé sa planète paradisiaque. Sans froid excessif, sans désert aride, sans famine ou manque d’eau, sans tempêtes destructrices. La ville pouvait vivre en autarcie complète, et ne s'en priverait pas. Elle avait été conçue pour cela.


Ses réserves n’étaient que de formidables fermes, champs, usines, élevages, industries et centres de recyclages. Un adage aussi simple que «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme» est en réalité aussi difficile à prouver qu’à mettre en œuvre à telle échelle.

Cette ville merveilleuse y était parvenue. Elle pouvait même faire vivre dix fois plus de créatures vivantes qu’elle n’en accueillait.


Dans les fondations de cette architecture d'envergure unique, tout avait été prévu. A l’opposé des dômes, les fondations de la ville s’emmêlaient dans un dédale fractal de souterrains remplis de tout ce qui pouvait être utile au fonctionnement global. Des cultures végétales aux accélérateurs de particules et réacteurs de diverses catégories, tout était dans ces dômes inversés, sous les habitations. La surface de la ville était l’aspect superficiel, quand la base était l’ensemble de ses organes vitaux, protégé dans cet immense squelette structuré dans le plateau rocheux.


L’être humain avait définitivement prouvé sa supériorité sur la Terre entière quand naquirent les premiers enfants de cette ville. Cette ville prit un nouveau calendrier dont l’an zéro fut l’année de la mort du dernier habitant ayant jamais foulé le sol terrestre du chantier. Il était vieux, il avait été jeune, mais comme ses parents, et ses grands-parents avant, il n'avait connu que l'immense chantier de la ville.


Cet an zéro coïncidait avec un autre. Car quand la ville perdait son dernier ancien, quelques jours plus tôt, sur le reste du monde, c'était le jour du cataclysme.


Ce jour marqua un changement important dans l'histoire de la ville. Un changement qui comme d'innombrables autres aspects ne pouvait pas être entièrement appréhendé par ses occupants.

Avec cette mort, la dernière personne qui aurait pu connaître la vérité sur le monde extérieur et la situation de la ville disparaissait. L'histoire véritable était irrémédiablement perdue à partir de ce moment. Car dès le premier jour où les habitants emménagèrent, et même très certainement depuis bien des années auparavant, l'histoire avait été remaniée pour servir les fins de la ville, et le bonheur des habitants.


Cette histoire remaniée avait pour but implicite principal d'empêcher l'envie de sortir de la ville. Le conte concocté savamment à cette fin principale utilisait des éléments simples, et tous expliqués.

Des virus. Le conte expliquait même une association mutualiste de plusieurs virus, pour un résultat décrit qui s'approchait quelque part de ce que le cataclysme engendrerait plus tard, bien des années plus tard. Les virus auraient pratiquement éradiqué l'humanité. Ils avaient cependant mis suffisamment de temps pour que les plus braves des survivants parviennent à terminer de fabriquer la ville. Il y avait des détails intéressants et plausibles, d’autres étranges, des virus avaient bien été étudiés dans le passé, des armes biologiques créées par l’humain comme par la nature, mais les origines globales étaient floues. Le plus important était que la menace reste plausible, ses débuts et origines n'étaient pas essentiels. L’important était de maintenir l’isolation.


L’extermination de l’humanité réelle, ils ne l’avaient pas prévue, mais elle les aurait arrangés, s'ils l'avaient seulement sue. Ils auraient pu envoyer des drones observer un peu les terres désolées du monde, voir envisager une reconquête. Ce ne fut pas le cas. Ils n’ouvriraient jamais leurs portes pour retourner sur Terre. Le sol de la planète n’avait rien à leur offrir que leur ville n’avait déjà. Pourquoi auraient-ils eu la moindre envie d’y retourner ?


Sans que les habitants ne s’en rendent compte, l’histoire pour garder les portes de leur rêve fermées, avait pris une tournure réaliste. La réalité avait tragiquement rattrapée la fiction de la ville. Ses habitants l’ignoraient totalement, ils ne parlaient naïvement pas de l'histoire passée.

Le meilleur aspect de ce conditionnement étant que si les habitants n'en parlaient jamais, ce n'était pas par la crainte d'un système oppressif, mais tellement plus simplement qu'ils n'en avaient aucune raison. Tout allait bien au paradis, pourquoi auraient-ils eu la moindre envie de perdre du temps sur des questions futiles ?


Que ce soit des aspects sociaux ou politiques, de tout ce qui touchait aux origines de la ville ; de ce qui se rapportait à la situation générale de la Terre et de l'histoire des précédents siècles ; ces questions ne présentaient que trop peu d'intérêt pour que l'on s'attarde sur les éventuelles réponses. Certains s'y intéressaient, mais peux, et ils n'avaient pas le pouvoir de trouver quoi que ce fut.


Les virus étaient là, ils existaient, dans l’imaginaire collectif, et condamnaient l'humanité à vivre dans la ville. Cela s'acceptait aisément et s’oubliait aisément, la ville étant si agréable. Ils retournaient donc rapidement à la réalité, aux choses importantes et plaisantes de vies humaines heureuses. Ces choses importantes qu'étaient le présent et son propre futur. Pour les habitants de la ville, leurs loisirs et leurs activités qui étaient associés à leurs vies professionnelles étaient suffisamment absorbantes pour qu'ils se désintéressent des détails si lointains de leurs existences.


Inconsciemment, les habitants avaient compris que perdre leur passé était une étape nécessaire à la pleine jouissance de leurs vies. Le dernier natif de la Terre disparu, plus personne ne pouvait plus parler du passé, ce jour changeant le mensonge de l'histoire en une sorte de douce vérité acceptée.

Leur ville merveilleuse avait fermé ses portes depuis déjà si longtemps, et s'était totalement coupé du monde. Et ainsi le bonheur éternel qui s'y était installé pouvait sereinement y durer. L’humain avait définitivement gagné contre la Terre, en s’empêchant même d’y retourner. Ils vécurent heureux à jamais…


Le temps passait. La ville paradisiaque ne changeait pas. Les gens y naissaient, vivaient et mourraient, heureux d’avoir vécu dans ce paradis. Un bonheur sans fin s’écoulait paisiblement entre ces murs phénoménaux.


Les habitants n’avaient même pas à s’inquiéter pour la politique. Tout était pratiquement parfait, et rien n’avait donc besoin d’évoluer beaucoup. Il n’y avait donc pas réellement de pouvoir qui dirigeait la ville. Les travailleurs obéissaient docilement à leurs supérieurs dont les fonctions avaient évoluées d'un aspect décisionnel à un autre plutôt coordinateur. Eux même suivaient les directives du gouvernement dont le rôle était similaire. Les décisions à tous les niveaux avaient été suffisamment prévues et étudiées au cours de la conception de la ville, par les plus brillants esprits humains et artificiels, pour qu'il n'y ait plus qu'une routine à surveiller. Sans pour autant s'amputer de capacités de réflexion et d'adaptation en cas d'imprévus, ces qualités n'avaient plus besoin d'être mises en avant.

Tous ceux qui travaillaient au gouvernement n’avaient pour ainsi dire qu’un seul objectif, une seule obligation, veiller à ce que tout se passe perpétuellement bien. Le seul facteur sujet à variations était pour ainsi dire l’humain, tout le reste étant l'aboutissement devenu parfait d'une civilisation multi millénaire et de sa science.


Dans cette ville formidable, les drames ou événements tragiques étaient vite consolés, et en quelque sorte, vite réparés. Par des proches attentifs, des gens sensibles, des concitoyens aimants. La vie humaine étant ainsi faite, certains étaient fous, c'est à dire moins dans certaines normes que d'autres ; d’autres étaient gentils, d’autres colériques. Les accidents arrivaient toujours, mais cette société avait appris à s’harmoniser avec ces réalités dont se défaire aurait été inhumain. Les malheurs étaient fondamentalement acceptés, et surmontés.


Cet aboutissement scientifique et philosophique avait appris à son peuple que la mort était une partie intégrante, même vitale, de la vie. Le refus, souvent naturel, de la mort ne la rendant qu’inutilement plus douloureuse aux vivants. Ce peuple avait perdu tout lien avec la Terre, mais était très lié en lui-même, par ses membres entre eux. Par sa propre existence, et sa conscience collective, ce peuple était quelque part dans une réalité plus concrète et plus équitable. Cette société entièrement fabriquée par l’homme avait adoucie les aspects désagréables de l'existence pour un animal appelé humain, et accepté ceux inchangeables. Ils étaient arrivés au summum de ce que l'évolution des sociétés pouvait apporter à l'humain... Tout du moins, ses habitants d'alors le pensaient.


Outre la liberté évidente de faire le travail que la majeure partie des habitants avait choisis d’elle-même, chacun profitait des loisirs qu’il lui plaisait. La vie y était sans risque sensible autre que des accidents d'origine humaine ; le monde les entourant étant simplement parfait. Mais le fait que le danger ne puisse pour ainsi dire provenir que des semblables ne rendait pas pour autant quiconque paranoïaque. Comme pour la mort, les dangers liés à l’existence étaient acceptés. Les drames étaient compris.


Les responsabilités envisageables en cas d'accident ou de drame étaient étudiées avec équité. L'organe surnommé de façon désuète pouvoir judiciaire n'était plus que l'ombre de ce qu'il avait pu être dans d'autres cultures, des cultures terrestres. Le théâtre et les jeux de loi n'étaient plus. La justice de la ville ne punissait pas, et s'occupait simplement de rendre une justice équitable.

Le système judiciaire était en plus grande partie psychologique qu'autre chose. Et l'aspect répressif n'existait plus. Il n'y avait pas de prison dans la ville, nulle part.


La liberté des habitants était presque parfaite, la ville ayant été conçue pour cela, mais peu parmi les habitants qui y étaient nés pouvaient apprécier à sa juste valeur la grandeur de l'œuvre accomplie. Ces habitants-là ignoraient à quel point les architectes avaient fait des miracles, enchainés les prouesses, sous tous les aspects possibles de la réalité et de la condition humaine civilisée. Les bords de la ville donnaient le paysage infini d'une mer brumeuse, blanchâtre, céleste. Ils se contentaient de la trouver belle, sans se rappeler le plus souvent, que le sol réel, était sous leurs pieds, bien loin sous cette mer. Ceux qui avaient connus le vrai sol de la planète Terre l’avaient oublié bien vite. L'époque qu'ils avaient connu, le monde qu'ils avaient quitté, ils n'allaient pas le regretter une seule seconde.


Rapidement perdus dans leurs bonheurs, tant rêvés, tant mérités, ils n’avaient aucun intérêt à se rappeler de l'ancien monde. Rien n’allait les y inciter. Le système éducatif de la ville pouvait offrir le bonheur, un bonheur sans contrecoup ultérieur, mais aussi la liberté de profiter à sa guise de ce bonheur.

Les enfants pensaient donc plus à jouer que s’interroger.

Les adultes accordaient aisément plus de temps aux loisirs qu’aux débats.

Les vieux donnaient les plus grandes part de leur temps aux plaisirs, plutôt qu’aux remises en question…


On oubliait la Terre, et tout ce qui s’y était passé au cours de l’histoire et plus particulièrement la précédente période noire. La ville merveilleuse n’était plus tournée que vers son avenir doucereux.



- Quant à elle,


La ville merveilleuse avait apparemment été miraculeusement épargnée par les changements affectant le monde extérieur. Les changements n’avaient pas été aussi soudains et brutaux qu’à l’extérieur, mais ils eurent lieu également, à leur rythme. Ils étaient insensibles, imperceptibles, mais bien réels.


Un être en particulier était né avec une réceptivité forte à cette nouvelle réalité. Par hasard ou par malchance, cette vérité qu’elle ne réaliserait pas avant d’être adulte lui serait une véritable malédiction toute sa jeunesse durant. Avant de comprendre la réalité, il fallait déjà y survivre. Elle n’y parviendrait qu’au terme de souffrances inqualifiables.

Elle allait devoir lutter contre une indescriptible soif immatérielle, un mal de l’âme faisant dégénérer sa relation au monde très rapidement si elle ne se contrôlait pas en permanence.

Ce mal incompréhensible la hanta toute sa jeunesse, et ce déséquilibre entre elle-même et la réalité était parti pour durer et sans doute empirer jusqu’à sa mort.


Mais il y eu le Deus ex Machina du démon aux yeux violets.


Le passage très bref de cette étrangère dans sa vie lui permit d’obtenir une meilleure visibilité des faits et de sa propre nature, ainsi que de gagner sa liberté.


Vivre humainement, avait été un rêve inaccessible qu’elle avait abandonné bien avant cette rencontre soudaine.

La logique et les ambitions du démon, très probablement pas altruiste de par sa définition, lui demeuraient inconnues.


L’être libéré ne connaissait ni le futur, ni le passé de la Terre, ni le passé de l’étrange démon.

Plus que tout, elle connaissait l’histoire des jumelles Gains. Elle connaissait leur passé.


Où qu’elles fussent désormais, au-delà d’un océan ou survolant un vaste désert, une chose était certaine. Un jour, elles reviendraient à cet endroit. Elles reviendraient ensemble voir leur pays, leur ville, leur monde natal. Elles reviendraient là, pour le quitter ensemble.


Leur histoire, son histoire ; elle voulait la réentendre.




Le vingt-deux janvier de cette année qui devenait l'an zéro. Ce jour qui devenait un événement national pour la ville, ce jour-là était un jour de deuil, et de reconnaissance, par ses habitants pour son dernier ancien...

Ce jour-là, un être grinça des dents. La douleur de ses blessures n’y était pour rien.


Il y avait quelque chose qu'il ne supportait pas dans cette cérémonie honorifique, ces funérailles doucereuses du dernier homme de la Terre... Quelque chose d'une horreur innommable, à rendre dément et faire mourir de dégout... Et si l'évènement allait rapidement être oublié par la conscience collective, lui, ne pourrait pas s'en défaire.

Il allait être prisonnier à jamais de l’invraisemblable folie qui se manifestait alors.

Ce jour-là, un seul être ne l'oublierait pas. Probablement jamais tant qu'il vivrait.


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